« Québec, réveille-toi, un jour nouveau commence »

le mercredi, 01 octobre 2014. Dans Église canadienne

Homélie du cardinal Ortega pour les 350 ans de Notre-Dame de Québec

Le dimanche 14 septembre 2014, fête de la Croix glorieuse, le cardinal Jaime Lucas Ortega y Alamino, archevêque de La Havane à Cuba et envoyé spécial du Pape François, célébrait une messe solennelle en la Basilique-cathédrale Notre-Dame de Québec pour les 350 ans de cette première paroisse catholique en Amérique du Nord, anniversaire qui a valu à Notre-Dame de Québec le privilège d’avoir une porte sainte, la seule en dehors de l’Europe, qui sera fermée le 28 décembre 2014, fête de la Sainte Famille.

2014 aura donc été une année exceptionnelle pour l’archidiocèse de Québec, avec le don de deux nouveaux saints par le Pape François. Le thème de l’homélie du cardinal Ortega ressemble d’ailleurs beaucoup à celui employé par le Saint-Père le 12 octobre à Rome, en insistant sur le fait que le Québec est une terre de missionnaires, et qu’il ne doit pas oublier ses racines chrétiennes. Voici dex extraits de cette excellente homélie du cardinal Ortega :

Chers frères et sœurs, il y a plus de 400 ans, sur le paysage exubérant des lacs et des montagnes, des bois et des prairies de cette terre merveilleuse du Canada, blanche ou verte, rouge et jaune, fût dressée la Croix du Christ. Sur cette Croix, mise en haut par les évangélisateurs de la première heure, les porteurs eux-mêmes de la Bonne Nouvelle furent immolés. Ils ont subi le martyre, des années avant la création de la paroisse Notre-Dame de Québec. Leur sang a fécondé cette terre canadienne qui a produit tant de fruits de sainteté et d’amour chrétien. Les bénéficiaires de cette récolte ont été, en premier lieu, les fils et les filles du peuple laborieux, braves et renchéris de la Nouvelle-France, qui a su faire face à la dureté du climat et aux avatars d’une histoire particulière et pleine de changements, dans laquelle la foi chrétienne a été la flamme pour réchauffer la froideur des cœurs, la lumière qui, à travers les ombres des longs hivers, a empêché qu’on perde de vue l’amour familial, la valeur personnelle et sociale du travail, la solidarité comme peuple désireux de garder sa culture, sa langue, ses belles traditions qui se sont toutes affermies sur la foi catholique.

Cette foi a été vécue autour des églises paroissiales où les prêtres ont dû assumer alors, pour l’accompagnement pastoral de son peuple, beaucoup de rôles de suppléances. Ainsi, monsieur le curé était en même temps le médecin, le banquier, le juge et l’avocat. Dans des lieux voisins à l’église paroissiale, après la messe du dimanche, se réglaient entre chrétiens les problèmes des piquets de clôtures déplacés sur la propriété d’un autre cultivateur, ou se vendaient et s’achetaient des agneaux et des vaches. C’est le Canada français que j’ai encore connu dans les temps où mes confrères du Séminaire des Missions Étrangères de Pont-Viau (Laval, au nord de Montréal) m’invitaient chez-eux pour les vacances d’été et pour y « faire les foins » en famille. C’est sûrement un Québec merveilleux et dépassé, quand les familles étaient nombreuses et les soirées de famille inoubliables. Là, on racontait des histoires et tous chantaient, les plus vieux avec nostalgie, et les plus jeunes avec espérance : « Le ciel est bleu, réveille-toi, c’est un jour nouveau qui commence ».

Chers frères et sœurs canadiens : 350 ans après l’établissement de la première paroisse du Québec, Mgr François de Laval, votre saint évêque fondateur, un missionnaire inlassable qui est mort en nous laissant le témoignage d’un grand pasteur, semble vous inviter à commencer un jour nouveau dans votre vie chrétienne. Avec lui, et avec le Pape François, je veux vous dire à chacun de vous, chers Québécois, chers Canadiens : « Réveille-toi, un jour nouveau commence » au vingt-et-unième siècle pour l’Église du Québec, pour l’Église du Canada. Cela ne veut pas dire que le passé doit être oublié et encore moins rejeté. Un peuple qui oublie ou rejette son passé peut se dissoudre dans les structures rigides et monotones d’un monde global sans visage, ni figure et perdre son identité.

Il y a des structures et des façons d’agir qui furent valables pour le temps passé, quoiqu’on y trouve aujourd’hui les ombres qui accompagnent toujours la lumière. Mais cela a été le moyen que les anciennes générations ont trouvés pour proposer et soutenir des valeurs personnelles, familiales et sociales, pour développer des attitudes et comportements humains qui constituent aujourd’hui le riche patrimoine de votre peuple, et pour cultiver chez les peuples les vertus chrétiennes, vécues parfois de façon héroïque, comme en témoigne la vie lumineuse des premiers missionnaires, prêtres et religieuses, et d’autres chrétiens qui les ont suivis. Quelques-uns d’entre eux sont inscrits au catalogue des saints et saintes : saint François de Laval, sainte Marie de l’Incarnation et les bienheureuses Marie-Catherine de Saint-Augustin et Dina Bélanger. Mais il y a aussi un bon nombre de prêtres, religieux, religieuses et laïcs, hommes et femmes, pères et mères de famille, qui se sont sanctifiés dans l’anonymat de la vie quotidienne. Ils ont dressé très haut la Croix glorieuse du Christ, et non pas seulement devant vous, Canadiens, car l’ombre de la Croix, portée par vos missionnaires, a couvert de vastes régions du monde.

L’Amérique latine et les Caraïbes, l’Afrique et l’Asie ont connu l’ardeur missionnaire de l’Église du Québec à travers des prêtres, religieux et religieuses, qui sont venus partager la vie et la souffrance de ces peuples pour annoncer l’Évangile. Ma présence ici est celle d’un bénéficiaire de cet esprit missionnaire de l’Église québécoise qui a amené à Cuba, aux années cinquante du siècle passé, presque une centaine de prêtres des Missions Étrangères de la Province de Québec et plus d’une centaine de religieuses de différentes congrégations de cette même Province. Les Prêtres des Missions Étrangères étaient responsables du Petit Séminaire de mon Diocèse où j’ai fait quatre ans d’études avant de venir à Montréal pour étudier la théologie chez-eux au Séminaire de Pont-Viau.

Tout cela a créé des liens d’amitié et de gratitude de ma part envers l’Église de la Province de Québec, et spécialement envers les chers prêtres missionnaires avec lesquels j’ai fait non pas seulement mes études, mais dont j’ai reçu, dans le climat missionnaire du Séminaire de Pont-Viau, l’esprit évangélisateur que j’ai conservé, grâce au Seigneur, jusqu’à mon cinquantième anniversaire d’ordination sacerdotale. C’est pourquoi le Pape François, connaisseur de ma relation spéciale à cette Église du Canada, a voulu me désigner son délégué pour cette célébration. Dans la lettre que le Saint-Père m’a adressée pour me confier cet honneur, il fait une référence concrète à la mission évangélisatrice de l’Église et me demande d’exhorter spécialement les prêtres à la mission. C’est ce que je fais en pensant plutôt à cette nouvelle évangélisation que vous devez déployer en votre pays.

Le Québec, qui se trouve en Amérique et n’a pas beaucoup plus de 350 années de vie ecclésiale, est cependant un pays de vieille chrétienté, parce qu’il fut fondé par des catholiques venus de la France, considérée en ce temps encore un pays catholique, car il n’avait pas subi les grands ébranlements produits dans d’autres régions de l’Europe par la réforme protestante. L’Église du Québec fut donc établie selon le modèle de vie ecclésiale existant en France. Mais plus tard, quand les mouvements sociaux et la révolution ont agité la France et toute l’Europe continentale, l’Église du Québec fut protégée des effets de ces événements, car le Canada s’était détaché de la France avant qu’ils se produisent.

Donc, c’est le mouvement séculariste tardif du XXe siècle qui a secoué le Canada, et très spécialement le Québec, le responsable des conditions de déchristianisation qu’on y trouve. Celles-ci sont semblables à celles qu’on trouve dans d’autres parties du monde dans des pays de vieilles chrétientés, mais avec les particularités propres de votre histoire. C’est pourquoi, de façon semblable aux pays de vieille tradition chrétienne, il faut déployer ici un actif processus d’évangélisation. C’est cette seconde évangélisation à laquelle le Saint Père invite toute l’Église et très spécialement les prêtres qui doivent être les premiers évangélisateurs.

Chers prêtres : la mission commence aujourd’hui par les voisins du presbytère. Le Pape François emploie souvent la phrase : « il faut sortir », en référence aux prêtres et aux chrétiens qui intègrent les communautés catholiques. Oui, il faut sortir de l’église, il faut traverser la rue, il faut aller vers les quartiers éloignés pour rencontrer les gens, en commençant par les plus pauvres, les personnes âgées, les malades, les marginaux, les égarés, sans oublier évidemment les jeunes et les familles qui vous entourent. Quand le Pape François nous envoie aux périphéries, il ne veut pas dire seulement les ceintures de misère matérielle qui entourent les grandes villes. Le Saint Père parle aussi des périphéries culturelles, des périphéries de la foi, de l’incroyance, de l’addiction, du péché. Ces périphéries, on les découvre tout près de nous, quand nous « sortons de nous-mêmes » pour devenir capables de voir, avec les yeux de la foi, les hommes et les femmes qui nous entourent. Nous comprenons alors qu’ils nous attendent, sans même le savoir.

Chers frères et sœurs, la crise de l’Église dans le monde actuel est une crise de foi. La foi est en même temps don de Dieu et réponse de l’homme. Donc, nous devons la demander humblement : « Seigneur, je crois, mais augmente ma foi ». De notre part, nous devons nous proposer de vivre la foi, de cette foi en Jésus Christ, qui a vaincu la mort sur la Croix glorieuse qui se dresse devant nous en cette fête comme signe de salut et source d’espérance. Tout près de la Croix était la Vierge Marie et le disciple que Jésus a tant aimé. Cette première paroisse du Québec a été mise sous la protection de Notre-Dame, la Vierge Marie. Jésus nous l’a donnée comme Mère du haut de la Croix. Marie est l’étoile qui, dans l’aube de l’évangélisation, précède toujours le Christ. Demandons à Notre-Dame d’ouvrir les chemins de l’Évangile aux disciples qui veulent s’engager ici, dans la foi, à cette nouvelle évangélisation, la deuxième annonce du Christ Sauveur que le peuple canadien attend de vous et dont il a besoin pour rencontrer le chemin de cette plénitude de vie et d’espérance qui peut venir seulement du Christ Sauveur.

À Lui tout honneur et toute gloire, dans les siècles des siècles.

Cardinal Jaime Ortega

Cardinal Ortega célèbre la messe dans la Basilique Notre-Dame de QuébecLe cardinal Ortega (au centre) célèbre la messe dans la Basilique Notre-Dame de Québec, entouré du cardinal Lacroix, de Mgr Luigi Bonazzi, nonce apostolique au Canada, Mgr Paul-André Durocher, président de la Conférence des Évêques catholiques du Canada, et Mgr Denis Bélanger, curé de la cathédrale de Québec.

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