Montréal, 1er avril 1946.
Monsieur le Directeur,
Le dernier Message, reçu aujourd'hui, suggère qu'on félicite le député Albert Lemieux pour sa motion contre le service militaire obligatoire en temps de paix, et qu'on écrive aussi à notre député au sujet de cette même motion.
Lorsque j'ai traité de cette question en faisant de la propagande créditiste, j'ai rencontré plusieurs opinions en faveur du service militaire. La menace grandissante de la Russie semble justifier les raisons alléguées.
Si ce problème est assez grave et urgent pour qu'on s'en occupe activement, j'aimerais voir traiter ce sujet à fond dans notre journal.
J'ai l'honneur et le grand plaisir de vous saluer,
Mme Charles THIBAULT.
Montréal, 13 avril 1946.
Chère Madame Thibault,
M. Even comprend votre crainte du communisme. Et vous pouvez être assurée qu'il la partage. Personne plus que lui n'est opposé au régime de Russie.
Mais, est-ce bien par la force matérielle qu'on viendra à bout du communisme ? Tous les pays qu'Hitler voulait par la force protéger contre le soviétisme sont maintenant sous la botte de Moscou, donc dans une situation pire qu'auparavant. Il semble que, toutes les fois qu'on emploie la violence matérielle contre une idée, bonne ou mauvaise, c'est cette idée qui a le dessus.
Il est vrai que c'est par la force militaire que Franco a chassé les communistes d'Espagne. Mais aujourd'hui, ses adversaires d'hier reviennent contre lui avec des forces décuplées, puisqu'ils mobilisent presque tout l'univers contre lui. On se demande combien de temps il réussira à garder le pouvoir.
Le Crédit Social croit plutôt que c'est par l'esprit qu'on vaincra le communisme, c'est-à-dire en combattant l'idée du communisme et en corrigeant les désordres économiques qui provoquent les mécontentements et les aigreurs.
Mais, même en admettant qu'il faut se protéger par la force contre les visées de la Russie, cela ne justifie pas la conscription. Il y a moyen d'avoir une armée permanente suffisante par le volontariat, à condition que les soldats soient bien rémunérés, comme on fait, par exemple, quand on veut grossir les cadres de la police.
S'il fallait livrer une autre guerre, même contre la Russie, et en admettant que le motif en soit juste, le fait de recourir à la conscription suffirait à rendre la conduite de la guerre injuste. On n'a pas le droit de recourir à de mauvais moyens pour atteindre une bonne fin. Et la conscription est un mauvais moyen, condamné par les papes et les théologiens. La conscription viole la liberté de suivre sa vocation. La conscription condamne au célibat forcé et met dans de graves dangers moraux. La conscription détruit la vie de famille, brise les foyers, gâte les caractères. La conscription livre les corps des citoyens à la merci de l'État, ce qui est immoral, car l'État n'a pas un droit illimité sur le corps humain.
Et combien d'autres raisons contre cette plaie de conscription !
La conscription est l'une des horreurs apportées au monde par la Révolution Française. C'est elle qui rend possible les grandes guerres modernes. Un des meilleurs moyens de supprimer les guerres, c'est de supprimer la conscription dans les statuts des États.
Il est vrai qu'il y a beaucoup de gens qui croient la conscription nécessaire. C'est le fruit de la propagande maçonnique qui nous inonde, sous toutes sortes d'apparences trompeuses. Il nous appartient à nous, créditistes et catholiques, non pas d'accepter les sentiments de la foule, mais de faire l'éducation de chaque électeur, suivant la vérité que nous avons le bonheur de connaître.
Nous apprécions vivement votre dévouée collaboration, celle de votre mari et de toute votre famille, si créditiste, que nous voudrions voir imitée par toutes les familles de "Ville-Marie" et de "Nouvelle-France.
Votre dévoué pour la même grande cause,
Jean GRENIER.