Ce livre parle du Crédit Social, mais il est loin d’être une somme créditiste. Le Crédit Social, en effet, est toute une orientation de la civilisation et touche au social et au politique autant, sinon plus, qu’à l’économique.
"On oublie, on ne voit pas, on ne veut pas voir qu’il y a des gens mal logés, des gens mal nourris, des salaires insuffisants, qu’il y a des pays tout entiers qui souffrent de la faim. Ce n’est pas chrétien de penser, à plus forte raison de dire; c’est leur faute..."
Son Eminence le Cardinal Jules-Géraud Saliège
Le gouvernement Duplessis vient de faire un emprunt de $22,970,000. C'est presque 23 millions. Qu'est-ce que cela signifie au juste ?
Cela signifie d'abord que la province de Québec est un pays producteur de choses utiles. Si la province était un désert, ou si elle était peuplée de gens incapables de travailler, incapables de rien faire de bon, pas un seul financier ne lui prêterait un sou.
Tout le monde est d'accord là-dessus. La possibilité d'emprunter, sous le régime financier dans lequel nous évoluons, est la preuve que l'emprunteur possède des ressources et qu'il saura les utiliser. Le prêteur est convaincu de cela avant de prêter.
La province de Québec est un pays producteur, parce qu'il s'y trouve des richesses naturelles, des champs, des forêts, des rivières, des chutes d'eau, des mines, et surtout un peuple intelligent et laborieux capable d'exploiter ces richesses naturelles et d'en tirer des choses utiles.
Encore une fois, le fait qu'elle peut emprunter prouve tout cela.
Mais il ne faut pas mêler les notions. L'existence de la richesse productive précède la naissance de l'emprunt. C'est parce qu'elle est productive que la province peut emprunter. Mais ce n'est pas parce qu'elle peut emprunter qu'elle est productive.
C'est l'emprunteur qui crée la richesse, et non pas le prêteur. C'est la province qui fait les choses, ce ne sont pas les financiers.
On peut avoir un pays producteur sans emprunt ; mais on ne peut concevoir de prêts sans pays producteur.
On peut avoir des fermes, des industries, tout un pays en activité, sans parasites financiers pour sucer les profits. Mais on ne peut avoir de parasites financiers sans un pays en activité.
Qui entame la forêt pour agrandir le pays : le colon ou le banquier ?
Donc, premier point : La province de Québec qui emprunte est un pays producteur.
Deuxième point : le gouvernement qui emprunte n'est pas maître chez lui.
Parce que la province de Québec possède une valeur productive, le gouvernement émet des obligations pour près de 23 millions, basées sur cette valeur productive. Puis il va trouver un syndicat financier, formé de la Banque de Montréal et de la maison Beaubien & ; Cie. Il leur tient un langage qui équivaut à ceci :
"Voici des papiers qui représentent une valeur réelle, gagée par la productivité de la province. Voulez-vous me faire la grâce de les prendre et de me passer en échange d'autres morceaux de papier, des signes qui vont permettre aux habitants de la province de Québec de faire circuler le fruit des richesses naturelles de leur pays, le fruit du travail de leurs mains et de leurs cerveaux ? Puis, vous, messieurs de la Banque de Montréal et de la maison Beaubien et compagnie, qui me fournirez les signes, on vous en remerciera en vous apportant, d'ici quinze années, une récompense de plus de 10 millions, après quoi on vous devra encore les 23 millions."
Le gouvernement pourrait continuer son petit discours de cette façon :
"Moi, le gouvernement, représentant toute la province, tous ceux qui font la richesse de la province, je constate et vous fais constater notre immense capacité de production. Mais je confesse que, grands esclaves que nous sommes, nous avons renoncé au droit de faire les signes qui nous manquent pour échanger les choses que nous savons faire.
"Ce droit nous appartient en réalité, puisque c'est nous qui sommes le pays, c'est nous qui sommes la population, c'est nous qui sommes la société organisée. Mais nous nous sommes laissés dire que
ce serait mal d'exercer notre droit. Nous ne faisons pas le moindre effort pour le revendiquer. Nous sommes ou trop lâches ou trop bêtes pour songer à faire les signes quand nous faisons les choses. Et nous venons humblement à vous, les grands-prêtres ou les grands acolytes de l'autel des signes. Nous déposons respectueusement à vos pieds ces obligations, l'expression de la valeur du pays. Soyez-nous bienveillants ; et demain nous nous vanterons devant le public d'avoir obtenu de vous les signes sans lesquels les choses faites par le peuple s'entasseraient sans preneur, les signes sans lesquels nous devrions tous croiser les bras et moi, gouvernement, prendre la porte."
Voilà, sans parure, le sens réel de cette opération devenue courante dans nos pays civilisés, où l'on prétend colorer l'économie et la politique de christianisme, alors que la finance est à sa source imprégnée de philosophie talmudique.
Montant de l'emprunt : $2,970,000. Intérêt : 3%. Échéance : 15 ans. Conditions au syndicat : 98 sous et une fraction dans la piastre.
Autrement dit, les financiers donnent au gouvernement Duplessis $2,529,205 en signes de la richesse de la province. Et le gouvernement Duplessis leur remet la signature du pays pour un droit à $2,970,000 de la richesse de la province.
C'est immédiatement une différence de $440,795 en faveur des banquiers : c'est pour leur payer le travail de faire les entrées dans leurs livres, de loger les papiers dans leurs coffres-forts et d'annoncer au pays qu'ils ont des obligations de la province à vendre à ceux-là mêmes qui font la richesse représentée par ces obligations.
Mais ce n'est pas tout. Ce petit paiement immédiat de près d'un demi-million n'est qu'une bagatelle. C'est l'apéritif. À part de cela, le gouvernement va nous taxer chaque année pour donner chaque année, aux maîtres du signe un droit supplémentaire à $689,100 des richesses de la province. Ce supplément aura monté à $10,336,500 au cours des quinze années. Et après cela, les financiers auront encore, intact, tout leur droit aux $2,790,000 de richesses, reconnu par les obligations. En tout, plus de 33 millions ( $33,306,500).
Est-ce une comptabilité de gouvernement maître chez lui ? Si le système financier n'existait pas, et si la province s'assemblait pour en établir un, qui est-ce qui proposerait une machine pareille ?
On nous dira : c'est bien beau de critiquer. Mais il faut bien administrer la province. Il faut de l'argent, et il en faut tout de suite. Quand le Trésor est vide, quand les paiements qui sortent vont plus vite que les taxes qui entrent, il faut bien aller aux financiers : comment faire autrement ?
À quoi nous répondrons : C'est bien beau de ridiculiser. Voici plus de neuf années que nos politiciens, de tous les partis, rient du Crédit Social, disent qu'ils n'y comprennent goutte et haussent les épaules au seul nom de l'Alberta. Pourtant, la province d'Alberta est administrée, et très progressivement, sans que son gouvernement emprunte un seul sou des banques.
Il y aurait peut-être une petite leçon à prendre là-bas.
Sans même avoir encore installé le Crédit Social chez elle, la province d'Alberta met à profit des principes créditistes. Elle revendique depuis neuf années les droits dont l'aliénation laisse nos politiciens indifférents. L'Alberta lutte contre les exploiteurs du peuple, autrement qu'en rampant à leurs pieds.