Ce livre parle du Crédit Social, mais il est loin d’être une somme créditiste. Le Crédit Social, en effet, est toute une orientation de la civilisation et touche au social et au politique autant, sinon plus, qu’à l’économique.
"On oublie, on ne voit pas, on ne veut pas voir qu’il y a des gens mal logés, des gens mal nourris, des salaires insuffisants, qu’il y a des pays tout entiers qui souffrent de la faim. Ce n’est pas chrétien de penser, à plus forte raison de dire; c’est leur faute..."
Son Eminence le Cardinal Jules-Géraud Saliège
Le flux extérieur de crédit des banques aux consommateurs représente ce que nous pouvons appeler le flux de production.
Le flux intérieur qui vient du consommateur aux banques représente le flux de consommation.
L'on sait que c'est la préoccupation constante des banques de recouvrer leurs avances de crédits aussitôt que possible après qu'elles les ont émis. La plupart sont recouvrés en quelques semaines ; trois mois constituent à peu près la limite extrême du délai accordé pour le remboursement.
Si l'on remarque que le flux extérieur de crédit, c'est-à-dire les prêts, représente la production ; et que le flux intérieur, c'est-à-dire les remboursements, représente la consommation ; l'on comprendra sans peine que si la quantité de flux extérieur et de flux intérieur sont égales, allant aux consommateurs et venant d'eux, si le crédit reflue aux banques aussi vite qu'ils est émis, — comme il le fait du reste, — cela signifierait que nous consommons toutes espèces d'objets et de produits aussi rapidement que nous les produisons. Cela signifierait que nous consommons non seulement de la nourriture, des vêtements, des objets agréables, des articles de luxe aussi vite que nous les produisons, mais encore que nous consommons notre capital, nos installations, nos machines, nos constructions, nos routes, nos chemins de fer, nos ports et nos bateaux, etc... étant donné que toutes ces choses ont été créées par le moyen d'émissions de crédit. Mais nous savons qu'il n'en est rien. La plupart des objets de la dernière catégorie énoncée, — constituant le capital, — durent de nombreuses années avant d'être consommés ou détruits.
Ce qui arrive précisément est que l'argent ou crédit reçu par les consommateurs pour des cycles de production non encore accomplis, c'est-à-dire non encore matérialisés en matières marchandes, leur est soutiré par le moyen des prix demandés pour des marchandises appartenant à des cycles déjà accomplis.
Quoique cela signifie que le public est volé d'un pouvoir d'achat qui proprement devrait être réservé à des achats futurs, cela ne veut pas nécessairement dire que l'on tolère un abus de bénéfices. Cela signifie seulement que le Crédit de consommation est utilisé pour payer des Frais commerciaux. C'est seulement en drainant du public ce qui devrait constituer ses réserves que l'on peut faire face aux dépenses courantes et que le système peut continuer de fonctionner ; mais le fonctionnement de ce système devient de plus en plus difficile en raison du procédé de drainage employé, à mesure que la proportion des Frais commerciaux augmente dans l'établissement des prix.
Si quelqu'un doute que le crédit reflue aux banques aussi vite qu'il est émis, il n'a qu'à se demander combien il possède encore de son salaire de la semaine dernière, ou du mois dernier, combien il lui reste encore des dividendes qu'il a touchés dans le semestre précédent, pour se rendre compte combien rapidement son argent se volatilise. Il en est ainsi de chacun ; et l'endroit où cet argent se volatilise est précisément les banques, aux fins d'annuler les prêts bancaires.
Il est nécessaire pour la réalisation des plans des banquiers que les prix ordinaires ou courants montent en raison directe du volume des crédits émis, autrement ils se trouveraient dans l'impossibilité de recouvrer leurs prêts dans les limites étroites de temps qu'ils accordent pour les remboursements. Il fut un temps où leur sécurité dépendait d'un remboursement rapide ; et si les prix ne montaient pas, l'argent — la monnaie légale, — ne refluait pas dans leurs caisses assez vite pour faire face à leurs besoins, et se trouvant dans l'impossibilité de satisfaire à leurs obligations, ils avaient à suspendre leurs paiements. Ce danger existe à peine aujourd'hui. En cas de nécessité, le Gouvernement autoriserait la création d'autant de monnaie légale qu'ils voudraient en réclamer.
Le petit manège du « profiteur » est, comparativement à l'action des banques, une goutte d'eau dans la mer ; mais il est un allié très utile des banques, car la situation de ces dernières est d'autant plus forte que l'argent est pressuré du public plus rapidement. Et les hommes qui peuvent pressurer le public dans le plus court espace de temps sont tenus par les banquiers en haute estime. La prospérité d'un pays, toutefois, ne saurait se mesurer à la prospérité de ses banques ; ces deux choses n'ont aucun parallélisme.
Le seul moyen d'annuler des émissions de crédit en souffrance est, — sous peine d'amener l'industrie à l'arrêt complet, — de créer de nouvelles et plus larges émissions, plus larges parce qu'elles doivent couvrir les bénéfices des premiers emprunteurs et l'intérêt de leurs emprunts. Comme la création du crédit est un monopole bancaire, il s'ensuit que la communauté ne peut se débarrasser d'un fardeau de dette bancaire ancienne qu'en acceptant bon gré mal gré, un nouveau fardeau plus important de même sorte.
Remarquons maintenant que l'argent n'est jamais emprunté sinon pour être dépensé ; mais comme il doit subséquemment être remboursé, les emprunteurs doivent le dépenser à fin de production, ou en incitant à la production de quelque chose qui doit être vendu. Ce qui signifie que plus la communauté travaille, plus elle produit, et plus aussi elle s'endette chez les banquiers.
Si les banques prêtent libéralement, le commerce est florissant. Si elles retirent ou suppriment leurs prêts, comme elle le font de temps à autre suivant une politique bien définie, le commerce s'effondre et les membres de la communauté industrielle les moins favorisés sont acculés à la banqueroute, ou sont contraints par les banques à réduire leur capital, à renvoyer peut être des directeurs très capables et très efficients, — des fantoches de banque étant installés à leur place, — ce qui est tout aussi mauvais.
La suppression des crédits peut avoir comme objet la réduction des prix, objet louable en soi s'il est convenablement appliqué ; mais elle a souvent aussi comme objet beaucoup moins admirable, d'acquérir des actifs de valeur au prix d'une croûte de pain. Ces deux choses se passent lorsque les banques réduisent leurs émissions de crédit, que le motif de leur action soit bon ou mauvais.
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