Ce livre parle du Crédit Social, mais il est loin d’être une somme créditiste. Le Crédit Social, en effet, est toute une orientation de la civilisation et touche au social et au politique autant, sinon plus, qu’à l’économique.
"On oublie, on ne voit pas, on ne veut pas voir qu’il y a des gens mal logés, des gens mal nourris, des salaires insuffisants, qu’il y a des pays tout entiers qui souffrent de la faim. Ce n’est pas chrétien de penser, à plus forte raison de dire; c’est leur faute..."
Son Eminence le Cardinal Jules-Géraud Saliège
Si le diagnostic a été bien suivi et bien compris, l'on peut facilement deviner le remède.
Ou bien les revenus doivent être augmentés sans augmenter les prix ou bien les prix doivent être réduits sans réduire les revenus ; ou bien une combinaison des deux principes.
Si l'on met plus d'argent en circulation de la manière ordinaire, les prix, s'ils ne sont pas contrôlés, monteront certainement, et nous serons toujours aussi éloignés de la solution véritable du problème qu'auparavant.
La toute première règle doit donc être que : LES PRIX DE VENTE DOIVENT ÊTRE CONTRÔLÉS, réglementés.
Mais il faut les contrôler d'après un principe scientifique. Quel est ce principe ? Cette question nous conduit au problème du JUSTE PRIX.
Mais avant de l'examiner, il est indispensable de détruire un préjugé qui existe dans l'esprit de tous, et particulièrement dans l'esprit de tous ceux qui sont engagés dans un commerce ou une industrie quelconque. Le paiement des frais de production et la récupération de leur montant dans les prix faits aux consommateurs sont deux choses qui peuvent être entièrement dissociées l'une de l'autre.
Dans tout ce qui sera dit ci-après de la réglementation ou du contrôle, ne s'exercera qu'après que tous les frais du dernier vendeur et son bénéfice auront été payés. Cela n'affectera en rien sa poche ; il ne s'en trouvera que mieux, étant donné que le public aura plus d'argent pour acheter ses marchandises, et qu'ainsi ses ventes et l'exercice de son commerce lui seront rendus plus faciles. Il n'est même pas nécessaire de fixer un taux de bénéfice, bien que ce taux, avec le temps, cristallisera sans doute à un taux « standard » ; parce que la concurrence continuant comme par le passé entre les hommes, les bénéfices, — et incidemment les salaires, — se maintiendront dans des limites raisonnables.
Le JUSTE PRIX est le pivot d'un système économique sain, équilibrant le flux extérieur et le flux intérieur de crédit avec la production et la consommation des marchandises. Il ne saurait être déterminé, comme à présent, par le barguignage du marché. Il doit être l'objet d'une détermination scientifique, basée sur des statistiques vérifiées ; mais il découle, après tout, de calculs fort simples.
Qu'est-ce que le JUSTE PRIX ? Des civilisations ont disparu pour n'avoir pas réussi à trouver la réponse à cette question. La dernière guerre a été provoquée par la même raison. Et la paix qui lui a succédé, — une paix d'épuisement, — est simplement un instant de repos pendant lequel on reprend haleine avant une guerre nouvelle, plus mortelle, plus terrible, à moins qu'entre temps, l'on ne trouve la réponse et surtout qu'on la mette en pratique.
Les guerres modernes, en effet, n'ont lieu que parce que le système financier actuel est incapable de distribuer judicieusement les richesses que le monde produit si facilement, et le JUSTE PRIX est la seule solution à cette difficulté capitale.
Le JUSTE PRIX n'est pas la quantité d'argent qu'un article quelconque pourra faire ; ce n'est pas non plus le prix coûtant net (1), tel qu'on le calcule à présent. Si l'argent n'existait pas, il est facile de voir que le coût réel de production de n'importe quoi est la quantité d'énergie humaine et mécanique (« solaire » comme dit Douglas) dépensée et utilisée dans le processus de production. Et cette quantité d'énergie est mesurée par la quantité de marchandises et de matériaux consommés au cours de la production. En un mot, LE COÛT DE LA PRODUCTION n'est autre QUE LA CONSOMMATION.
Ainsi, si la valeur-argent de la production et de la consommation de la communauté sont des quantités connues, le JUSTE PRIX DE VENTE d'un article quelconque sera facilement établi.
Il est à son prix-coûtant (1) dans la même proportion que la consommation totale de la Nation est à sa production totale, calculée dans les termes de leur prix-coûtant:
En d'autres termes : le Prix-Coûtant est au Juste Prix de Vente comme la Production Nationale Totale est à la Consommation Nationale Totale.
Si PC = Prix coûtant ou coût financier ; PV = Prix de Vente ; PrNT = Production nationale totale ; CNT = Consommation Nationale totale, l'on a :
PC | = | PrNT | ; ou : PV = PC | CNT |
P | CNT | PrNT |
Le prix coûtant ci-dessus inclut nécessairement le bénéfice du dernier vendeur ; La consommation nationale totale inclut toute dépréciation ou diminution de capital ; La production nationale totale inclut toute augmentation et toute plus-value du capital.
Cela peut paraître compliqué. En réalité, c'est très simple. Comme la somme de l'Actif d'une Nation, capitaux plus marchandises produites et en cours de fabrication dans une période donnée (le dénominateur du facteur Prix) est toujours plus grande que la somme de toutes les marchandises vendues aux fins de consommation, c'est-à-dire LA CONSOMMATION, dans la même période (le numérateur), et augmente avec toute nouvelle découverte et invention, il s'ensuit que le JUSTE PRIX DE VENTE devrait être TOUJOURS INFÉRIEUR au PRIX-COÛTANT, et même progressivement moindre.
Cela signifie que si l'on trouve pour une période donnée, que le prix-coûtant de toutes les marchandises produites, y compris la valeur-argent de tout l'outillage, machines, usines, matières premières de la Nation, se monte à quatre fois, par exemple, le prix-coûtant de toutes marchandises vendues réellement aux consommateurs dans la même période, le JUSTE PRIX DE VENTE de n'importe quel article, pour la période considérée, ne peut être que le quart de son prix-coûtant. Ainsi, si un complet ou une robe coûtent Frs 800 à produire, ce complet ou cette robe devraient être vendus au consommateur Frs 200. Si une maison coûte Frs 100.000 à construire, elle serait vendue Frs 20.000 à l'homme qui l'aurait achetée pour y vivre ; et ainsi de suite.
La signification de tout ceci est encore que Frs 300 sur Frs 400 des ventes de détail représentent des frais qui ont été faits et réincorporés dans les coûts d'autres marchandises qui ne seront vendues que dans l'avenir. Si ce montant n'est pas restitué aux acheteurs par les banques, il saute aux yeux qu'il se commet une grave injustice ; il y aura pénurie d'argent et les ventes à venir faibliront obligatoirement, mathématiquement.
L'on doit, en effet, se rappeler que l'argent qui liquide des frais est lui-même un frais quelque part. Mais dans l'état présent des choses, il est éteint dans l'acte de liquidation et il n'est plus disponible dans l'avenir pour payer les frais qu'il a aidé à créer.
C'est une erreur de croire que Production et Consommation soient deux choses différentes. Tant qu'on les considérera comme deux choses distinctes, sans interdépendance, une vue claire du problème des prix est impossible.
A strictement parler, consommation et production ne signifient rien. Pour autant que nous le sachions, la quantité de matière existante demeure constante. Ce que nous désignons par ces mots ne sont que des changements que nous apportons à des états préexistants de la matière. La « production » d'un bateau, par exemple, implique la « consommation » d'acier, de fer, de bois et d'autres substances. Cela comporte également, en ce qui concerne les salaires et les gages payés aux gens qui ont coopéré à sa construction, la destruction, — ou consommation, ou encore dépréciation, — de quantités considérables de nourriture, de vêtements, de choses nécessaires, utiles ou même simplement agréables. Mais si le coût des marchandises consommées, — le métal et le bois, le pain et le beurre, les chemises et les souliers, etc., — apparaît finalement dans le prix global du bateau, comme cela est en réalité, et si l'argent dépensé pour toutes ces choses disparaît en étant dépensé, — et nous savons qu'il en est bien ainsi, — d'où viendra l'argent pour acheter le bateau ? Et pourquoi le public, le public en général, en payant pour le bateau par le truchement des frets sur les marchandises et des prix des places, devrait-il payer une seconde fois le coût des marchandises qu'il a déjà payées une fois et même consommées ?
Par contre, le résultat du contrôle des prix de la manière exposée plus haut serait que la communauté aurait toujours suffisamment d'argent dans sa poche ou dans les banques, non seulement pour acheter TOUT ce qui est produit, mais encore pour inciter le producteur à produire davantage, tant que les besoins économiques ne seraient pas satisfaits. La formule du JUSTE PRIX réduit les prix au niveau auquel les marchandises et l'actif immobilisé de la communauté balancent l'argent qu'elle possède, qu'elle a réellement à dépenser, assurant conséquemment qu'il n'y a aucune barrière artificielle à la distribution effective des marchandises. De cette façon, le marché pour ces marchandises. se créerait parallèlement à leur production.
Il est nécessaire de vendre en-dessous du prix de revient, non seulement pour être juste envers le consommateur, mais pour permettre aux producteurs de vendre leurs marchandises rapidement, et pour permettre à l'industrie de travailler normalement.
Il est uniquement indispensable d'ajuster le prix de détail, le prix final, étant donné que tous les frais intermédiaires, de quelque façon qu'ils soient occasionnés, sont comptés et inclus dans les prix de détail.
La formule de contrôle du JUSTE PRIX est une idée de génie, et le jour de son adoption pourra s'inscrire en lettres d'or dans l'histoire du monde.
En l'adoptant, si la production dépasse la consommation, — comme il arrive normalement lorsque l'on fait disparaître tous les empêchements financiers, — la baisse qui en résulterait dans les prix faits aux consommateurs serait en même temps un avertissement pour le producteur qu'il peut diminuer sa production, ralentir ses efforts et se donner un congé ; ce serait une invite au consommateur à consommer davantage et ce serait pour lui, l'équivalent d'un don d'argent lui permettant de le faire. Si, d'un autre côté, la consommation dépassait la production, ce phénomène se manifesterait à tous par une hausse des prix aux consommateurs. La demande diminuerait automatiquement pour un temps, mais pour un temps seulement. Car cela indiquerait au producteur qu'il est temps pour lui de fournir l'effort de production supplémentaire qui lui est demandé et, étant lui-même un consommateur, la perte d'argent causée par la hausse des prix le stimulerait à fournir cet effort et ainsi à gagner davantage.
Nombreux sont ceux qui éprouvent de la difficulté à saisir l'idée qui gît sous cette proposition de vendre en-dessous du prix de revient. Cela leur semble absurde. Mais c'est simplement parce qu'ils acceptent en confiance le système en usage aujourd'hui sans chercher à comprendre ce qu'il signifie véritablement.
La question leur paraîtra peut-être plus claire s'ils veulent bien se rappeler que, normalement, la puissance de production d'une Nation est beaucoup plus grande que sa puissance de consommation. Même pendant la guerre, lorsque la consommation et la destruction avaient atteint un degré jamais connu dans la passé, qu'elles n'ont jamais plus connu depuis, la production (excepté au début des hostilités avant que la machine productive fût complètement en mouvement), pouvait si facilement satisfaire à tous les besoins que ce ne fut que bien des années après l'armistice que le surplus de la production fut absorbé, — s'il l'est même tout à fait aujourd'hui.
Une maison, par exemple, peut être construite en moins d'une année : et durer cinquante ou cent ans. Un complet, une paire de chaussures, fabriqués en quelques jours ou en quelques heures, — en quelques minutes même par les procédés de fabrication en série, — dureront des mois, peut-être des années. Et ainsi de suite. Cela signifie que nous produisons du Crédit réel, — ou, si l'on préfère, de la richesse, — à une vitesse et à un rythme beaucoup plus grands que nous ne pouvons les consommer, user ou détruire. Et comme notre Crédit financier, ou argent, devrait être une image exacte de notre Crédit réel, il est clair que l'argent devrait être distribué comme un revenu à la communauté durant le cours de la production, à un taux plus élevé et plus rapide que celui auquel il est recouvré dans les prix, durant le cours de la consommation, si, bien entendu, la comptabilité financière doit refléter exactement notre production et notre consommation de Crédit réel.
La différence qui existe présentement entre l'agrégat des prix et celui des revenus (le revenu étant le pouvoir d'achat du consommateur) représente une réserve énorme de Crédit réel, ou pouvoir de produire de la richesse, dont la communauté, par la faute du système financier actuel ne bénéficié point, mais dont elle pourrait immédiatement profiter si les arrangements nécessaires pour la réglementation des prix étaient adoptés et si les moyens financiers nécessaires (instruments d'échange ou argent) étaient distribués aux individus qui la composent. La vente en-dessous du prix de revient de la manière décrite ne priverait absolument personne d'un centime de ses revenus. L'ajustement des prix corrigerait simplement une erreur grossière dans la comptabilité financière actuelle qui maintient les prix à un niveau supérieur à celui des revenus, et ainsi empêche la distribution normale des marchandises.
Il n'est absolument pas question de « pénaliser » quiconque, ni d'appauvrir personne ; c'est absolument inutile ; bien au contraire. Le seul objet est de rendre tout le monde riche, et non quelques privilégiés seulement.
(1) Il faut entendre ici par « prix-coûtant », le prix de vente en magasin, comportant le bénéfice du dernier vendeur, c'est-à-dire le prix que l'article « coûte » à l'acheteur.
Chapitre VI | Chapitre VIII |