Traduction de "Faith to Move Mountains", par Ralph Duclos, président du Douglas Social Credit Bureau of Canada ( article publié dans l'Evening Citizen d'Ottawa, le 16 janvier 1943).
La technique pour tenir le peuple tranquille peut varier, mais l'objectif de ceux qui veulent contrôler reste la même. Les lamentations dolentes, le "pas d'argent" de la décade de la faim, ont fait place à de vagues promesses de liberté, de sécurité, de justice sociale et quoi encore ? "Le monde, bien clôturé, est à vous si vous voulez me suivre" : tel est le style du jour.
Des plans, des surplans, sortent d'un peu partout, arrangés pour être attrayants bien plus qu'efficaces. Le peuple, cependant, commence à se défier. Il semble pressentir que les promesses intangibles ne signifient pas grand'chose lorsque les plans entourant ces promesses sont basés sur des méthodes qui, dans le passé, ont produit des résultats exactement contraires.
La promesse de liberté et de sécurité au moyen d'un état-travail ne prend plus. L'état-travail a fait ses preuves en Allemagne, en Italie, au Japon. L'état-travail peut donner la sécurité, la sécurité de l'esclave, mais jamais la liberté. Le Canada peut être transformé en une fourmillière nationale ; mais lorsqu'on se servira des méthodes des fourmis, les Canadiens mèneront des vies de fourmis. Ralph Waldo Emerson a exprimé cette idée par la phrase suivante : "La fin préexiste dans les moyens." Vous ne pouvez obtenir de bons résultats avec des méthodes mauvaises.
Vous ne pouvez obtenir la liberté par l'enrégimentation ou la bureaucratie. Vous ne pouvez distribuer l'abondance par une économie de rareté. Vous ne pouvez obtenir la justice sociale en régentant la vie des autres. Vous ne pouvez aboutir à la paix universelle en continuant la guerre économique pour la dispute des marchés étrangers. Vous ne pouvez avoir une démocratie avec une gestapo ou une guépéou. Ceux qui cherchent un grand chef pour penser à leur place — une sorte de Moïse pour les sortir d'Égypte — finissent invariablement avec un führer.
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Avec l'évidence de ces faits, avec une masse d'information à la disposition de quiconque s'y intéresse, comment se fait-il qu'il y ait encore des gens à se laisser prendre aux schémas des faiseurs de plans ? L'explication en est peut-être dans un phénomène particulier à notre phase d'évolution : c'est que nos vastes connaissances sont accompagnées et contrecarrées par une absence absolue de foi, non pas dans le sens religieux du mot, mais de foi en nous-mêmes, de croyance à notre capacité de faire des choses.
Les petits oiseaux ne voleraient jamais et les bébés ne marcheraient jamais, s'ils ne croyaient qu'ils peuvent le faire. Stephenson n'aurait jamais conduit sa locomotive, ni les frères Wright pris l'air avec leur avion, s'ils n'avaient cru que c'était possible. Edison n'aurait jamais inventé la lumière incandescente, ni Marconi la T.S.F. s'ils n'avaient d'abord cru.
Sir Wm. Osler a écrit : "Rien dans notre vie n'est plus merveilleux que la foi — cette grande force motrice que nous ne pouvons ni peser dans une balance ni analyser dans un creuset."
Nous savons, mais nous doutons. Nous avons le savoir sans la conviction, et c'est pourquoi nous souffrons d'un complexe de rareté dans un âge d'abondance...
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Nous savons que la monnaie est faite de rien, qu'elle devrait être créée d'après nos besoins ; mais nous croyons en terme de "d'où viendra l'argent ?"...
Nous savons que tout ce qui est physiquement possible est financièrement possible, que nous pouvons adapter notre système de comptabilité aux faits et aux nécessités ; et cependant, nous continuons de penser en termes de millions et de milliards de piastres, au lieu de milliers de chars d'assaut, d'avions, de canons, de corvettes. Nous nous effrayons jusqu'à l'impuissance avec des nombres astronomiques en piastres, quand nous savons, ou devrions savoir, qu'un système monétaire doit accomplir sa fonction ou être mis au rebut pour un autre qui le fera...
Nous savons que le but de la production c'est la consommation ; qu'il est inutile de fabriquer des chaussures à moins qu'elles aillent sur des pieds ; que les maisons n'ont aucune valeur à moins que des personnes y habitent ; que la nourriture pourrit simplement à moins qu'elle soit mangée. Nous savons aussi que nous pouvons produire toutes ces choses en quantité presque illimitée. Et cependant, nous ne croyons pas que les hommes puissent en avoir, à cause de ceci, à cause de cela ; nous nous arrêtons devant des obstacles imaginaires, résidus des siècles de rareté, tels que : "Pas d'argent — les pauvres sont pauvres parce que les riches sont riches — il faut d'abord créer de l'emploi, etc."
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Notre savoir est du présent, mais nos croyances sont du passé... Aussi allons-nous stupidement de catastrophe en catastrophe, comme un bateau muni d'un puissant moteur qui se perdrait sur les rochers, parce que son pilote ne croit pas à la boussole...
Nous nous apercevons obscurément qu'une immense production a été rendue possible par la guerre ; mais nous ne nous rendons pas compte que cette même capacité de production pourrait être utilisée à l'avenir pour nous introduire dans une ère de loisirs et de culture. Des loisirs ? Mais nous tremblons à la seule pensée de loisirs, parce que nous croyons au travail pour l'amour du travail. Nous n'avons pas encore saisi que la culture est le produit des loisirs bien employés ; que les esclaves attelés ne peuvent développer une culture — ils n'ont pas de temps pour pareille niaiserie — il faut qu'ils travaillent !
Nous savons que par la science et l'utilisation de l'énergie solaire, nous avons atteint l'âge de la production motorisée et de la surabondance, qu'il y en a plus qu'assez pour chaque être humain ; et cependant, nous ne croyons pas pouvoir rompre avec la rareté. Ce siècle est vraiment le siècle du savoir sans la foi.
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Tout progrès, toute découverte scientifique, toute invention, commence dans l'esprit de l'homme. D'abord, c'est une idée ; puis, appuyée par la croyance que la chose est possible et par la confiance qu'a son auteur de pouvoir lui-même la réaliser, l'idée devient une réalité. L'Amérique n'aurait jamais été découverte, si Christophe Colomb n'avait cru qu'il était possible d'atteindre les terres en naviguant vers l'ouest. Croire ! C'est la foi qui a rendu toutes ces choses possibles.
Nous possédons maintenant les résultats de milliers d'années de savoir, de découvertes et d'inventions ; mais il nous manque la foi pour nous servir de ces résultats. L'absence de foi paralyse notre action ; et au lieu d'utiliser l'abondance, nous restons soudés à la rareté.
Nous commençons à croire que les gens ne devraient pas mourir de faim : alors, nous inaugurons des assurances-chômage, des pensions de vieillesse, et autres choses semblables — le tout à une simple pitance d'existence. Nous haussons le niveau de la pauvreté au lieu de la déraciner...
Nous n'y allons qu'à contrecœur, et tout notre programme consiste à taxer les uns pour aider les autres. Nous volons Pierre pour payer Paul. Nous savons que la monnaie peut être augmentée ou diminuée à volonté, et presque sans frais ; et cependant nous ne croyons pas qu'il soit sain de faire le système fonctionner. Hantés et terrorisés par le spectre de l'inflation, nous nous cramponnons désespérément au système de taxes, de dettes, de pauvreté, de privations.
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Nous avons peur de l'abondance. Nous tremblons à l'idée du mal que l'abondance pourrait faire — au voisin. Naturellement, elle ne saurait nous faire de mal, à nous personnellement, — mais l'autre ? D'ailleurs, s'il y a de l'abondance pour tous, qui se chargera des rudes travaux ? Nous évitons passablement nous-même les besognes de peine, mais nous ne croyons pas qu'elles puissent être évitées par tous. Nous ne croyons pas au voisin.
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Lorsque nous croirons que la science acquise peut être appliquée, que la sorte de vie que nous voulons est possible, et quand nous la voudrons de volonté forte, la volonté commune sera tellement manifeste qu'aucun gouvernement sur terre, ni libéral, ni conservateur, ni tout ce que vous voudrez, n'osera y résister.
"C'est l'affaire du gouvernement de céder aux pressions," a dit le président Roosevelt. Voilà, exprimé en une phrase, le secret de toute démocratie efficace. C'est la seule manière d'obtenir le résultat que tout le monde veut.
Toutes les grandes réformes du passé furent accomplies de cette manière : la Magna Carta, le jugement par jury, l'abolition de l'esclavage et de l'emploi des enfants, le suffrage universel, la semaine de quarante-huit heures, et beaucoup d'autres. Tout cela est venu lorsque le peuple l'a cru possible, l'a voulu assez fermement, puis a exercé la pression nécessaire.
Si nous savons que nous en avons les moyens ; si nous croyons que ce que nous voulons est possible, et si nous appliquons la pression nécessaire, nous obtiendrons les résultats que nous voulons. Voilà le seul plan, la seule plannification dont nous ayons besoin. De fait, c'est le seul plan qui soit efficace, le seul qui n'ait jamais failli dans le passé.
Ralph DUCLOS