Titres sur la production

Gilberte Côté-Mercier le samedi, 13 novembre 1965. Dans Économie

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Mes bien chers amis,

Gilberte Côté-MercierAujourd'hui nous allons parler d'une chose difficile. Mais je suis sûre que vous allez me suivre très bien.

Le titre de la causerie, c'est : Besoin essentiel ; Titre naturel sur les produits. L'argent ; titre conventionnel sur les produits.

Vous savez pourquoi le boulanger fait du pain ? Parce que les personnes mangent du pain. Elles ont besoin de pain pour se nourrir, du moins en général. Le besoin de pain est un besoin essentiel. Le pain est fait parce que j'ai besoin de pain. La production du pain trouve sa raison d'être dans mon besoin de pain ; ça, tout le monde le comprend. Personne ne le conteste.

Cette évidence comporte une conséquence qui est celle-ci : mon besoin de pain me donne des droits sur le pain. Si la raison d'être du pain, c'est mon besoin essentiel, ce besoin lui-même me donne des droits sur le pain, n'est-ce pas ? J'ai des droits sur le pain. J'ai des titres sur le pain. J'ai des titres naturels sur le pain parce que j'ai besoin de pain.

Les besoins essentiels sont les titres naturels sur la production. Mais le producteur aussi a des droits. Le boulanger a le droit d'exiger un retour pour le pain qu'il passe aux besoins. Le boulanger ne donne pas son pain. Il le vend. Il a le droit d'exiger un prix pour son pain. Il a le droit de se faire payer pour son pain.

De nos jours, c'est de l'argent que le boulanger demande pour son pain. L'argent est universellement accepté pour payer toute marchandise. L'argent est une convention entre les hommes. Ce n'est pas une chose naturelle, l'argent, c'est un contrat, une entente entre les hommes pour faire leurs échanges.

L'argent devient un titre sur tous les produits. Un titre conventionnel, pas un titre naturel.

Les besoins sont le titre naturel. L'argent est le titre conventionnel.

On pourrait très bien payer le pain avec autre chose que de l'argent. Avec du travail, par exemple.

Alors le titre conventionnel sur les produits serait le travail. Une convention peut se changer si les parties intéressées le décident. La nature ne se change pas. L'argent, comme titre aux produits peut être déclaré inefficace. On peut changer le titre argent pour un autre titre. Mais le besoin, titre naturel sur les produits ne peut être changé par personne. Il demeurera toujours le vrai titre aux produits, quel que soit le siècle, quelle que soit la civilisation, quelle que soit l'économie du pays.

Dès lors que j'ai des besoins, j'ai des titres naturels sur les produits. Mes titres sur les produits ne rendent pas nuls les titres du producteur, mais ils sont inaliénables et la société doit voir à ce que je puisse faire valoir mes titres naturels, à ce que je dispose de titres conventionnels pour faire valoir mes titres naturels.

Je dois posséder l'argent, titre conventionnel, pour faire valoir mes titres naturels. Je dois avoir tout l'argent nécessaire pour acheter tout le pain dont j'ai besoin. La société doit être organisée de telle sorte que cet argent me vienne entre les mains. Et si le pain est facile à faire, l'argent doit venir facilement entre mes mains. Et si le pain est abondant, l'argent doit me venir abondamment, à moi et à tous ceux qui mangent du pain, c'est-à-dire à tous les citoyens du pays.

La manière la plus facile de me faire parvenir l'argent sera la manière la plus parfaite : l'économie.

L'économie qui me procurera le plus vite, le plus assurément, l'argent, sera le système le plus parfait.

Et le système économique qui me prive d'argent quand le pain ne manque pas, ce système, il est vicieux, comme notre système économique actuel.

Le Crédit Social propose un dividende social garanti à chaque citoyen, suffisant pour la satisfaction de ses besoins essentiels.

Le Crédit Social serait un système économique parfait, tandis que dans notre système économique bancaire d'argent rationné en face de produits abondants, d'argent difficile à toucher en présence de production de produits faits à la chaîne et si rapidement.

Notre système économique actuel est contraire aux faits ; il ne répond pas aux besoins de l'homme ; il ne donne pas les titres conventionnels pour répondre à mes titres naturels sur les produits. Notre système économique est tout ce qu'il y a de plus vicié et nos économistes diplômés devraient être considérés comme des criminels aussi bien qu'un médecin qui tuerait ses patients.

Notre système financier est contre-nature. En outre, il est païen, anti-chrétien. Nul ne peut prétendre vivre dans une cité chrétienne sur notre système économique bancaire qui rationne les titres sur les produits pour les besoins essentiels. Et nul chrétien n'a le droit de favoriser ce système bancaire ni même de le laisser vivre. On est chrétien ou on ne l'est pas. Le chrétien a le devoir de travailler à établir une cité chrétienne dans la mesure des forces.

Ce devoir comporte l'interdiction de poser des actes contre la cité chrétienne.

En 1931, il y a 34 ans, le pape Pie XI écrivait son encyclique Quadragesimo Anno. Dans cette encyclique il dit : " Ce qui à notre époque frappe tout d'abord le regard, ce n'est pas seulement la concentration des richesses, pas encore l'accumulation d'une énorme puissance, d'un pouvoir économique discrétionnaire aux mains d'un petit nombre d'homme " Et il ajoute, le pape Pie XI :

" Ce pouvoir est surtout considérable chez ceux qui, détenteurs et maîtres absolus de l'argent, gouvernent le crédit et le dispensent selon leur bon plaisir. Par là, " dit-il, " ils distribuent en quelque sorte le sang à l'organisme économique dont ils tiennent la vie entre leurs mains si bien que sans leur consentement, nul ne peut plus respirer. "

Mes amis, je vous ai donné les paroles mêmes du pape Pie XI. C'est un pape qui a parlé. L'Église dénonce la dictature de l'argent.

Non, la cité chrétienne ne peut pas être basée sur un système de crédit, sur un système d'argent comme le nôtre. Il faut le changer, ce système d'argent, pour rebâtir la cité chrétienne.

Mais, pourquoi donc nos hommes d'État ne changent-ils pas ce système bancaire païen ? Parce que nos hommes d'État sont aussi païens que notre système bancaire. Du moins dans leur conception de la politique. Dans leur conception de leur fonction d'hommes d'État.

Dans la même encyclique Quadragesimo Anno, Pie Xi ajoute : " La déchéance du pouvoir ", dit-il,

" lui qui devrait gouverner de haut comme souverain et suprême arbitre, le pouvoir, en toute impartialité et dans le seul intérêt du bien commun et de la justice, le pouvoir, " a dit le pape, " est

tombé au rang d'esclave et est devenu le docile instrument de toutes les passions et de toutes les ambitions de l'intérêt. "

C'est le pape qui a parlé encore. Et moi je vous dis que nos hommes d'État ne sont plus des hommes d'État. Ce sont de vulgaires valets des banquiers. La politique est esclave d'une économie perverse. Les hommes d'État ne sont plus des rois mais des laquais. Les rois et maîtres du pays, les vrais souverains, ce sont les banquiers. Aujourd'hui.

Mes amis, si une dictature bancaire universelle empêche les produits de rejoindre les besoins des hommes, si les gouvernements des nations sont des esclaves et non des souverains, si les peuples eux-même sont impuissants à changer leur gouvernement parce que les élections sont contrôlées par les puissances d'argent, qu'est-ce donc qui peut être la force voulue pour donner au 20ème siècle un monde temporel meilleur ? Qu'est-ce qui va changer l'économie barbare et illogique qui nous régit en une économie humaine ? Qu'est-ce donc qui pourra enlever à l'argent sa puissance infernale sur l'homme et replacer l'homme sur un trône d'où il dominerait les choses et l'argent ?

Certes, il lui faut l'intervention de Dieu, une grâce spéciale du Ciel. Mais cette grâce commencera sûrement son œuvre dans le cœur des hommes. " Oui! Le moment est venu de la conversion, de la transformation personnelle, du renouvellement intérieur " dit Paul VI aux nations. Et Sa Sainteté a continué : " Nous devons nous habituer à penser d'une manière nouvelle, l'homme. D'une manière nouvelle aussi la vie en commun des hommes. " Fin des paroles du pape Paul VI.

Mes amis, nos manières actuelles de penser l'argent ne sont-elles pas réellement une hérésie ? L'argent est devenu le tout de la vie. Avec de l'argent, on peut tout acheter, même des consciences, même des hommes d'État, même des nations. L'argent est le grand souverain du monde. Le culte de l'argent dans le cœur de chacun et dans nos mœurs est l'hérésie du siècle. C'est une hérésie matérialiste, bien sûr, puisqu'elle concède plus de valeur à la matière qu'à l'esprit. C'est pire encore qu'une hérésie matérialiste puisque l'argent n'est même pas de la matière. L'argent n'est pas une chose mais uniquement le signe des choses. L'argent n'a pas la valeur d'une chose, de la table que je touche, par exemple. L'argent n'est que le chiffre conventionnel qui marque les choses et qui les mesure. L'argent n'a aucun être naturel, aucune existence réelle, mais une existence de convention.

Et l'homme moderne s'agenouille devant l'argent.. Quelle aberration, quelle déchéance! Les ténèbres épaisses où l'humanité ne peut plus se mouvoir sans choir dans le précipice de la pauvreté, des guerres et des révolutions.

Que chacun de nous modifie sa conception de l'argent ; que chacun fasse en lui-même une conversion ; que chacun apprécie plus les choses que l'argent ; que chacun donne plus de valeur en son cœur aux hommes qu'aux choses ; que chacun admette que toute la création des choses et des hommes est l'œuvre d'un Créateur qu'il faut adorer. Et alors le changement vers un monde temporel meilleur sera amorcé mes chers amis et alors l'abondance de biens sous laquelle croule littéralement le monde civilisé pourra être distribué à tous les hommes de la terre qui trouveront leur rassasiement autour de la table de l'humanité. Mais il faut, qu'au préalable, les hommes reconnaissent que cette table est la table du Père Éternel. Le Père de tous les hommes que Paul VI a évoqué à la fin de son message inoubliable du 4 octobre à New York, devant l'Amérique et l'Europe entière qui le voyaient et l'entendaient.

Vous avez entendu, mes chers amis, le programme du Journal Vers Demain, Rougemont, conté Rouville. À la semaine prochaine, même heure, pour un autre programme.

Gilberte Côté-Mercier