Union ou Division ?

Maître J.-Ernest Grégoire le jeudi, 15 juillet 1943. Dans La politique

Texte de la première causerie de l'Union des Électeurs au poste CKAC, le 6 juillet, par J. Ernest Grégoire

Citoyens de la Province,

Nous commençons ce soir une série d'émissions hebdomadaires sous les auspices de l'Union des Électeurs.

L'Union des Électeurs ? Il va donc être question de politique. Ah ! de quel parti s'agit-il ?

De quel parti ? Pourquoi poser la question dès qu'on parle politique ? La politique consiste-t-elle nécessairement dans la division du peuple en partis et dans la course au pouvoir ? La politique, la vraie, ne consiste-t-elle pas plutôt dans la poursuite du bien-être de tout le peuple ?

Pourtant, dans la pratique, ne constate-t-on pas trop souvent que :

1 ° Lorsque le gouvernement a des faveurs à ac­corder, des biens à distribuer, c'est toujours pour quelques-uns, ou, pour quelques groupes, jamais pour le grand public ;

2° Lorsque le gouvernement s'occupe du grand public, c'est pour pomper, pour taxer, pour interdire, restreindre, surveiller, menacer de punitions.

Si la pratique ne répond pas à la théorie, il y a une cause. Cette cause ne serait-elle pas dans la division du peuple en partis, en groupes qui se font la lutte, au lieu de s'unir pour commander des résultats ? N'y aurait-il pas lieu de reviser certaines coutumes politiques, puisque la politique ne donne pas au peuple, en général, ce que le peuple veut pourtant d'un commun accord ?

Si l'on questionnait les représentants du peuple, les députés, l'un après l'autre, pour leur demander des questions relatives aux aspirations communes de la masse, nous sommes sûrs qu'ils répondraient tous de la même manière. Exemples :

Êtes-vous d'avis que la première chose que tout le monde devrait avoir dans une société bien orga­nisée, c'est l'assurance de trois repas par jour, tant au moins que le pays a de la nourriture en abon­dance à offrir ? Quel député oserait répondre : Je ne suis pas de cet avis-là ; je suis d'avis que bien des gens doivent souffrir de faim en face de greniers pleins à craquer.

Êtes-vous d'avis que personne ne devrait être privé de vêtements décents et confortables dans un pays qui en a pour tout le monde, et de reste ? Le­quel de nos députés répondrait : Je suis d'avis que des hommes, des femmes et des enfants doivent porter des guenilles, grelotter, attrapper des rhu­matismes et, que les marchands se lamentent parce que les habits qu'ils ont à offrir leur restent sur les bras.

Êtes-vous d'avis que chaque famille devrait avoir à se loger dans une maison à la taille de son nombre, une maison hygiénique, protégée contre les rigueurs des températures ? Lequel de nos dépu­tés aurait le cœur de dire : Non ; je suis plutôt d'a­vis qu'un bon nombre de familles, surtout celles qui sont plus fécondes en enfants qu'en piastres, vi­vent dans des taudis, tassés dans des fonds de cour, sans grand air, sans soleil, sans chauffage, même s'il y a encore de grands espaces dans le pays, même si les forêts regorgent de bois qui vieil­lit et pourrit sur place, même s'il y a bien des tra­vailleurs du bâtiment dans le chômage.

Nous pourrions continuer les mêmes questions sur les besoins élémentaires, communs à tous les membres de l'espèce humaine.

Devant ces besoins communs, les hommes s'en­tendent tous, le peuple est unanime à réclamer un minimum des biens qui satisferaient ces be­soins ; et les députés eux-mêmes sont du même avis. Pourquoi alors faut-il qu'en Chambre, il y ait tou­jours un groupe qui dise oui lorsque l'autre dit non ? Pourquoi faut-il que dans les activités poli­tiques, le peuple cesse son unanimité ?

Pourquoi, sinon parce qu'on évite ces questions primordiales, on laisse de côté ce qui touche tout le monde, ce qui intéresse tout le monde, ce qui ac­corde tout le monde ; et on place de l'avant des su­jets de conflit, ou des faveurs qui ne peuvent être accordées qu'à quelques-uns.

Mesdames, Messieurs, il existe une certaine maison, dans laquelle le garde-manger est saturé des meilleurs produits ; il n'y a que l'embarras du choix pour quiconque y obtient accès. Il y en a, non seu­lement pour tous les enfants de la maison, mais des surplus dont la famille ne sait que faire.

Mais voilà : il existe un drôle d'esprit dans cette famille. Le père et la mère ne sont jamais du même avis. Si le père dit une chose, la mère dit le contrai­re, et vice-versa. Puis le père et la mère essaient, chacun de son côté, de ranger les enfants à leur avis. Si le plus grand nombre des enfants est du côté du père, c'est le père qui obtient la clef du garde-manger ; il sert les enfants qui sont de son côté, et les autres font pénitence. Si c'est la mère qui réussit à avoir le plus grand nombre d'enfants de son côté, c'est elle qui tient la clef de la dépense, et ce sont ceux de son groupe qui prospèrent, les autres font carême.

Pendant ce temps-là, la nourriture se perd, les esprits s'aigrissent, mais celui des parents qui tient la clef fait tout son possible pour expédier les surplus le plus loin possible.

Cette maison-là, c'est notre maison politique : tout le monde la reconnaît.

Il serait si facile d'assurer au moins une honnête aisance à toutes les familles dans un pays qui ne manque de rien, qui cherche toutes les parties du monde pour placer ses surplus. Il suffirait de s'en­tendre, de cesser d'agiter des causes de conflit et de s'unir autour des aspirations communes.

* * *

L'Union des Électeurs — si elle est vraiment une union — n'est pas un parti politique, parce que les partis politiques sont basés sur la division. Pour alimenter la division, les partis politiques entre­tiennent le public, ou plutôt les brasseurs d'électo­rat, avec des objectifs privés, avec des intérêts par­ticuliers.

Ainsi, un organisateur de parti ira trouver un gros entrepreneur pour avoir des fonds pour une campagne électorale. Il est entendu que, si le parti arrive au pouvoir, l'entrepreneur obtiendra des contrats très intéressants.

Voilà un intérêt particulier mis en avant. Il ne s'agit pas du tout du bien commun. Qu'est-ce que cela peut faire à la masse, que le contrat soit ac­cordé à Pierre ou à Jacques, pourvu que le travail soit bien exécuté et le prix honnête ? C'est un inté­rêt particulier servi aux dépens d'autres intérêts particuliers : Pierre aux dépens de Jacques, ou Jac­ques aux dépens de Pierre. Servis, même, aux dé­pens de la masse, parce que l'entrepreneur, ainsi favorisé et assuré de l'obtention du contrat, saura bien faire entrer dans sa soumission, ou dans les extras, les sommes qu'il a dû débourser pour s'at­tirer la faveur. Le peuple paie, ainsi, dans ces tra­vaux publics, le prix des travaux et le prix de la corruption politique.

C'est, d'autres fois, un député, supposé repré­senter le peuple, qui se met en quatre pour des amis d'élections, ou pour des associés, pour obtenir des contrats plantureux. Il est bien entendu que, si le succès couronne l'effort, le favori récompensera le député. Le représentant du peuple, assuré déjà de sa solde régulière de député, ne se soucie guère de ses électeurs ; mais il se soucie bien plus de l'ex­tra et fait les interventions nécessaires pour le gagner. Le député du peuple devient ainsi le repré­sentant d'intérêts particuliers plus que le repré­sentant du peuple.

Pendant ce temps-là, le peuple sacrifié ne dit rien, parce qu'il n'a pas le moyen de rien dire. Le peuple est entraîné, par ses politiciens et les agita­teurs d'élections, dans des luttes, des cabales, et il en supporte les conséquences. Il applaudit la comé­die pendant cinq semaines, et il la paie pendant cinq années.

Ces constatations ont été faites plus d'une fois. Mais la constatation d'un mal ne suffit pas pour le guérir. Il faut y apporter remède. La formule est très simple : Unir le peuple pour qu'il se fasse ser­vir.

L'Union des Électeurs ne peut se faire qu'autour de choses qui intéressent tous les électeurs, autour de choses sur lesquelles tout le monde est d'accord.

L'Union des Électeurs ne se fera donc pas au­tour de contrats pour quelques-uns. Elle ne se fera pas non plus autour de méthodes, de moyens sur lesquels il peut y avoir autant d'opinions qu'il y a de têtes.

C'est le but à atteindre, l'objectif qu'il faut pla­cer devant le peuple. Et quel objectif ? L'objectif qui est dans l'esprit et le cœur de tout homme normal, de toute femme normale.

La question des moyens, des méthodes, regarde les techniciens, ce n'est pas une affaire à placer de­vant le peuple ni devant ses représentants, à moins qu'on veuille s'éterniser dans le verbiage et les dis­cussions.

Lorsqu'une personne veut une automobile, va-t-elle entrer dans la manufacture d'autos et dire à chaque ouvrier quoi faire, comment s'y prendre, où percer des trous, où placer des vis et des boulons ? Elle en aurait une fameuse de machine ! Non. Elle dit ce qu'elle veut avoir comme voiture, et elle abandonne à la compagnie le soin de l'exécuter. La personne ne peut pas juger des moyens, mais elle peut juger des résultats.

Lorsque l'année dernière, on a demandé au peu­ple de la province de Québec de donner son idée vis-à-vis de la conscription, il l'a donnée en blanc et en noir. On lui demandait de voter pour ou contre une chose qu'il comprenait bien et qui le touchait de près. L'union s'est faite là où les divi­sions avaient toujours existé sur des questions de partis.

Qu'on demande au peuple : Qui voulez-vous pour vous taxer et vous gendarmer : monsieur A ou mon­sieur B ? On aura certainement la division. Les uns opteront pour A, d'autres pour B ; d'autres, dégoû­tés, ne se dérangeront pas pour choisir l'homme qui aura le privilège de les fouetter.

Mais qu'on demande au peuple de voter pour ou contre trois repas par jour, pour ou contre un bon lit pour se reposer la nuit, pour ou contre une mai­son confortable ; pour ou contre le droit de s'arrêter un peu quand de puissantes machines travaillent pour lui — et vous aurez sa réponse.

*    *    *    *

Puisque les partis politiques ne sortent jamais de programme aussi simple que cela, puisqu'ils ou­blient l'essentiel, que le peuple laisse donc de côté les partis politiques et leurs programmes, et qu'il fasse lui-même son programme. Au lieu d'aller écouter des députés ou des candidats exposer des programmes de particularités, qu'il vienne donc avec son propre programme trouver ses députés et les candidats qui sollicitent l'attention.

Puis que ce même peuple, auteur de son propre programme, se monte un mécanisme pour parler, pour se faire entendre en tout temps. Les grosses compagnies ont leur mécanisme pour surveiller les législateurs et se faire écouter d'eux. Pourquoi le peuple, qui paie ses législateurs, n'aurait-il pas son mécanisme pour surveiller ses députés et leur ex­primer sa volonté commune chaque fois que le be­soin s'en fait sentir ?

Unir les électeurs autour du programme qui sort spontanément de lui-même, puis lui mettre en main un mécanisme pour exprimer sa volonté, c'est tout le sens de l'Union des Électeurs.

Les partis politiques font des unions de candi­dats qui s'en viennent parader devant lés électeurs avec des programmes de partis. L'Union des Elec­teurs unit réellement les électeurs en les rendant conscients de leurs besoins communs, de leur vo­lonté commune, et les organise pour venir devant députés et candidats avec le programme des élec­teurs eux-mêmes. Comme députés et candidats tiennent à un vote favorable, ils jugeront qu'ils n'ont plus le choix entre des pressions inavouées et la pression honnête d'un peuple organisé qui sait ce qu'il veut et qui sait le dire.

L'Union des Électeurs est la formule nouvelle pour obtenir des résultats. Dès que des citoyens ont pris la peine de réfléchir, d'observer, de regar­der les grandes possibilités de leur pays et les pri­vations injustifiées qu'ils ont dû endurer, une phra­se leur vient aux lèvres :

Nous voulons tous la même chose ; pourquoi ne pas se mettre tous ensemble pour la ré­clamer ?...

Maître J.-Ernest Grégoire

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