Pas de paix sans Dieu

le vendredi, 01 mars 1946. Dans Catéchèses et enseignements

Les lignes qui suivent sont extraites du remarquable discours prononcé à la radio d'Edmundston, Nouveau-Brunswick, par le nouvel évêque d'Edmundston, S. Exc. Mgr Roy, o.f.m.

Monde de guerres et de haines

Depuis bientôt six ans, on n'entend parler que de guerre, d'effusion de sang, de boucheries humai­nes, de haines implacables et de vengeance sau­vage.

Au loin, ce sont encore des armées aux prises, des résistances acharnées de peuplades justement jalouses de leurs richesses et de leur autonomie. Plus près de nous, se multiplient les luttes de clas­ses, les grèves d'employés contre patrons, les dis­sensions qui soulèvent périodiquement des vagues de fond. Partout, flottent un air de cimetière, une atmosphère pestilentielle et lourde.

À la faveur de ces perturbations, l'esprit de Mos­cou s'infiltre jusque dans les milieux qu'on pourrait croire les mieux conservés.

Triste constatation, les hommes faits pour s'ai­mer et être relativement heureux dans l'union s'en­tre-déchirent, se traquent mutuellement comme des bêtes fauves et coulent des jours amers. De­vant les funèbres théories de veuves et d'orphe­lins, comme une autre Rachel, l'Église se montre inconsolable.

Pourtant, le Christ n'a prêché la guerre que contre le mal. Aux hommes, c'est la paix qu'il est venu apporter. Il l'a même recommandée avec une force de langage qui prend souvent la figure du paradoxe :...

Évidemment, il est plus facile d'allumer l'incen­die que de l'éteindre, plus aisé de diviser les hom­mes que de les unir.

Les agents de Moscou le savent, qui attisent avec une ténacité digne d'une meilleure cause le feu des discordes.

C'est là une raison non de se taire, mais de par­ler plus haut ; non de verser dans un pessimisme de chaise-longue, mais de se camper dans un réalisme vigoureusement réactionnaire...

La paix n'est l'œuvre que de Dieu

Oui ! Redisons-le bien haut pour forcer même les sourds à l'entendre : la paix vient de Dieu, elle ne vient que de Dieu. Elle est son œuvre propre. Il la réserve aux seuls méritants comme une récompen­se anticipée.

Conjurer l'orgie et le massacre des guerres ; im­poser silence aux canons et aux mitrailleuses ; ré­duire la puissance destructive de la bombe atomi­que ; étouffer les ambitions des assoiffés de sang et de conquête ; pacifier les peuples et liquider les causes de dissensions ; mettre fin au carnage et à la barbarie que l'impudence appelle encore civilisa­tion ; museler les chacals humains qui attentent aux droits des autres ; redonner à l'homme une jus­te conception de sa dignité et une claire vision de sa destinée, lui réassigner sa mission et son rôle dans le Corps Mystique du Christ, enfin l'éclairer sur le point de départ et sur le terme de sa trajec­toire — ah ! vraiment, il n'y a que Dieu qui en soit capable.

Ni Truman, ni Attlee, ni Staline

Essayez tant que vous voudrez, messieurs Tru­man, Attlee et Staline ; multipliez, aussi souvent que vous y poussera votre impardonnable naïveté, les rencontres et les palabres ; parcourez le monde en tous sens, cherchant un coin de sécurité où vous regarder le blanc des yeux et vous tromper à qui mieux mieux ; signez malproprement des traités malpropres ; sacrifiez crapuleusement les petites nations pour mieux gaver les grandes ; ratifiez des conventions adultères et des ententes où vous ne vous entendez pas ; tirez sur la couverte ou trem­blez, selon que vous êtes ou plus accapareur ou plus lâcheur ; parlez de paix avec la haine dans le cœur, désarmez en réarmant, promettez solennel­lement de protéger l'humanité pendant que vous cherchez de nouveaux engins de destruction ; affir­mez votre désir sincère d'apaiser les passions alors que votre cinquième colonne les allume d'un feu plus incendiaire ; enfoncez-vous dans votre suffi­sance, faisant fi des sanglots qui ne sortent pas de votre gorge et des larmes qui ne tombent pas de vos yeux ; continuez d'entendre la voix du Pape sans l'écouter — c'est épouvantablement votre af­faire ! Mais jusque-là, vous n'avez rien fait pour instaurer la paix, parce que vous ne l'avez pas de­mandée à Dieu et à sa loi immortelle.

La paix ne vient que de Dieu ! Les âmes droites en sont depuis longtemps convaincues. Il ne reste que les crétins à en douter.

Les hommes sont seulement des instruments de pacification, et encore des instruments utiles dans la seule mesure où ils reconnaissent et remplissent leur rôle d'instruments. S'ils ne s'astreignent pas à la part que leur taille Dieu, ils deviennent les pires ennemis de la paix, des bandits de l'histoire, des organisateurs de la victoire du mal sur le bien...

Contre la paix

Il faut être impudent ou cynique, probablement cyniquement impudent, pour espérer nous chloro­former avec de langoureuses considérations sur la paix, alors que, parallèlement, des sacripants poursuivent systématiquement et avec une furie satanique une lutte bestiale contre les meilleurs éléments de la paix...

En effet, a-t-on jamais vu une conjugaison aussi malpropre de paroles pour la paix et d'actes con­tre la paix ?

Il y a contre la paix les crimes des peuples vain­cus et les forfaits des peuples vainqueurs. Il y a les exigences invraisemblables des potentats et les con­cessions plus invraisemblables des gouvernants pris de tremblement. Il y a les impiétés, les blas­phèmes, les scandales, les pirateries, qui se multi­plient avec autant de facilité sous le manteau de la démocratie cancéreuse que sous l'oppression de la dictature hypertrophiée. Il y a tout ce que l'or­gueil, la cupidité, le droit du plus fort, les roueries et les intimidations du plus menteur, la folie de domination et les incestueuses alliances accumu­lées de ruines.

Il y a contre la paix les mépris effrontés de la loi de Dieu, les attaques rageuses et diaboliques con­tre l'Église, la boue lancée à jets intermittents con­tre le Pape, l'insolence du libertinage. Et il y a les innombrables dénis de justice et les brutales viola­tions de la charité chrétienne.

Il y a surtout (et il faudrait le dire en pleurant), i1 y a les pires choses commises par ceux qui de­vraient être les meilleurs : apostasies pratiques dans un catholicisme doctrinal, peur de s'afficher tel qu'on devrait être à la seconde de la mort, tra­hisons froides et concertées, esclavage de la sensua­lité et de la mollesse ; il y a tout ce que l'excès de luxe, tout ce que l'amour intempérant du plaisir, tout ce que l'abus des commodités de l'appétit de la vie légère, tout ce que l'effroi devant le sacrifice, la loi sacrilège du moindre effort et l'asservisse­ment aux délices de l'existence, accumulent quoti­diennement, et à un rythme accéléré, de saletés morales et de déchets.

Il y a les vices abominables que saint Paul re­commande de ne pas nommer pour le seul plaisir de les nommer, ces monstres de péchés commis par des historiens au cœur malpropre et à l'âme gue­nilleuse.

Et il y a les hypocrisies bien habillées que des traîtres souriants offrent au Christ comme Judas lui offrit son baiser. Il y a les duplicités courtes d'eau bénite et de signes de croix, perpétrées par des mannequins de croyants qui ricanent sous cape, ou par des infects qui avalent l'iniquité comme l'eau et crachent le mal comme leur salive.

À les entendre, tous ceux-là, et quelques autres encore, voudraient la paix, mais sans cesser de guerroyer contre l'Auteur de la paix. Ils font mine de la demander, en ne faisant rien pour l'attirer. Ils se dressent même orgueilleusement devant Dieu et le somment de la laisser tomber sur un monde tout fiévreux de haine, éclaboussé du sang de la vengeance, englué dans la boue du vice.

Ils demandent à Dieu de pacifier les peuples, et ils lui défendent de troubler le conseil des na­tions qui le répudient ou de déranger les habi­tudes des pouacres qui l'insultent. Pour un peu, ils polissonneraient jusqu'à lui crier : Donnez-nous donc ce que nous vous demandons, mais restez chez vous !...

On ne tente pas Dieu en vain

Voilà à quelles diaboliques oraisons jaculatoires se résument ces suppliques impies. On refuse de rendre hommage à Dieu, mais on multiplie les courbettes devant Staline. On méconnaît les droits du Maître suprême, on cède tout au san­guinaire russe. On défie audacieusement le Créa­teur, on tremble devant l'ours moscovite.

Tout cela ne va pas sans quelques remords de conscience. On a tôt fait de les calmer par d'emphatiques déclarations sur la dignité de l'homme, sur la sauvegarde de la liberté, sur les valeurs spirituelles du christianisme.

On croit béatement que bien parler dispense de bien agir. Et encore, on a la précaution de n'en parler qu'à distance, enfermé dans un studio où se conjuguent la fumée de cigares et les relents de cocktails, ou confortablement pelotonné dans un fauteuil de Parlement. Même là, la crainte des représailles et la peur de se compromettre impo­sent silence sur le nom de Dieu. On l'exclut des traités, des conventions, des textes de lois, des semaines d'éducation... On l'exclurait même du ciel si on en était capable ! Devant l'impossibilité de concilier l'inconciliable, on chuchote : Sau­vons Barrabas et livrons le Christ, nous arran­gerons cela plus tard !

Qu'on cesse de se leurrer, et surtout de nous leurrer ! Il n'y a qu'une source de paix, et c'est Dieu.

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