« La démocratie économique: magnifique ! »

le mardi, 01 octobre 2019. Dans Témoignages

Père Henri bouladDans le numéro précédent de Vers Demain (août-septembre 2019), nous avions publié une homélie du Père Henri Boulad, jésuite égyptien, auteur d’une trentaine de livres publiés en 15 langues, et qui donne des conférences partout dans le monde. L’homélie était intitulée : « Cet argent qui pourrit tout ». Le Père Boulad avait aimablement accepté notre invitation d’assister à notre session d’étude et congrès à Rougemont en septembre 2019, et il est en effet venu. Voici donc ses impressions de cette session d’étude, en commençant avec ses paroles du premier jour de la session, le dimanche 22 septembre :


par le Père Henri Boulad, sj

D’abord un grand merci pour votre invitation. Je suis jésuite égyptien, engagé dans Caritas depuis 50 ans. J’ai un rêve, un idéal, un but, une mission : changer le monde. Rien que ça ! Dans les 32 ans qui me restent à vivre (il en a présentement 88), il y a du pain sur la planche ! Et le plus beau, c’est que j’y crois. Par pur hasard, je fais connaissance de votre association à partir de votre revue Vers Demain, qui a eu la gentillesse de publier une de mes homélies sur l’argent (Cet argent qui pourrit tout). Le développement et la justice sociale, c’est très bien, mais derrière cela il y a le problème de la finance mondiale, qui a été affronté par votre association, Vers Demain. Ce qui caractérise votre association, ce sont deux choses, telles que je les vois : vous avez articulé l’action pour la justice sociale avec le spirituel.

Actuellement, il y a une dérive dans l’Église catholique qui fait qu’en s’engageant dans la justice sociale, on devient des travailleurs sociaux, des développeurs, en oubliant la dimension spirituelle. Si on ne change pas le cœur de l’homme, on n’a rien fait. Moi-même, si je suis religieux, jésuite, engagé dans le social, ce n’est pas uniquement pour être un agent de développement économique et social, mais pour changer les cœurs.

J’ai trouvé depuis quelques années un moyen extraordinaire qui s’appelle “youtube” (le site internet). Grâce à cela, je fais l’homélie le dimanche, et le lundi elle est sur l’internet. Des milliers de gens à travers le monde peuvent ainsi suivre mes homélies. C’est un moyen de conscientiser les gens, changer leur vision du monde, changer leur cœur.

Assez de ce monde à deux vitesses, assez de cette exploitation ! J’ai appris il y a quelques jours que l’homme le plus riche du monde, disons Rockefeller, a un revenu quotidien de 3,6 milliards de dollars. Quotidien ! S’il me donne un pour cent, je m’en contente. Et M. Pilote me disait tout à l’heure qu’en 1850, la famille Rothschild possédait la moitié de la fortune mondiale.

Donc, il y a du travail à faire. J’y crois. Et quand j’ai appris récemment toutes les ramifications de la franc-maçonnerie liées à l’argent, à travers un prêtre canadien, le Père Jean-Paul Régimbald, trinitaire, que certains d’entre vous ont certainement connu, j’ai été terrorisé. Je savais que la franc-maçonnerie avait infiltré la finance, mais pas à ce point. Il avait tellement « noirci le tableau » si je puis dire, que celui qui l’interviewait lui demandait : « Avec tout ça, vous avez encore une espérance ? » Le Père Régimbald répondit : « Absolument ! Le Christ a vaincu, il a terrassé le dragon, il aura le dernier mot. » Merci.

Voici maintenant des extraits des réflexions du Père Boulad à la fin de notre session d’étude, le vendredi 27 septembre :

Votre livre « La Démocratie Économique » : magnifique ! Magnifique parce que lorsque la Révolution Française a proclamé la démocratie politique, avec le slogan « Liberté, égalité, fraternité », ça n’existait que sur le papier, mais pas dans la réalité. Ce qui est magnifique dans cette étude, cette démarche de Vers Demain, c’est comment traduire la démocratie politique, l’appliquer de façon concrète. Prenons par exemple le mot « liberté » : est-ce que je peux être libre si je n’ai pas de quoi manger ?

Dieu a créé la terre débordante de ressources : ressources naturelles, ressources humaines, c’est riche, c’est plein ; il y a dans l’idée de la création la plénitude : tout déborde, c’est l’abondance. Voyez les forêts, voyez les océans, voyez l’énergie solaire qui se déverse sur la terre — des milliards de milliards de milliards de kilowatts à chaque instant. Et tout ça est gaspillé. C’est pour dire qu’il ne faut pas être pris de panique, parce que la Terre peut nourrir non seulement 7 milliards d’êtres humains, mais 70 milliards. J’ai des preuves et des chiffres.

Un problème de distribution

Comme disait Louis Even, c’est une question de répartition, de distribution, et non pas une question de manque de ressources ou de production. Quand Malthus, au 18e siècle, a prévu la famine généralisée dans le monde, en calculant la courbe démographique de la planète, il n’avait pas prévu une chose toute simple : la croissance technologique, technique, scientifique, progresse 50 fois plus que la croissance démographique. 50 fois plus. Parler de croissance démographique sans tenir compte des autres facteurs, c’est semer la panique inutilement.

Quand on parle maintenant de limiter les naissances, etc., on ignore le fait qu’on a des surplus énormes. On en a parlé durant cette session d’étude ; il y a 20 ans ou 30 ans j’étais à Bruxelles avec le type qui signait les chèques pour les cultivateurs : on demandait aux cultivateurs français de ne pas planter, de ne pas cultiver, de ne pas produire, on en a trop. Alors, ce type a signé devant moi des chèques pour 35 milliards d’écus (l’ancêtre de l’euro) à remettre aux cultivateurs pour qu’ils ne produisent rien, qu’ils laissent leur terre en jachère !

Alors, la question posée par Louis Even est tout à fait pertinente : ce n’est pas une question de possibilités ni de production ni de ressources, c’est une question de répartition... L’humanité s’acharne pour arriver à régler cette question : on est arrivé à un système de voleurs, où une poignée de multimilliardaires dirige le monde et empoche des revenus colossaux sans rien faire, sans rien produire.

La personne humaine au centre

L’immense mérite du christianisme est d’avoir mis au centre du monde l’être humain, la personne humaine. Rien, aucun système, aucun régime politique, aucune philosophie, aucune religion n’a, comme l’Église catholique, placé la personne au centre comme une réalité sacrée, unique, qui mérite d’être respectée infiniment, quel que soit sa force physique ou mentale, quel que soit son statut social, etc. Qu’on fasse des guerres, qu’on crée des guerres pour vendre des armes, et qu’on massacre dans ces guerres des centaines, des milliers, des millions de gens, ne pose aucun problème aux grands financiers de la planète. L’argent a supplanté la personne. L’être humain n’a aucune valeur aujourd’hui. Et si le christianisme a une pertinence, c’est précisément d’insister sur la centralité de la personne humaine.

Nous devons réfléchir, créer de nouvelles solutions. Et je salue justement dans Louis Even cette initiative ; au lieu de se lamenter en disant : « Il y a de la pauvreté, c’est tragique ! », il a agi, il a créé, il a inventé. Alors, ce Crédit Social est merveilleux... Je reprends les paroles d’Alain Pilote, il s’agit de « créer un ordre juridique, social, politique, pour assurer à chacun ce minimum nécessaire pour vivre décemment. Inventer un nouvel ordre. Pas le « nouvel ordre » (mondial) actuel dont on parle qui est uniquement un combat de rapaces, si je puis dire, où on cherche à drainer la richesse mondiale vers certaines banques, certains individus — qui sont les maîtres du monde, il faut bien le dire. Mais comment traduire dans les faits, dans les lois, dans les règlements, ce principe de l’égalité, de l’accès de tous aux biens de la Terre.

La Démocratie Économique consiste à mettre en place des mécanismes qui permettront une véritable liberté, une véritable égalité, une véritable fraternité. Couvrir les besoins de l’homme, à condition que ces besoins soient réels et non pas artificiels. Or, ce nouvel ordre mondial qui est en train de gagner la planète, comme il ne vise pas le bien de l’être humain mais le profit, a créé des besoins fictifs, illusoires. On veut combler ces besoins, alors qu’il n’y a pas de besoins au point de départ. On crée ces « besoins » pour faire fonctionner l’économie et engranger des bénéfices.

Une réforme morale et spirituelle

Père Henri Boulad et Marcel LefebvreAlors, finalement, derrière ce nouvel ordre mondial à inventer — à inventer, parce qu’on n’y est pas encore — il y a une réforme, ou plutôt une révolution morale de l’humanité à opérer. Morale et spirituelle. Sans une base spirituelle, le monde va vers la décadence. C’est le spirituel qui est la base de tout.

Et ce que j’admire dans votre mouvement, votre association, c’est que vous mettez Dieu au centre, avec la Vierge Marie qui est son instrument privilégié, et sans laquelle il ne fait rien. Ce lien entre le crédit social et Fatima (1917) interpelle... Le fait que votre association ne consiste pas seulement en parlotes ou discussions, mais est réglée par la prière, plusieurs fois par jour, est pour moi significatif. Vous voulez créer un ordre qui ne soit pas seulement un arrangement d’ordre socio-politico-économique, mais vous voulez un ordre enraciné dans le spirituel… qui puisse répondre à ces questions fondamentales : Pourquoi est-ce que je vis, pourquoi j’existe, où est-ce que je vais, y a-t-il quelque chose après la mort. Sans cette base théologique, on fait de l’homme une espèce de champ d’expérimentation.

Un autre point qui a été soulevé durant cette session d’étude et que j’ai bien aimé : ce qui est légal n’est pas nécessairement juste. Ce qui est permis légalement ne l’est pas nécessairement moralement. Mais les gens confondent tout : l’avortement est légal, donc il est permis. Légalement, oui, mais moralement, non ! C’est là que je parle d’un besoin de réflexion, voir comment nos politiciens, nos économistes, etc., mélangent tout. Avoir des idées claires aujourd’hui est essentiel. Chaque jour je me penche sur l’actualité politique, économique, scientifique, pour réfléchir et savoir où va le monde. Où allons-nous ? Où voulons-nous aller ? La chute d’un dictateur, une élection, l’Union européenne, le Brexit, tout ça, ça signifie quoi ?

Dans la même ligne, je pense qu’il est urgent pour nous de nous informer sur ce qui se passe — pas seulement les nouvelles du journal télévisé de soirée ou des faits divers, et pas seulement parce qu’il y a des grands médias qui sont tous floués, orientés, faussés, pervertis : toute l’information aujourd’hui s’appelle désinformation. On vous raconte des histoires. La preuve : Greta (Thunberg, la jeune suédoise de 16 ans qui milite pour la protection de l’environnement). C’est attendrissant de la voir, cette petite fille, elle pleurait, et ça nous a fait pleurer, on se dit : « Elle a certainement raison parce qu’elle pleure… » Elle est allée jusqu’à s’adresser aux Nations Unies. Mais qui l’a poussée jusqu’à l’ONU, sinon les mondialistes, qui ont l’ONU en main, ainsi que tous les organismes internationaux. Alors il faut réfléchir pour savoir ce qu’il y a derrière les événements actuels. Et aujourd’hui nous avons besoin de réfléchir en groupes, pas seulement seul. Par exemple, former des cercles d’étude, on prend un thème… Nous avons besoin ensemble — comme on le fait ici d’ailleurs — d’entrer en profondeur au-delà des nouvelles superficielles qui ne vont qu’à la surface des choses.

Rien n’est joué, rien n’est gagné, et rien n’est perdu. Ça veut dire que ce qu’on fait, c’est une goutte d’eau dans l’océan, une petite action. Le danger c’est de penser qu’on est devant une montagne à soulever. Effectivement, c’est une montagne à soulever. Dans ce monde qui se construit autour de nous, dans le système monétaire international, le système politique international, on se sent si petits, si fragiles, si faibles, qu’on se dit : « Je n’y peux rien. »

Et pourtant, c’est à partir de cette prise de conscience de notre fragilité, de notre faiblesse, de notre impuissance, que nous pouvons commencer à construire. Pas sur nos possibilités, notre force intellectuelle ou matérielle, mais sur l’Esprit de Dieu, qui planait aux origines, qui planait sur le Cénacle le jour de la Pentecôte, et qui continue de planer sur l’Église, sur le monde aujourd’hui… sur moi, sur nous. L’Esprit nous est donné. « Voici que je fais de toi une ville fortifiée, une colonne de fer et une muraille de bronze » (Jérémie 1, 18.) Celui qui a l’Esprit, c’est du béton armé, c’est une bombe atomique. Et l’Esprit se puise dans ce contact direct avec Dieu, qui prend le plus faible des plus faibles pour lui dire : « Va, je t’envoie. » Cette parole nous est adressée à chacun et à chacune.

Donner de l’espérance

Pour moi, la nouvelle évangélisation, c’est celle qui donnera au monde d’aujourd’hui une espérance. Tous les créateurs de l’histoire ont été appelés des utopistes. Devant des situations apparemment closes, fermées, désespérées, ils ont relevé le défi. Et nous sommes cette poignée de gens assez naïfs pour croire que nous pourrons changer le monde. Oui, nous pouvons changer le monde : ça a commencé avec douze (les douze Apôtres), puis soixante-douze, et puis, et puis. Quand on voit comment le christianisme a modifié la trame de l’histoire, il est temps de se dire : « Revenons à cette source révolutionnaire qu’on appelle le christianisme, qu’on appelle le Christ. »

Le livre de l’Apocalypse nous parle du dragon et de la bête. Sous ces deux mots, dragon et bête, vous pouvez mettre le nazisme, le communisme, l’islamisme et tout le reste ; les noms changent, la réalité demeure. Les forces du mal sont en travail dans l’histoire. Comme disait saint Paul, « nous n’avons pas à combattre le chair et le sang, mais les dominations, les principautés, les puissances de ce monde de ténèbres » (Éphésiens 6, 12) qui agissent dans le monde. Elle sont partout. Mais comme le dragon a été écrasé et terrassé, la bête sera jetée dans l’abime de feu (Apocalypse chapitre 20) et c’est fini.

Quand je me réveille le matin à 6 heures ici à Rougemont, grâce à celui qui me dit dans le micro : « Ave Maria, debout pour le combat ! », j’aime bien cette expression, c’est sympathique, mais ça dit aussi quelque chose : oui, nous sommes dans un combat de géants, David contre Goliath. « Ne crains pas », nous dit la Bible. Ce sont des paroles qui reviennent, paraît-il, 365 fois dans le Bible. Donc vous avez un « ne crains pas » chaque jour. « N’aie pas peur, ne crains pas, je suis avec toi. » « Si Dieu est avec nous, qui sera contre nous » (Romains 8, 31).

La foi doit devenir une force vivante et agissante en nous et dans la société. La foi, c’est le nerf de l’histoire. Ceux qui ont agi dans l’histoire croyaient à quelque chose, croyaient à un idéal. Il faut croire qu’un autre monde est possible, et que Jésus n’est pas venu pour des prunes, pour rien. Et il a gagné ! Alors, pas de panique, le combat est gagné d’avance. Nous luttons pour un combat déjà gagné.

La Vierge Marie, qui est apparue à Fatima en 1917, nous a mis en garde, mais en même temps elle nous a apporté une espérance : « À la fin, mon cœur immaculé triomphera. » Demandons-lui, à travers Vers Demain, à travers de ce que chacune et chacun de vous fait dans son petit coin du globe, la force de la foi et la lumière de l’espérance. Merci.

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