Comme le souligne M. Grégoire dans l'article ci-contre (La structure bancaire du crédit, page 4), la base du crédit, ce qui fait la valeur réelle de l'argent, c'est la production du pays, ce sont tous les facteurs qui contribuent à entretenir ou hausser cette production.
Et ces facteurs-là, on les trouve dans la société organisée, dans l'existence de moyens de production, et non pas dans les banques.
On appelle cela crédit, parce que c'est la base de la confiance.
Qu'est-ce qui fait qu'on a confiance de pouvoir vivre, et vivre sans trop de misère, dans la province de Québec ? C'est parce qu'il s'y trouve des fermes, des champs qui produisent, des forêts, des rivières, des mines, des hommes et des machines, des routes et des moyens de transport.
S'il n'y avait rien que de la neige et de la glace, comme au pôle nord, personne n'aurait de confiance en ce pays. On n'y viendrait pas, on n'y resterait pas.
Et s'il n'y avait que des banques dans la province de Québec, — des banques dans tous les coins, mais pas de fermes ; des banquiers, mais pas d'ouvriers ni de cultivateurs ; des coffres-forts dans des voûtes de banque, mais pas un sac de farine ou de pommes de terre, pas une livre de viande, de fromage ou de beurre, pas une chemise ni une paire de chaussures, — personne ne viendrait vivre en ce pays malgré ses banques, personne n'y demeurerait plus longtemps qu'il peut rester sans manger.
La confiance dans un pays, le crédit réel d'un pays, vient donc de ceux qui contribuent de quelque manière à y faire naître des biens ; de ceux qui travaillent, de ceux qui instruisent, de ceux qui inventent, de ceux qui élèvent des familles, de ceux qui rendent des services.
Ce sont tous les membres de la société, non pas tant pris isolément que considérés dans la société organisée, parce que la production est beaucoup plus forte, grâce à la vie en société, que si chacun devait voir isolément à son affaire sans rien recevoir des autres et sans rien offrir aux autres.
Le véritable crédit d'un pays est donc un crédit éminemment social.
C'est ce crédit-là, le crédit des forces productives, du peuple de la province, que le système des Maisons du Trésor donne le moyen d'utiliser directement, sans le passer par le monnayage des banques.
C'est d'ailleurs sur ce même crédit que les provinces et les nations ont pris l'habitude de signer des débentures qu'elles prient les banquiers de transformer en crédit-monnaie.
Malheureusement, aussitôt que les banques ont transformé ce crédit-là en crédit-monnaie pour les gouvernements, ou pour les industriels, les banquiers le traitent comme si c'était leur propriété, comme si c'étaient eux qui l'avaient fait. Ils le prêtent, et ils gardent les débentures, les billets des emprunteurs en garantie, leur donnant droit de saisir la base même du crédit, les moyens de production, si les emprunteurs ne rapportent pas au banquier, avec profit, le crédit qu'eux-mêmes ont bâti, mais que le banquier a monnayé.
Ce monnayage est un véritable vol. C'est une prostitution du crédit vierge du pays pour en faire une dette sur le dos du pays.
On nous a tellement habitués à n'utiliser que du crédit ainsi prostitué, que nous trouvons étrange l'idée d'utiliser le crédit vierge.
C'est pourtant ce qu'on apprend à faire en Alberta, par les Maisons du Trésor. Et c'est la résistance du gouvernement fédéral, la protection accordée par le gouvernement d'Ottawa aux prostitueurs du crédit, qui a forcé l'Alberta à trouver un moyen d'employer son crédit vierge.
L'Alberta passait des lois pour que le crédit prostitué, l'argent des banquiers, soit mis au service de la province. Ottawa désavouait les lois.
L'Alberta s'est dit alors : Puisque le crédit de la province, dès qu'il est monnayé par les banques, tombe sous la coupe des banques, et par elles sous la coupe du fédéral, nous allons établir un système provincial d'échange, qui permettra au crédit fait par la province de circuler sans tomber sous la loi des banques.
Voilà, certes, une manière pratique d'envisager l'autonomie provinciale. Et ç'a été fait.
Mais en Alberta comme en notre province et ailleurs, il y avait déjà un système d'échange et il était tout fait de crédit bancaire, de crédit réel prostitué par la machine à dettes. On ne pouvait pas tout renverser et bâtir à neuf. Il fallait procéder graduellement, retransformer peu à peu le crédit prostitué en crédit vierge.
C'est un des caractères géniaux des Maisons du Trésor de ne rien bouleverser, de ne rien imposer, mais de permettre aux citoyens qui le veulent librement de purifier graduellement, et de reprendre peu à peu le crédit que la province avait aliéné aux prostitueurs.
Quiconque a de l'argent ou du crédit de banque, en Alberta, peut le déposer dans une succursale du Trésor et obtenir, en échange, du crédit pur et simple, qu'il met en circulation par ses achats, sans avoir besoin de ne déplacer l'argent, sans avoir besoin de coller sur ses mandats le timbre d'Ottawa requis pour le crédit de la servitude.
Tant que le commerce se fait entre citoyens qui ont compris et accepté ce moyen de libération, l'argent du banquier reste en entrepôt, et c'est le crédit redevenu vierge qui circule.
Lorsque le marchand doit s'approvisionner ailleurs que dans le circuit des collaborateurs, la succursale doit reprendre le crédit vierge et le changer de nouveau en crédit prostitué pour ceux qui ne veulent que du crédit prostitué.
Il est clair que, plus les citoyens se rallieront à l'utilisation directe de leur propre crédit, plus le crédit bancaire disparaîtra de la circulation dans la province pour y être remplacé par le pur crédit provincial. La libération est entre les mains des citoyens eux-mêmes. Mais il faut comprendre et savoir décider librement.
Dans le système des Maisons du Trésor, l'utilisation du crédit dans les achats et les ventes fait naître d'autre crédit vierge. Plus les déposants se servent de ce crédit pour acheter de producteurs qui l'acceptent, plus ces producteurs vont augmenter leur production pour répondre à la demande.
La production peut ainsi augmenter jusqu'au plafond de sa capacité, et ce plafond est de plus en plus élevé par l'emploi des machines et de la science appliquée. Il est logique que, si la production augmente, il y ait en même temps augmentation de pouvoir d'achat chez les consommateurs.
C'est pour cela que le Trésor augmente le crédit des déposants proportionnellement à l'emploi qu'ils en font pour acheter. C'est la prime, ou boni d'achat, accordée mensuellement aux acheteurs.
Cette prime est du crédit vierge, basé sur l'augmentation de la production, et sans passer par la machine à dettes des banques.
Voilà comment, après avoir commencé par une retransformation du crédit prostitué en crédit vierge, le système augmente ensuite le crédit vierge indépendamment de la machine soumise aux banques et à leur protecteur d'Ottawa.
Jusqu'où cela peut-il aller ? Jusqu'à la capacité maximum de production de la population qui collabore. Si toute la province collabore, cela peut aller ainsi jusqu'au maximum de capacité de production de la province. On devine ce que cela signifierait pour une province riche comme la nôtre.
Et tout cela, encore une fois, sans avoir besoin de la permission ni des banques, ni du fédéral.
Tout dépend d'un gouvernement avisé qui pose les cadres et d'un peuple éclairé qui les utilise librement.
Le crédit vierge est donc fécond, et c'est d'autre crédit vierge qu'il enfante.
Le crédit bancaire, crédit prostitué, a bien aussi sa fécondité, mais ce sont des dettes qu'il enfante, au profit des banques et au désespoir du peuple qui porte au cou une chaîne de plus en plus lourde.
La comptabilité du crédit vierge a encore un autre avantage sur la comptabilité du crédit prostitué.
Supposons que l'ensemble des primes d'un mois soit de trois millions de dollars. Cela fera en tout trois millions de crédit de plus inscrit dans les comptes des déposants des Maisons du Trésor. Trois millions de pouvoir d'achat nouveau qui n'est sorti de la poche de personne, mais qui est ajouté là, d'un trait de plume, pour faire pendant à l'augmentation de la production provoquée par les achats du mois précédent.
Ces trois millions entrent dans la circulation par l'intermédiaire des milliers de familles dont les dépôts ont été augmentés. C'est donc de partout que le pouvoir d'achat augmenté va appeler la production. La production, le genre de produits, va être commandé par les consommateurs eux-mêmes. Ce sont les citoyens de la province qui, par leur choix dans les achats, vont dire aux producteurs ce qu'il faut faire pour eux.
Combien différent avec le crédit prostitué ! Dans le système de prostitution, c'est le producteur, l'industriel, qui vient à la banque et soumet au banquier son plan de production pour avoir un emprunt. Le consommateur est absent. Ses besoins sont secondaires. Ce qui compte, c'est pour le banquier le remboursement avec intérêt, c'est pour l'industriel la capacité de faire des profits.
Une fois l'emprunt accordé, l'argent va entrer en circulation par la manufacture des produits. Mais immédiatement, l'industriel doit entrer en action pour pousser son produit par l'annonce et par ses agents, pour faire croire aux consommateurs que c'est cela qu'il leur faut, pour vendre le plus cher possible, afin de payer tous les frais, plus l'intérêt qui doit accompagner le remboursement.
La première manière, celle du crédit vierge, favorise la volonté du consommateur et, par ses achats, financent tous les producteurs qui offrent ce que le consommateur cherche. Ces producteurs peuvent développer leurs moyens de production sans avoir besoin de la dette envers le banquier.
Comme les monopoles et tous les satellites des banques boudent les Maisons du Trésor, cela donne une grosse chance à la petite et moyenne industrie, privée ou coopérative, de reprendre une place au soleil.
La deuxième manière change la production en fin et la consommation en moyen (ordre renversé) ; elle favorise le gros qui est agréable au banquier, c'est-à-dire celui qui est habile à tirer l'argent du public, celui qui est le plus violent et qui ne connaît pas les scrupules de conscience. C'est la consolidation des monopoles.
Il est beau de parler d'autonomie provinciale, d'achat chez nous, de guerre aux monopoles, de libération économique. Mais combien plus efficace d'établir et développer un système d'échange libre, purement provincial, qui favorise le produit domestique en même temps que les familles de la province, qui dispense graduellement du système à dettes protégé par le fédéral, qui hausse le pouvoir d'achat au niveau de la production, et qui fait naître toute augmentation au crédit des familles de la province !