Les hommes à qui il reste encore un peu de cœur se révoltent contre la loi inique du Canada qui oblige les pères de famille à dénoncer leurs fils délinquants ou déserteurs.
C'est révoltant en effet, ultra-révoltant !
Il nous semble que le code criminel n'oblige pas un parent à témoigner contre son propre sang. Et voilà que notre code de guerre ne se soucie plus de la famille. D'ailleurs, il y a longtemps qu'il l'a écrasée, la famille, notre code de guerre ! Il continue dans la même ligne.
Dénoncer son propre fils, son frère, ça répugne aux êtres les plus vils. Voilà pourquoi tant de voix se sont élevées contre cette iniquité.
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La délation est une injustice, a-t-on dit avec raison, à l'occasion de cette sorte de délation familiale. Et on a bien fait de s'exaspérer et de crier fort son dégoût. Il y a de quoi.
Mais, si la délation de ses proches est ignoble, il n'en faut pas dire moins de tout autre délation, de la délation contre le prochain, selon l'expression de l'Évangile, de celui-là qui n'est ni un parent ni un ami, mais un frère en Jésus-Christ tout simplement.
Aller dénoncer son fils, c'est affreux et inadmissible. Aller dénoncer les autres qui ne nous tiennent pas au cœur, on ne peut pas dire que c'est moins ignominieux et que c'est chrétien.
Tous ceux qui crient contre la délation qu'on nous impose actuellement se sont-ils levés déjà pour crier contre toutes les autres sortes de délation qu'on nous impose depuis le commencement de la guerre ? Sinon pourquoi pas ? Ne les ont-ils point vues, les délations de mouchards à commissions, de fonctionnaires créchards, de patrons menacés de faillite et de délinquants récompensés ?
La loi de délation qui entrera en vigueur le premier mai n'est que le couronnement de tous les actes de délation commis sous l'œil encourageant et généreux d'un gouvernement qui sollicitait la collaboration de tous pour appliquer sa politique de salut de la chrétienté. Il est facile pour un gouvernement de promulguer une loi quand l'essai de cette loi a si bien réussi.
À qui la faute si cette loi peut être faite ? Aux mouchards de tout calibre dans le passé, et aussi à ceux qui ont laissé faire les mouchards.
Certes, cette loi est barbare et injuste. Mais, il y eut d'autres lois barbares et injustes contre lesquelles les effrayés d'aujourd'hui n'ont rien dit ni rien fait.
Laisser crever de faim des masses de peuple en face de l'abondance qu'on détruisait pendant 10 ans, n'était-ce point injuste ? Et qu'en ont-ils dit, les indignés d'aujourd'hui ? II y en eut peut-être même parmi eux qui furent des profiteurs de ce système de "mange ton prochain pour vivre".
Que penserions-nous d'un homme qui nous assommerait lorsque nous passons sur la rue, et qui s'excuserait auprès de nous en nous disant : "Pardonnez-moi, je fais cela pour gagner ma vie !"
Combien y en a-t-il qui trouvent leur vie en assommant les autres ? Et où sont ceux qui protestent contre cet odieux système qui force à tant d'injustices ? Tous les indignés d'aujourd'hui ont-ils fait leur part contre ces injustices ?
La délation obligatoire d'aujourd'hui est odieuse, et on ne protestera jamais assez fort contre elle. Et bénis soient ceux qui protestent.
Mais, n'y aurait-il pas lieu de faire tous ensemble un petit examen de conscience, et de nous demander si ce n'est pas à cause de notre lâcheté que nos gouvernants en sont rendus à une telle barbarie. N'aurions-nous pas trop longtemps accepté d'autres lois aussi injustes mais qui ne nous atteignaient pas aussi directement ?
Nous avons toujours tout laissé faire, nous consolant d'être nous-mêmes épargnés. Et maintenant, le gouvernement sait à qui il a affaire, et il ne se gêne plus.
Pauvres de nous, qu'est-ce donc que l'avenir nous prépare ? Ne sera-ce point peut-être la persécution religieuse, si bien commencée par la persécution des consciences ?
Lorsque les prêtres de chez nous seront massacrés, on criera au scandale. Ce sera en effet un grand scandale. Mais, en attendant, il y a d'autres scandales qui mènent à celui-là et qui semblent ne révolter personne.