Poison pour poison

Gilberte Côté-Mercier le mercredi, 15 décembre 1943. Dans Éditorial

Une question, mesdames, messieurs. Une petite question : Voulez-vous que la guerre, l'horrible guerre que nous vivons, finis­se au plus vite ? Le voulez-vous de toutes les forces de votre âme ?

Oui, bien sûr, si vous êtes des hommes de cœur, des femmes de cœur. Vous sentirez un grand soulagement, une grande joie, lorsque vous entendrez les cloches sonner l'armistice.

Cloches, oh ! belles cloches de nos chères églises, hâtez-vous donc de sonner la paix ! Que vos notes joyeuses viennent au plus tôt rendre la vie à la terre !

Qu'il sera gai, votre chant de retour du soldat ! Entonnez-le donc bientôt, cloches de l'armistice !

* * *

Le retour du soldat chez lui, dans sa maison, avec les siens. Oui, mais cela voudra dire, pour le soldat, pas de solde chaque semaine ; et pour sa famille, pas d'argent pour manger.

Le retour du soldat au foyer, c'est la joie. Mais, un papa qui n'a plus de salaires, c'est triste, ça mène à la faim, à la misère, à la maladie.

Et le papa qui travaillait à l'usine de guerre, lui aussi retour­nera chez lui, car l'usine de guerre fermera ses portes, renverra les employés. Et le papa n'aura plus d'ouvrage, donc plus d'argent. Et dans cette maison-là aussi, ce sera la faim et la misère.

La guerre sera finie. Les jours malheureux où l'on se tue au­ront passé.

Mais la paix tant souhaitée, la paix, le temps où les hommes ont décidé de ne plus se haïr, ce temps-là signifie la suppression des salaires, l'absence d'argent, et la crise donc.

Guerre ou crise, qu'est-ce que vous aimez le mieux ?

* * *

Vous voulez que la guerre finisse ? Tant pis, vous choisissez la crise.

Alors, vous voulez que la guerre continue ? Tant pis, vous choi­sissez le carnage.

Vous avez à choisir entre une bouteille de poison et une bou­teille de poison. Lequel préférez-vous ?

* * *

Voilà le grand dilemme qui se pose en face de l'humanité. Se tuer ou crever.

Pendant 10 ans de chômage, l'univers a connu une misère abrutissante.

Pendant cinq, six, sept ans de guerre, l'univers connaît une effroyable tuerie.

Si la guerre achève, c'est le chômage qui menace, car les hom­mes, s'ils n'ont plus d'instruments de tuerie à fabriquer, ne trou­vent pas le moyen de se nourrir du pain qui est là.

Si la guerre continue, l'humanité se détruit à grands coups de bombardements.

Mais, faut-il donc que la terre soit bien méchante pour qu'il n'y ait plus à choisir qu'entre deux poisons ? Ou faut-il donc que les hommes soient ou bien méchants ou bien bêtes ?

Y a-t-il un mauvais génie qui préside aux destinées des hom­mes, et qui veuille absolument les rendre malheureux ? Il faut le croire. Mais, pourquoi donc les hommes se laissent-ils faire ? Pour­quoi donc les chefs d'État, les politiques, les économistes ne met­tent-ils pas tous leurs talents et leur temps à chercher un remède à ces deux maux, plutôt que de nous forcer à choisir entre les deux ?

* * *

Mais justement, nos dirigeants viennent à nous maintenant avec un remède. Ils ont trouvé une formule, la formule pour nous éviter le chômage d'après-guerre.

La formule, c'est le contrôle de l'État sur tout.

Afin que le monde, après la guerre, ait de quoi acheter les cho­ses nécessaires à leur subsistance, le gouvernement leur passera un carcan au cou.

C'est de l'argent qui vous manquera : on vous enchaînera pour vous en passer, comme si on ne pouvait pas en passer sans vous enchaîner.

L'enrégimentation ! Voilà la grande solution pour éviter le chômage !

De 1930 à 1940, il vous manquait de l'argent. Pour y remédier, on détruisait les produits.

Après la guerre, il vous manquera de l'argent. Pour y remé­dier, on vous mettra les chaînes.

On voit bien que ce sont les mêmes cerveaux qui ont enfanté ces deux perles.

Il serait pourtant si simple de raisonner comme les Créditis­tes :

"Lorsque l'argent manque, c'est de l'argent qu'il faut distri­buer, tout bonnement !"

Gilberte Côté-Mercier

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