Quel est votre numéro ?

Gilberte Côté-Mercier le lundi, 15 novembre 1943. Dans Éditorial

Monsieur, avez-vous un permis pour nettoyer ? Quel est votre numéro, monsieur ?

Madame, avez-vous un permis pour magasiner ? Quel est votre numéro, madame ?

Monsieur, avez-vous un permis pour vous promener ? Quel est votre numéro, monsieur ? Et votre enfant, monsieur, a-t-il un per­mis pour vous accompagner ? Quel est son numéro, monsieur ?

Monsieur, avez-vous un permis pour ne rien faire ? Quel est votre numéro, monsieur ?

Monsieur, madame, avez-vous un permis pour, pour..., etc., etc., etc.

Monsieur, madame, petit, avez-vous une licence pour exister ? Montrez-nous votre licence. Vous n'avez demandé à personne la permission de venir sur la terre. Mal vous en prit. Vous deman­derez au gouvernement la permission de rester sur la terre.

Et cette permission sera inscrite dans les fiches du gouvernement, et elle sera transcrite sur deux rectangles qu'on vous pen­dra, l'un devant, l'autre derrière.

Et si la tôle devient rationnée, vous serez comme un automobile de guerre, ne portant le rectangle que derrière. Derrière est le plus important, car si vous avez la mauvaise idée de vous sauver, la police vous reconnaîtra.

Monsieur, madame, avez-vous votre licence ? Retournez-vous qu'on vous reconnaisse.

Monsieur, madame, vous usez les trottoirs du gouvernement, payez votre licence et portez-la bien en vue, derrière.

Monsieur, madame, vous respirez l'air du gouvernement, payez votre licence et portez-la bien en vue, derrière.

Monsieur, madame, vous vous réchauffez au soleil du gouver­nement. Payez votre licence et portez-la bien en vue, derrière.

Monsieur, madame, vous donnez la vie à un enfant du gouver­nement. Payez votre licence et celle de votre enfant, et portez-la tous deux bien en vue, derrière.

Cela, monsieur, madame, c'est ce qu'on appelait autrefois du socialisme. C'est ce qu'on appelle aujourd'hui des mesures de guerre. Autres temps, autres mots.

Et lorsque la guerre sera finie, on appellera les mêmes mesures des mesures d'après-guerre. Comme quoi, les mots sont très utiles pour mélanger les idées, lorsqu'ils sont employés par les gouver­nements.

Comme quoi surtout, la liberté n'existera plus pour personne après notre brillante guerre pour sauver la liberté !

Gilberte Côté-Mercier

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