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Qu'est-ce que la fécondité de l'argent ?

Maître J.-Ernest Grégoire le jeudi, 01 août 1996. Dans Crédit Social

L'auteur de l'article qui suit, Maître J. Ernest Grégoire, grand défenseur de Louis Even en tous lieux, était éminent avocat et notaire dans la ville de Québec. Il fut maire de cette ville, député au parlement. Il aurait été nommé lieutenant-gouverneur de notre province s'il ne s'était pas rangé aux côtés de Louis Even. Il fut de nombreuses années, à l'Université Laval, professeur en sciences économiques et politiques, et professeur des beaux-arts. Aussi, professeur à l'Académie Commerciale des Hautes Études économiques, à Québec.

Dès qu'il comprit le Crédit Social, en 1938, il dit à ses élèves : "Jusqu'à présent, je vous ai enseigné l'erreur ; à partir de maintenant, je vais vous enseigner la vérité." Moins d'un mois après cette confession, Maître J. Ernest Grégoire fut renvoyé de l'Université Laval. Il s'y attendait, il l'avait déjà écrit à Louis Even.

C'est en 1938 que Maître J. Ernest Grégoire adhéra totalement au Mouvement fondé autour du Crédit Social par Louis Even. Cela lui valut toutes les persécutions, jusqu'à ne plus être capable de gagner une seule cause devant les juges d'iniquités. Mais il resta fidèle à Louis Even, au Mouvement et à ses convictions, jusqu'à sa mort. Il fut l'ange protecteur de l'Œuvre aux moments difficiles de la fondation. Il était l'un des directeurs de l'Institut d'Action Politique. Les créditistes sont heureux de rendre hommage à l'homme droit et intègre que fut Maître J. Ernest Grégoire.

Th. Tardif

par Me J.-Ernest Grégoire

L'argent doit faire des petits

On a toujours connu la fécondité des animaux, la fécondité des végétaux. Ce sont des choses qui ont la vie et possèdent la vie. Mais le métal, le papier, l'encre y a-t-il de la fécondité là-dedans ?

Non. Et naturellement, une chose inerte, dépourvue de vie, ne peut pas se multiplier.

Mais les hommes ont déifié l'argent ; ils en ont fait un dieu. À ce dieu, ils ont attribué une source de vie et une fécondité indéfectible. La fécondité de l'argent est plus assurée que celle des êtres vivants.

La fécondité de l'argent c'est l'argent faisant d'autre argent par le seul fait de la durée. C'est l'argent en gestation perpétuelle. C'est $100 accouchant chaque année de $4, de $5, de $8, ou davantage.

Un dieu, ça se place au-dessus des hommes. L'argent passera au-dessus des hommes, avant les hommes et avant toutes les autres réalités.

L'argent doit produire ; il doit donner des petits. Quoi qu'il arrive aux choses que l'argent achète, quoi qu'il arrive aux hommes qui font les choses, l'argent doit faire de l'argent.

Si l'argent ne fait pas de l'argent, des hommes vont être mis à la porte de leur maison ou de leur ferme, celles-ci confisquées et les familles laissées à la merci de la faim et des intempéries. Si l'argent ne fait pas de l'argent, des usines vont fermer et les ouvriers n'auront plus de pain. Le dieu argent est inexorable ; des milliers, des millions de vies humaines, ne sont rien en face de l'intérêt sacré réclamé par l'argent.

365 jours — où sont les petits ?

C'est un fermier qui a emprunté $5000. Le prêteur lui a dit : Vous rembourserez chaque année $500 de ce prêt, pendant dix ans. Cela fera bien les $5000 prêtés voilà pour le capital. Mais, en plus, vous ajouterez chaque année $400 d'intérêt : c'est le 8 pour cent, calculé d'avance et ajouté au capital, que doit faire mon argent. Donc, $400 par année pendant dix ans. Au bout de dix ans, j'aurai $9000 là où je n'avais que $5000.

Pour le prêteur, $9000 feront $4000 de petits en dix ans.

Et le fermier travaille. Il travaille :

1. Pour les besoins courants de sa famille ;

2. Pour rembourser le capital emprunté ;

3. Pour trouver des enfants en argent à l'argent du prêteur.

Notre fermier ne craint pas la peine. Il a prévu l'obligation, et il l'a signée parce qu'il était dans le besoin. À quoi ne se plie-t-on quand on est dans le besoin ?

Mais voici qu'une année, la pluie a manqué quand elle aurait été utile ; où il y a eu des averses continuelles lorsque c'est du soleil qui aurait fait du bien. Le fermier dit à son prêteur : Mes récoltes ont manqué cette année, monsieur ; je n'ai pu en vendre que juste pour avoir les choses essentielles pour ma famille. Tout de même, je puis vous rapporter la part du capital emprunté, mais pas l'intérêt. La saison ne m'a pas servi.

Le prêteur répond : Est-ce que la terre n'a pas fait le tour du soleil depuis l'année dernière ?

Oui, monsieur.

Eh bien, cela suffit. Dès lors que la terre fait le tour du soleil une fois, je dois récolter de l'argent, moi. La température n'y fait rien, et ne m'intéresse pas. Petites ou grosses récoltes ne m'émeuvent pas. Seul, le temps compte. 365 jours, voilà mon serviteur. Mon argent, ou je vous saisis tout.

Périssent les corps, périssent les âmes !

Une autre année, les récoltes sont normales ; mais le marché est mauvais. Par un jeu de la finance maîtresse, plus que par le jeu des estomacs, les gens achètent peu, ils paient mal, ils se privent, les produits s'accumulent, les prix baissent.

L'emprunteur explique à son prêteur : Monsieur, les récoltes se vendent à demi-prix cette année, et encore ! Le blé est tombé à 70 sous. Les pommes de terre ont dégringolé à 50 sous. Comment puis-je vous servir le même intérêt.

- L'intérêt est chose sacrée, monsieur l'emprunteur.

- Mais, monsieur le prêteur, lorsque vous m'avez avancé les $5000, vous me les avez avancés sur ma ferme. Or ce sont les produits de ma ferme qui font moins de piastres. Comment voulez-vous que votre argent lié à ma ferme, fasse autant de piastres ?

- Cela n'y change rien, fermier. Cent piastres doivent faire huit piastres, bon an, mal an.

- Monsieur l'homme aux piastres, j'ai travaillé comme jamais. J'ai poussé mes jeunes à m'aider ; deux d'entre eux en sont tombés malades. Me sueurs ont coulé plus abondantes, dans les sillons. Mais le marché ne dépend pas de moi. J'ai mis plus de ma vie dans mon travail. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour donner $8 à vos $100, et je n'ai pas réussi. Ne pourriez-vous pas ajuster l'intérêt tout comme je dois ajuster mes prix au marché ?

- Fermier, ce n'est pas le marché, qui m'intéresse. Le marché peut être votre affaire. Mon affaire à moi, c'est la fécondité de mon argent. Il faut des enfants à mon argent. C'est la seule succession des jours et des nuits qui doit faire ma fortune, puisque je vis de l'autel de l'argent. Les jours ont succédé régulièrement aux nuits et les nuits aux jours depuis un an. Donc vous devez me trouver $400 d'intérêt. Sinon, je saisis tout ce qui vous appartient.

- Mais, monsieur, ma femme, mes enfants !

- Les êtres humains ne m'intéressent pas. Périssent les corps et les âmes, l'argent doit enfanter l'argent. C'est la loi inexorable. Et la loi humaine, vos lois, peuple démocratique, protègent religieusement la fécondité de l'argent. Elles veillent avec soin sur les berceaux de l'argent et laissent les berceaux humains à la merci des circonstances.

Voilà ce qu'on appelle la fécondité de l'argent.

Fécondité antinaturelle — condamnée par Aristote, le plus grand philosophe de l'antiquité ; condamnée par l'Église pendant des siècles, mais sanctionnée et protégée par la loi civile, depuis que les hommes ont laissé le culte de Dieu pour le culte de l'argent.

Maître J.-Ernest Grégoire

Vers Demain Janvier 1944

Maître J.-Ernest Grégoire

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