Mort aux taxes - Première partie

Louis Even le lundi, 23 décembre 1968. Dans Une lumière sur mon chemin

Tuer les taxes, les supprimer

Téléchargez la conférence Mp3Enregistrer
Pour administrer ? De l'argent, oui. Des taxes, non

« Mort aux taxes »

Louis EvenMonsieur Georges Dubois demeure dans un coin du pays qui n’a pas été visité aussi souvent que d’autres par nos pèlerins de saint Michel. Il n’a jamais été abonné à Vers Demain. Le peu qu’il a entendu dire du Crédit Social lui est venu de politiciens; il en est resté sous l’impression qu’il s’agit d’un nouveau parti politique en quête du pouvoir. Comme il n’a pas grande confiance dans les élections pour améliorer les conditions dont tout le monde se plaint, ni vieux ni nouveau parti ne l’intéresse. En quoi, il a parfaitement raison.

Au cours d’un voyage, il remarque, en stationnement au bord d’un trottoir, une automobile portant un drapeau blanc, sur lequel est dessiné un livre ouvert, couleur or, avec une flamme rouge au-dessus du livre. Sur la face intérieure d’une vitre latérale, un écriteau avec ces mots en noir sur blanc: «Mort aux taxes». Cette inscription surprenante ne lui déplaît pas car Georges Dubois, comme tous ses voisins, trouve les taxes vraiment trop nombreuses et trop élevées pour ses moyens. Tout de même, «mort aux taxes» lui semble un peu radical, surtout plus désirable que possible.

La voiture est vide. Georges Dubois, que cette rencontre a intrigué, doit donc rester sur sa curiosité. Tout au plus, a-t-il entendu un passant dire à sa compagne: «Tiens, regarde, le drapeau du Crédit Social!»

Mais plus tard, ayant appris qu’un homme de son patelin est au courant du Crédit Social, il ne manque pas de l’interroger, car Georges Dubois aime à se renseigner. Il questionne donc et écoute avec un visible intérêt. Sa première question:

Que signifie au juste cette déclaration de guerre que j’ai vue sur la vitre de la voiture au drapeau blanc: «Mort aux taxes». Cela veut-il dire de diminuer les taxes parce qu’il y en a trop ?

L’autre lui répond:

Plus que cela, monsieur. Cela veut dire ce que les mots mêmes expriment: Tuer les taxes, les supprimer.

Ce serait sûrement bien beau, remarque monsieur Dubois, mais ne faut-il pas que le gouvernement ait de l’argent pour administrer et pour les travaux publics ?

De l’argent oui, répond l’autre, mais des taxes non.

Comment accorder cela ? Il me semble que pour avoir de l’argent, le gouvernement est bien obligé de taxer.

Ne dites pas cela, monsieur, car on a eu des preuves du contraire. Vous n’êtes pas encore vieux, mais vous devez quand même bien savoir que pendant les dix années d’avant la deuxième grande guerre mondiale, les années de la grande crise, il y avait partout des chômeurs et des indigents. Le gouvernement aurait dû venir à leur secours. Il le désirait certainement, mais il ne comptait que sur des taxes pour le faire, car sa dette publique était déjà trop forte. Or, il lui était impossible de taxer des citoyens qui manquaient déjà d’argent pour leurs propres besoins. Personne n’aimait cette situation, mais à peu près tout le monde la croyait insoluble. Pas d’argent, il fallait bien endurer! Cela, au Canada, en France, en Angleterre, aux États Unis et dans tous les pays évolués.

De l’argent pour financer la guerre

Mais voici que le 3 septembre 1939, l’Angleterre et la France déclarent l’existence d’un état de guerre contre l’Allemagne parce qu’elle a envahi la Pologne. Aussitôt, le Canada entre lui aussi en guerre à la suite de l’Angleterre. Et le gouvernement du temps, le gouvernement de Mackenzie King, si pauvre la veille, trouve subito tout l’argent nécessaire pour financer une guerre qui demande des millions puis des milliards. Croyez-vous vraiment, monsieur Dubois, que le gouvernement trouva son argent en taxant des contribuables qui n’étaient pas taxable, la veille, faute d’argent ?

Non, mais alors, où le gouvernement prit-il son argent ?

Il le prit à la source, à la place où l’argent commence. Car il faut bien que l’argent commence quelque part; donc, il faut qu’il y ait une source d’argent. Cette source, c’est la banque. Non pas l’argent des déposants, à peu près personne ne pouvait plus déposer d’argent aux banques depuis des années. Mais les banques créent l’argent quand elles consentent à créditer des montants dans le compte des gouvernements ou d’industriels qui n’en déposent pas. Des crédits nouvellement nés, faits d’un trait de plume, sur lesquels les gouvernements et les industriels peuvent tirer des chèques pour faire tous les paiements nécessaires. Vous comprendrez cela de mieux en mieux en lisant le journal Vers Demain ou des brochures éditées par Vers Demain sur ce sujet.

Et monsieur Dubois de dire: Cela m’éclaire en effet. Je vois bien que le gouvernement a financé la guerre sans attendre des taxes. Mais, est-ce qu’il n’a pas taxé après cela pour tout ce que la guerre coûtait, pendant la guerre même ou depuis ?

Il l’a fait oui, monsieur Dubois, mais pourquoi ? Tout a bien commencé sans taxes et ça marchait. La guerre se faisait. On la gagnait même. Pas avec des taxes, mais avec des soldats et des munitions. Quand même le gouvernement n’aurait jamais taxé par la suite, les hommes et les munitions avaient très bien fait l’ouvrage.

Je ne comprends pas cela aussi bien, dit monsieur Dubois. Peut-être était-ce une exception bonne rien que pour la guerre ?

Allons donc, monsieur, cela se fait régulièrement à cœur d’année. Croyez-vous que le gouvernement attend la rentrée des taxes pour bouger ? Tous les jeudis, par exemple, le gouvernement d’Ottawa met en vente aux enchères, à l’encan, des morceaux de papier appelés obligations, pour le montant de plus de 100 millions de dollars par semaine.

Les banques créent l’argent de rien

Les banques achètent ces papiers en dessous du prix coûtant afin de faire des profits lorsqu’elles les revendront à l’échéance, généralement dans les trois mois. Pour payer ces obligations, les banques inscrivent simplement des crédits, toujours d’un trait de plume, au compte du gouvernement. C’est avec ces crédits-là que le gouvernement administre et paie ses travaux. Pas avec les taxes qui ne sont pas encore rentrées.

Mais les taxes qui rentrent doivent servir à racheter les obligations acquises par les banquiers, pense monsieur Dubois.

Oui, mais l’administration et les travaux n’attendent pas ces rentrées de taxes. Ils sont payés par l’argent créé par les banques. Si les taxes étaient supprimées, les travaux se feraient d’ailleurs exactement de la même manière, avec des hommes, des machines, des choses; le tout étant financé à mesure par de l’argent nouveau, argent créé dans le système bancaire.

Mais les banques continueraient-elles à inscrire ces crédits nouveaux si elles n’étaient pas sûres de pouvoir revendre les obligations au gouvernement, contre de l’argent que le gouvernement obtient en taxant les citoyens ?

Les banques se considèrent propriétaires de l’argent qu’elles créent d’un trait de plume

C’est cela aujourd’hui, monsieur Dubois, parce que les banques se considèrent comme propriétaires de l’argent qu’elles créent d’un trait de plume. Et elles considèrent le gouvernement, donc tout le peuple, endetté envers elles pour ces montants d’argent nouveau qui ne leur coûtent rien et qu’elles consentent à mettre à la disposition du gouvernement, en se faisant récompenser par lui.

Mais c’est cela, monsieur, qui est un vice fondamental de notre système financier actuel. Cet argent de chiffres est aussi bon que de l’argent de métal ou de papier pour payer les travailleurs, les machines et les matériaux. Également bon aussi, quand on en a, de ces chiffres légalisés, pour acheter n’importe quels produits offerts dans le pays. C’est donc un titre sur tout ce qui se fait ou peut se faire dans le pays. Or, dites-moi de quel droit les banques, institutions privées à profit, peuvent-elles ainsi s’attribuer un droit sur ce qui ne leur appartient pas ? Car elles ne sont nullement propriétaires des hommes ni des choses que l’argent peut mettre en mouvement.

Les gouvernements sont les valets des banquiers

En accaparant, ou en s’étant fait concéder le droit de créer l’argent, les banques détiennent un pouvoir plus grand que celui du gouvernement souverain lui-même. Les banques tiennent une plume qui peut accorder ou refuser, diminuer ou conditionner le droit de produire ou d’obtenir les produits.

Le gouvernement, lui, tient une plume aussi, mais une plume qui, pour pouvoir gouverner, doit signer des dettes et ensuite taxer autant qu’il peut pour rembourser ces dettes, sans jamais réussir à le faire complètement. C’est pourquoi, plus le pays se développe, plus il est endetté envers des gens qui ne le développent pas, envers les banquiers.

Et comme l’argent ne vient ainsi qu’à l’état de dettes envers les créateurs et les contrôleurs de l’argent et du crédit, ces messieurs tiennent entre leurs mains, comme l’a bien écrit Pie XI dans Quadragesimo Anno: «Ils détiennent entre leurs mains, le contrôle du sang même de la vie économique, si bien que sans leur permission, nul ne peut respirer.» Personnes, familles, institutions comme gouvernements, sont sous la coupe des créateurs de l’argent, des contrôleurs du crédit.

Ces réflexions, mes chers amis, frappent monsieur Dubois. Il avait toujours pensé que les banques prêtaient l’argent de leurs déposants, qu’elles le prêtaient à la place des déposants, faisant leur profit avec la différence entre l’intérêt chargé par elles aux emprunteurs et le petit intérêt, versé par elles aux déposants, pour les encourager à continuer de confier leurs épargnes à la banque. Il est surpris d’apprendre que les banquiers créent l’argent alors que le gouvernement, lui, ne crée que des dettes quand les taxes ne lui suffisent pas.

Monsieur Dubois va apprendre bien d’autres choses encore. Son professeur du moment lui montrera à voir les choses en termes de réalité bien plus qu’en termes d’argent. Puis à soumettre l’argent aux choses pour servir les hommes au lieu de soumettre les choses à l’argent en faisant souffrir les hommes, comme cela se fait aujourd’hui.

Il apprendra qu’on ne peut ni consommer ni détruire de la production qui n’a pas d’abord était faite. Donc, que la consommation n’est jamais plus grosse que la production. Qu’il ne devrait pas exister de dettes publiques.

Il apprendra aussi à distinguer entre les prix calculés, d’après ce qu’il a fallu dépenser d’argent pour le produire et les vrais prix calculés, d’après ce qu’il a fallu sacrifier de choses pour les réaliser.

Il apprendra enfin que «Mort aux taxes» est parfaitement possible. Du moins, qu’on peut supprimer avantageusement tout le système actuel de taxes. Ce sera le sujet de deux autres causeries dans un avenir prochain.

Louis Even