«L’Église souffre, elle est bafouée et ses ennemis sont à l’intérieur. Ne l’abandonnons pas!»

le vendredi, 01 mars 2019. Dans Infiltration

Extraits du nouveau livre du cardinal Robert Sarah

Nous avons déjà publié, dans Vers Demain de mars 2015, des extraits du premier livre du cardinal Robert Sarah, «Dieu ou rien, entretien sur la foi», une interview avec l’écrivain Nicolar Diat, dans lequel le cardinal cherche à réveiller l'ardeur des chrétiens. Le 20 mars 2019 sort en France, aux Éditions Fayard, le troisième livre du cardinal Sarah, réalisé aussi avec Nicolas Diat, dont le titre est: «Le soir approche et déjà le jour baisse», qui traite de la profonde crise spirituelle, morale et politique du monde contemporain. Il parle aussi d’ailleurs sans détour de la crise des abus sexuels dans l’Église, et quelle attitude nous devons avoir face à cette crise.

Le cardinal Sarah est un être exceptionnel: en 1979, à l’âge de 34 ans, il était nommé par Jean-Paul II archevêque de Conakry en Guinée, devenant ainsi le plus jeune évêque du monde. En 2001, il est appelé à Rome par Jean-Paul II. En octobre 2010, le pape Benoît XVI le nomme président du Conseil pontifical Cor Unum, et le crée cardinal quelques semaines plus tard. Le 23 novembre 2014, le pape François le nomme préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements, poste qu’il occupe encore aujourd’hui.

Voici de larges extraits de la préface du nouveau livre du cardinal Sarah, tirée de son site Facebook, où le cardinal écrit: «Après “Dieu ou rien”, et “La force du silence”, “Le soir approche et déjà le jour baisse” est le dernier tome du triptyque que j’ai voulu écrire. Ce livre sera le plus important. Car je considère que la décadence de notre époque a tous les visages d’un péril mortel.»

par le cardinal Robert Sarah

Le mystère de Judas

Dans mon dernier livre, je vous invitais au silence. Pourtant, je ne peux plus me taire. Je ne dois plus me taire. Les chrétiens sont désorientés. Chaque jour, je reçois de toute part les appels au secours de ceux qui ne savent plus que croire. Chaque jour, je reçois à Rome des prêtres découragés et blessés. L’Église fait l’expérience de la nuit obscure. Le mystère d’iniquité l’enveloppe et l’aveugle.

Quotidiennement nous parviennent les nouvelles les plus terrifiantes. Il ne passe pas une semaine sans qu’un cas d’abus sexuel ne soit révélé. Chacune de ces révélations vient lacérer notre cœur de fils de l’Église. Comme le disait saint Paul VI, les fumées de Satan nous envahissent. L’Église, qui devrait être un lieu de lumière, est devenue un repaire de ténèbres. Elle devrait être une maison de famille sûre et paisible, et voilà qu’elle est devenue une caverne de brigands!

Comment pouvons-nous supporter que parmi nous, dans nos rangs, se soient introduits des prédateurs? Nombre de prêtres fidèles se comportent chaque jour en bergers attentionnés, en pères pleins de douceur, en guides fermes. Mais certains hommes de Dieu sont devenus les agents du Mauvais. Ils ont cherché à souiller l’âme pure des plus petits. Ils ont humilié l’image du Christ présente en chaque enfant.

Les prêtres du monde entier se sont sentis humiliés et trahis par tant d’abominations. À la suite de Jésus, l’Église vit le mystère de la flagellation. Son corps est lacéré. Qui porte les coups? Ceux-là même qui devraient l’aimer et la protéger! Oui, j’ose emprunter les mots du pape François: le mystère de Judas plane sur notre temps. Le mystère de la trahison suinte des murs de l’Église. Les abus sur les mineurs le révèlent de la manière la plus abominable.

Mais il faut avoir le courage de regarder notre péché en face: cette trahison-là a été préparée et causée par beaucoup d’autres, moins visibles, plus subtiles mais tout aussi profondes. Nous vivons depuis longtemps le mystère de Judas. Ce qui apparaît désormais au grand jour a des causes profondes qu’il faut avoir le courage de dénoncer avec clarté. La crise que vivent le clergé, l’Église et le monde est radicalement une crise spirituelle, une crise de la foi. Nous vivons le mystère d’iniquité, le mystère de la trahison, le mystère de Judas. (...)

Judas est pour l’éternité le nom du traître et son ombre plane aujourd’hui sur nous. Oui, comme lui, nous avons trahi! Nous avons abandonné la prière. Le mal de l’activisme efficace s’est infiltré partout. Nous cherchons à imiter l’organisation des grandes entreprises. Nous oublions que seule la prière est le sang qui peut irriguer le cœur de l’Église. Nous affirmons que nous n’avons pas de temps à perdre. Nous voulons employer ce temps à des œuvres sociales utiles. Celui qui ne prie plus a déjà trahi. Déjà, il est prêt à toutes les compromissions avec le monde. Il marche sur la voie de Judas.

Nous tolérons toutes les remises en cause. La doctrine catholique est mise en doute. Au nom de postures soi-disant intellectuelles, des théologiens s’amusent à déconstruire les dogmes, à vider la morale de son sens profond… Les scandales se succèdent, chez les prêtres et chez les évêques.

Restez forts et droits

Le mystère de Judas s’étend. Je veux donc dire à tous les prêtres: restez forts et droits. Certes, à cause de quelques ministres, vous serez tous étiquetés comme homosexuels. On traînera dans la boue l’Église catholique. On la présentera comme si elle était entièrement composée de prêtres hypocrites et avides de pouvoir. Que votre cœur ne se trouble pas. Le Vendredi Saint, Jésus était chargé de tous les crimes du monde, et Jérusalem hurlait: «Crucifie-le! Crucifie-le!» Nonobstant les enquêtes tendancieuses qui vous présentent la situation désastreuse d’ecclésiastiques irresponsables à la vie intérieure anémiée, aux commandes du gouvernement même de l’Église, restez sereins et confiants comme la Vierge et saint Jean au pied de la Croix. Les prêtres, les évêques et les cardinaux sans morale ne terniront en rien le témoignage lumineux de plus de quatre cent mille prêtres à travers le monde qui, chaque jour et dans la fidélité, servent saintement et joyeusement le Seigneur. Malgré la violence des attaques qu’elle peut subir, l’Église ne mourra pas. C’est la promesse du Seigneur, et sa parole est infaillible.

Les chrétiens tremblent, vacillent, doutent. J’ai voulu ce livre pour eux. Pour leur dire: ne doutez pas! Tenez ferme la doctrine! Tenez la prière! J’ai voulu ce livre pour réconforter les chrétiens et les prêtres fidèles.

Le mystère de Judas, le mystère de la trahison, est un poison subtil. Le diable cherche à nous faire douter de l’Église. Il veut que nous la regardions comme une organisation humaine en crise. Pourtant, elle est tellement plus que cela: elle est le Christ se continuant. Le diable nous pousse à la division et au schisme. Il veut nous faire croire que l’Église a trahi. Mais l’Église ne trahit pas. L’Église, pleine de pécheurs, est elle-même sans péchés! Il y aura toujours assez de lumière en elle pour ceux qui cherchent Dieu. Ne soyez pas tentés par la haine, la division, la manipulation. Il ne s’agit pas de créer un parti, de nous dresser les uns contre les autres: «Le Maître nous a mis en garde contre ces dangers au point de rassurer le peuple, même à l’égard des mauvais pasteurs: il ne fallait pas qu’à cause d’eux on abandonnât l’Église, cette chaire de la vérité […] Donc ne nous perdons pas dans le mal de la division, à cause de ceux qui sont mauvais», disait déjà saint Augustin (lettre 105).

L’Église souffre, elle est bafouée et ses ennemis sont à l’intérieur. Ne l’abandonnons pas. Tous les pasteurs sont des hommes pécheurs, mais ils portent en eux le mystère du Christ.

Que faire alors? Il ne s’agit pas de s’organiser et de mettre en œuvre des stratégies. Comment croire que par nous-mêmes nous pourrions améliorer les choses? Ce serait entrer encore dans l’illusion mortifère de Judas.

Face au déferlement des péchés dans les rangs de l’Église, nous sommes tentés de vouloir prendre les choses en mains. Nous sommes tentés de vouloir purifier l’Église par nos propres forces. Ce serait une erreur. Que ferions-nous? Un parti? Un courant? Telle est la tentation la plus grave: les oripeaux de la division. Sous prétexte de faire le bien, on se divise, on se critique, on se déchire. Et le démon ricane. Il a réussi à tenter les bons sous l’apparence du bien. Nous ne réformons pas l’Église par la division et la haine. Nous réformons l’Église en commençant par nous changer nous-mêmes! N’hésitons pas, chacun à notre place, à dénoncer le péché en commençant par le nôtre.

Dans ce livre, je n’hésiterai pas à avoir un langage ferme. Avec l’aide de l’écrivain et essayiste Nicolas Diat, sans qui peu de choses auraient été possibles et qui a été depuis l’écriture de Dieu ou Rien d’une fidélité sans faille, je veux m’inspirer de la parole de Dieu qui est comme un glaive à deux tranchants. N’ayons pas peur de dire que l’Église a besoin d’une profonde réforme et que cette dernière passe par notre conversion.

Pardonnez-moi si certaines de mes paroles vous choquent. Je ne veux pas vous endormir avec des propos lénifiants et menteurs. Je ne cherche ni le succès ni la popularité. Ce livre est le cri de mon âme! C’est un cri d’amour pour Dieu et pour mes frères. Je vous dois, à vous chrétiens, la seule vérité qui sauve. L’Église se meurt parce que les pasteurs ont peur de parler en toute vérité et clarté. Nous avons peur des médias, peur de l’opinion, peur de nos propres frères! Le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis….

On me demande souvent: que devons-nous faire? Quand la division menace, il faut renforcer l’unité. Elle n’a rien à voir avec un esprit de corps comme il en existe dans le monde. L’unité de l’Église a sa source dans le cœur de Jésus-Christ. Nous devons nous tenir près de lui, en lui. Ce cœur qui a été ouvert par la lance pour que nous puissions nous y réfugier sera notre maison. L’unité de l’Église repose sur quatre colonnes. La prière, la doctrine catholique, l’amour de Pierre et la charité mutuelle doivent devenir les priorités de notre âme et de toutes nos activités. (...)

La prière

Celui qui prie se sauve, celui qui ne prie pas se damne, disait saint Alphonse. Je veux insister sur ce point, car une Église qui ne porterait pas la prière comme son bien le plus précieux court à sa perte. Si nous ne retrouvons pas le sens des veilles longues et patientes avec le Seigneur, nous le trahirons. Les Apôtres l’ont fait: nous croyons-nous meilleurs qu’eux? Les prêtres en particulier doivent absolument avoir une âme de prière. Sans cela, la plus efficace des actions sociales deviendrait inutile et même nocive. Elle nous donnerait l’illusion de servir Dieu alors que nous ne faisons que l’œuvre du Mauvais. Il ne s’agit pas de multiplier les dévotions. Il s’agit de nous taire et d’adorer. Il s’agit de nous mettre à genoux. Il s’agit d’entrer avec crainte et respect dans la liturgie. Elle est l’œuvre de Dieu. Elle n’est pas un théâtre.

J’aimerais que mes frères évêques n’oublient jamais leurs graves responsabilités. Chers amis, vous voulez relever l’Église? Mettez-vous à genoux! C’est le seul moyen! Si vous procédez autrement, ce que vous ferez ne sera pas de Dieu. Seul Dieu peut nous sauver. Il ne le fera que si nous le prions. (...)

La doctrine catholique

Je suis meurtri de voir tant de pasteurs brader la doctrine catholique et installer la division parmi les fidèles. Nous devons au peuple chrétien un enseignement clair, ferme et stable. Comment accepter que les conférences épiscopales se contredisent ? Là où règne la confusion, Dieu ne peut habiter !

L’unité de la foi suppose l’unité du magistère dans l’espace et dans le temps. Quand un enseignement nouveau nous est donné, il doit toujours être interprété en cohérence avec l’enseignement qui précède. Si nous introduisons des ruptures et des révolutions, nous brisons l’unité qui régit la sainte Église au travers des siècles. Cela ne signifie pas que nous sommes condamnés au fixisme. Mais toute évolution doit être une meilleure compréhension et un approfondissement du passé.

L’herméneutique de réforme dans la continuité que Benoît XVI a si clairement enseignée est une condition sine qua non de l’unité. Ceux qui annoncent à grand fracas le changement et la rupture sont des faux prophètes. Ils ne cherchent pas le bien du troupeau. Ce sont des mercenaires introduits en fraude dans la bergerie. Notre unité se forgera autour de la vérité de la doctrine catholique. Il n’y a pas d’autres moyens. Vouloir gagner la popularité médiatique au prix de la vérité revient à faire l’œuvre de Judas.

N’ayons pas peur! Quel cadeau plus merveilleux offrir à l’humanité que la vérité de l’Évangile? Certes, Jésus est exigeant. Oui, le suivre demande de porter sa Croix chaque jour! La tentation de la lâcheté est partout. Elle guette en particulier les pasteurs. L’enseignement de Jésus paraît trop dur. Combien parmi nous sont tentés de penser: «Ce qu’il dit là est intolérable, on ne peut pas continuer à l’écouter!» (Jn 6, 60). Le Seigneur se retourne vers ceux qu’il a choisis, vers nous prêtres et évêques, et à nouveau nous demande: «Voulez-vous partir, vous aussi?» (Jn 6, 67).

Il nous fixe les yeux dans les yeux et nous demande à chacun: vas-tu m’abandonner? Vas-tu renoncer à enseigner la foi dans toute sa plénitude? Auras-tu le courage de prêcher ma présence réelle dans l’Eucharistie? Auras-tu le courage d’appeler ces jeunes à la vie consacrée? Auras-tu la force de dire que sans la confession régulière, la communion sacramentelle risque de perdre son sens? Auras-tu l’audace de rappeler la vérité de l’indissolubilité du mariage? Auras-tu la charité de le faire même pour ceux qui risquent de te le reprocher? Auras-tu le courage d’inviter avec douceur les divorcés, engagés dans une nouvelle union, à changer de vie? Préfères-tu le succès ou veux-tu venir à ma suite? Dieu veuille qu’avec saint Pierre nous puissions lui répondre, remplis d’amour et d’humilité: «À qui irions-nous Seigneur? Tu as les paroles de la vie éternelle!» (Jn 6, 68).

+ Robert Cardinal Sarah

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