Miracle du diable

Louis Even le vendredi, 01 octobre 1943. Dans Éditorial

1933 : des loques humaines font queue aux guichets des commissions de chômage. Observez ces figures, ces maintiens, ces habits. Est-ce une invention, ou est-ce de l'histoire ?

Quel tableau différent en 1943 ! Des usines toutes neuves surgies sur les terrains vacants de l'île de Montréal, dans la campagne de Saint-Paul-l'Ermite, aux abords de Sainte-Thé­rèse, en cent autres endroits où les chômeurs d'avant-guerre ont promené pendant dix années leur misère et leur désespoir !

Lumière, air, espace, outillage moderne, abords propres où s'alignent les autos — tout reflète activité et prospérité.

À qui ou à quoi est dû ce miracle ?

*    *    *

Un jour, une multitude suivait un Maître attachant, qui parlait à la fois si simplement et si sublimement du royaume de Dieu. Et sur le soir, cette foule eut faim. Et le Maître eut pitié de la foule. Il prit quelques pains, quelques poissons, les bénit et les fit servir à la multitude. Pains et poissons se multiplièrent. Chacun en mangea tant qu'il en voulut.

Cela, c'était le miracle d'un Dieu.

*    *    *

Dix-neuf siècles plus tard, le travail de l'homme, les inven­tions de son cerveau, s'ajoutant aux ressources naturelles dont le Créateur gratifia la planète, ont donné au monde une autre multiplication des pains. Du blé, des vêtements, des biens de toutes sortes à profusion.

Mais les hommes restaient avec leur faim et leurs privations. Le Maître n'y était pas. L'ennemi du genre humain avait posté ses gardiens pour empêcher les hommes de manger leur pain quotidien.

Puis est venue une chose terrible. Les nations se sont ruées les unes sur les autres. Des millions d'hommes se servent des pro­ductions les plus perfectionnées du génie humain pour semer la mort.

Et parce qu'ils font cela, les hommes peuvent manger. Et parce qu'ils se haïssent, ils ne chôment plus.

Cela, c'est le miracle du démon.

Multiplication des pains — rien à manger. Multiplication des canons — la table est garnie.

Paix et vie — pas de place pour les travailleurs. Dévas­tation et mort — travail obligatoire, jusqu'aux femmes à l'u­sine !

Pas d'argent pour la vie — des milliards pour la mort.

Le régime qui faisait les chômeurs de 1933 et qui conscrit les travailleurs en 1943, ce régime-là est marqué du sceau de l'enfer.

Les gouvernants qui croisaient les bras en 1933 et qui se trémoussent en 1943 sont les valets d'un régime marqué du sceau de l'enfer.

Et les architectes d'ordre nouveau qui évitent avec soin de toucher à ce contrôle diabolique du sang de la vie économique, ces architectes-là, sciemment ou inconsciemment, se font les complices d'un régime marqué du sceau de l'enfer.

Louis Even

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