Contrainte d’association

Louis Even le jeudi, 23 janvier 1964. Dans Economie

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Mes bien chers amis,

Louis EvenAujourd’hui au Canada comme aux États-Unis et en plusieurs autres pays du monde libre, la liberté d’association est inscrite dans les lois. Les employés peuvent donc se grouper en syndicats pour négocier collectivement avec leurs employeurs les conditions de salaires et autres auxquelles ils acceptent de travailler. La formation d’un syndicat se fait ordinairement sur l’initiative d’un ou de quelques employés ou de propagandistes venus du dehors. Les promoteurs exposent aux employés les avantages qu’ils auraient à s’unir pour obtenir de meilleures conditions de travail. Les employés peuvent ainsi être vus par des représentants de syndicats différents.

Lorsqu’un nombre majoritaire des employés a donné son adhésion à un syndicat, ce syndicat là s’adresse à la Commission des relations ouvrières pour se faire reconnaître légalement comme agent négociateur. Ce qui lui permettra de passer avec l’employeur un contrat collectif applicable à tous les employés de l’établissement.

Or, récemment à Montréal, les choses ne se sont pas passées ainsi; la compagnie de l’Exposition Universelle s’est entendue non pas avec ses propres employés mais avec les dirigeants de deux centrales syndicales pour obliger ses employés de bureau à se syndiquer et à s’affilier à l’une ou l’autre de ces deux centrales sous peine de perdre leur emploi. C’était contre le gré des employés eux-mêmes comme il ressort du télégramme adressé par eux au Premier Ministre du Canada Lester Pearson et au ministre fédéral du travail Mitchel William Sharp. Le télégramme disait :

Une grande majorité des employés de l’Expo vous exprime par la présente leur vive protestation contre les avis reçus de l’Expo nous pressant d’entrer dans une union sous peine de risquer la perte de notre emploi. C’est là une violation sérieuse du droit de travailler et du droit de quitter le travail, droit garanti par la loi canadienne. Fin du télégramme.

Selon les mots de Jean-Claude Ménard, président du Conseil du travail de Montréal, les employés de bureau de l’Expo avaient à choisir entre être pendus ou être étranglés. Ce n’est guère reluisant dans un pays qui se proclame libre.

Finalement, le 9 mars, la compagnie de l’Expo en est venu à un accord avec les deux centrales syndicales; au terme de cet accord, le personnel engagé avant cette date demeurera libre d’adhérer ou non à l’une deux unions. Mais tous les nouveaux embauchés à partir du 9 mars devront s’inscrire à un syndicat de l’une ou l’autre obédience. Le nombre de ces nouveaux, liés en entrant, devraient avant longtemps dit-on, dépasser le nombre des anciens demeurés libres.

C’est là passer de la liberté d’association à la contrainte d’association. Ce n’est plus de la liberté mais de la dictature. Une dictature pratiquée surtout par des chefs de syndicat mais à laquelle collaborent trop souvent des employeurs et des hommes publics.

Dans un éditorial commentant le cas de l’Expo, le "Global & Mail", le journal de Toronto, fustige cette dictature et signale une situation semblable qui se produit dans la capitale de l’Ontario. Ce journal écrit : À Toronto, le conseil municipal a essayé de forcer les contracteurs auxquels il confie des travaux municipaux – égouts, rues, trottoirs, – à n’employer que des travailleurs affiliés au syndicat "Toronto contracts & buildings Trades". L’an dernier le Conseil adopta un règlement à cette fin mais ce règlement a été déclaré illégal et discriminatoire par la cour d’appel de l’Ontario. Et la cour Suprême du Canada a maintenu ce jugement en refusant l’appel de la ville.

Il y a quelques années déjà, une association ouvrière fut fondée en Ontario justement pour résister à cette tyrannie et pour promouvoir les principes humains et chrétiens en matière de travail. Elle s’appelle "Christian Labour association of Canada" (Association chrétienne des travailleurs du Canada). Les centrales syndicales l’ont vu de mauvais œil; elles ont voulu lui faire refuser par la Commission des relations ouvrières le droit de négocier des contrats collectifs avec les employeurs. Elle alléguaient que son vocable de "christian" et les références de sa constitution à Dieu et à la Bible en faisaient un organisme discriminatoire.

Cette accusation fut portée en cour mais la cour rejeta l’accusation comme non fondée et l’Association chrétienne des travailleurs du Canada a pu négocier plusieurs contrats de travail depuis sa fondation. Cette association est loin de compter un nombre de membres comparables à celui des grosses centrales neutres mais elle exerce tout de même une influence partout où elle s’est introduite, même si ses membres qui sont en nombre minoritaire, elle s’efforce particulièrement de faire obstacle à la dictature syndicale qui oblige l’ouvrier, sous peine de perdre son emploi, à entrer dans le syndicat majoritaire ou au moins à en payer les cotisations.

Citons par exemple le fait suivant : une compagnie, la "Greening metal products and screening co." s’est établie à Orangeville, Ontario, en 1955. Son premier employé fut Hoogendoorn; il compte donc dix années de service. Sept ans plus tard seulement, en 1962, les "United steel workers of America" enrôlaient dans leur syndicat la majorité des employés de la compagnie et ordonnaient le droit de négocier un contrat collectif avec l’employeur. Monsieur Hoogendoorn et deux autres employés, messieurs Maidemblick et Arkema qui comptaient tous les deux neuf années de service avertir la compagnie qu’ils refuseraient de joindre les "United steel workers", union socialiste qui soutient politiquement le NPD - parti socialiste canadien - avec une part des contributions de ses membres.

Le 16 juin 1962, les "Steel workers" de la compagnie signaient leur premier contrat collectif. Ce contrat laissait les employés déjà engagés libre d’adhérer ou non au syndicat mais obligeait tous les nouveaux employés à en devenir membres avant de pouvoir obtenir un emploi. Trois mois avant l’expiration de ce premier contrat, le 3 octobre 1964, Hoogendoorn, Maidemblick et Arkema avertirent de nouveau la compagnie de leur attitude.

Notre vision chrétienne de la vie, écrivirent-ils, ne nous permet d’appuyer d’aucune façon un syndicat fermement engagé envers le socialisme et le parti socialiste NPD. Nous espérons donc que le nouveau contrat sauvegardera la liberté individuelle du travailleur en matière de syndicalisme. Mais il n’en fut rien. Le nouveau contrat liait tout les employés à la clause syndicale et le 17 mars dernier, nos trois hommes furent avertis qu’ils perdraient probablement leur emploi s’ils ne signaient pas.

Ils refusèrent, expliquant que de leur part ce n’était pas une question d’argent mais de principes. Comme preuve de cette affirmation, ils offraient de payer le double de la cotisation mensuelle syndicale de $5, mais pas aux "Steel Workers". Ils verseraient les $10 à une œuvre de charité. Rien n’y fit et le 22 mars les trois furent mis à pied, les trois sont membres de la "Christian Labour Association of Canada".

Mais il y a aussi en Ontario une organisation qui s’appelle Comité pour la justice et la liberté. Elle a pour but de fournir de l’aide légale aux victimes d’injustice. Le cas des trois hommes congédiés d’Orangeville fut communiqué à ce comité qui s’en est occupé tout de suite. Maître Kelsey, adviseur légal du comité, a notifié la compagnie "United Steel workers" que si les trois n’étaient pas réinsérés immédiatement leur cause serait portée en cour. Il n’y a pas eu besoin d’aller en cour; une circulaire du Comité pour la justice et la liberté datée du 2 avril nous apprend en effet que les trois hommes allaient être repris par la compagnie dès le lundi 5 avril.

Les trois ont déclaré qu’ils continueraient de verser la contribution mensuelle de $5 non pas au syndicat socialiste mais à l’Association chrétienne des travailleurs du Canada avec un autre $5 mensuel à la Croix Rouge. Dans la circulaire annonçant cette victoire de la liberté contre la dictature, le Comité écrit :

Notre comité croit que le droit de l’employé au syndicat de son propre choix doit être respecté par tous et qu’aucun syndicat ne devrait avoir le droit de forcer le travailleur à joindre ses rangs pour avoir droit à un emploi. Les syndicats qui ont recours à cette coercition, à cette contrainte, sont coupables de discrimination. Le comité espère que les syndicats du Congrès canadien du travail cesseront cette discrimination. Le droit constitutionnel de chaque Canadien à la liberté d’association et de religion doit être pleinement sauvegardé et toute forme de syndicalisme obligatoire doit être abolie. Fin de la citation du Comité.

Voilà des principes qu’il fait bon entendre proclamer. Mais pourquoi faut-il qu’ils le soient par des voix d’Ontario alors que chez-nous dans notre catholique province de Québec les chefs ouvriers et même des aumôniers comme les Thibeault ou les Pichette et d’autres soutiennent le syndicalisme obligatoire ? La "Christian Labour association of Canada" se dit fière de ses deux "C", le "C" pour Canada et le "C" pour chrétien. Pendant ce temps là, en France et en Nouvelle-France, on fait le contraire; on se défait du "C" chrétien, du "C" catholique.

Dans un congrès extraordinaire les 6 et 7 novembre derniers, tenu à Versailles, la Confédération française des travailleurs chrétiens décida de s’appeler désormais Confédération démocratique du travail. Elle se fondera sur le socialisme démocratique et non plus sur la morale sociale chrétienne. C’est le fruit d’un laïcisme croissant depuis 1936 au sein de ce syndicat français. Le soir de ce congrès cependant, une minorité de congressistes se réuni, se dissocia de la majorité et décida de continuer sous le vocable chrétien.

Dans notre province de Québec on va plus vite une fois qu’on a décidé d’embrasser la gauche. Il n’a pas fallu trente ans de mises en conditions, une dizaine d’années de gauchisme a suffit et dès 1961 l’ancienne CTCC – Confédération des travailleurs catholiques du Canada – devenait la CSN – Confédération des syndicats nationaux – et il n’y a pas eu de minorité pour se dissocier de cette décision. Quant aux aumôniers, mon Dieu, ils semblent n’être là que pour couvrir de leur prestige ecclésiastique l’abandon de la confessionalité tout comme les violations de la liberté d’association par les meneurs socialistes des syndicats ouvriers.

Il reste que la liberté d’association est un droit naturel. Si l’interdiction d’association viole ce droit, la contrainte d’association le viol également. L’exercice de ce droit naturel peut être entravé par des lois, par des règlements, par des contrats mais la violation d’un droit naturel ne le supprime pas. Le droit lui-même demeure et ne peut être détruit ni par des tyranneaux de syndicats majoritaires ni par des décisions de juges ou autres, ni par des clercs titrés.

Souhaitons qu’il y ait au Québec et ailleurs, comme en Ontario, des amants de la liberté qui refusent toute tyrannie ouvrière, comme patronale ou financière, qui ne cessera de la flétrir même quand elle les enchaîne physiquement ou légalement. C’est de la formation de tels patriotes qu’on s’applique à l’école de Vers Demain.

Nous venons d’entendre Monsieur Louis Even, le directeur et fondateur du journal Vers Demain.

Louis Even