Le 15 juin dernier, parlant à la Chambre des Communes d'Ottawa, M. Blackmore, leader des créditistes fédéraux, ne s'est pas gêné pour reprocher aux membres du parlement leur trop grande pénurie du sens des responsabilités.
Voici quelques extraits de son discours, tel que consigné au Hansard (pages 3849 à 3854 de l'édition française) :
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"Dans l'ensemble, les honorables députés ont parlé librement. En d'autres termes, nous avons la liberté de parole. Mais dans l'ensemble, ils n'ont pas atteint les objectifs qu'ils s'étaient assignés. Et j'entends par là tous les députés de cette Chambre.
"Je n'ai, pour en citer un exemple, qu'à mentionner la question des pensions de vieillesse.
"Je suis persuadé qu'il n'est pas un seul honorable député qui ne souhaite que l'on porte à $30, et sans tarder un moment, la pension des vieillards, et non seulement de ceux qui la reçoivent déjà, mais de tous ceux qui ont atteint la soixantaine.
"Pourquoi les honorables députés ne peuvent-ils atteindre leur but ? Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas ; ce petit exemple le prouve hors de tout doute. Quand non seulement la population du pays, mais tous les membres du Parlement s'accordent pour réclamer une mesure et qu'on la leur refuse, quelque chose va mal dans ce pays démocratique."
"Ce Parlement n'a pas encore attaqué les causes fondamentales du conflit actuel, depuis sept ans que je fais partie de cette Chambre. Je soutiens que c'est là une nouvelle condamnation de ce Parlement.
"Ce dernier devrait s'assurer sans plus tarder des causes de la guerre actuelle. Certes, il est facile de les découvrir, et les honorables députés les reconnaîtront une fois qu'elles auront été établies. Le Parlement devrait envisager les faits avec franchise et courage. Il devrait trouver moyen de remédier à ces causes une fois pour toutes et s'efforcer d'y arriver avec diligence et de façon systématique, sans passion et sans préjugé.
"Les membres de cette Chambre devraient consacrer tous leurs efforts à abolir les motifs de conflit. S'il n'y voit pas, s'il n'y trouve aucun remède et si, le trouvant, il néglige de l'appliquer, le Parlement se rendra coupable de négligence criminelle au plus haut degré et en portera le stigmate durant des générations."
"Nous avons fait toute la dernière guerre sans savoir quel genre de paix devrait suivre. On nous disait que nous luttions pour les droits de la démocratie et pour mettre fin aux guerres. Mais comment ? Par quel moyen ? Personne ne semblait s'en préoccuper, pas plus qu'aujourd'hui, d'ailleurs. Personne ne songe, semble-t-il, à se poser la question.
"On devrait aussi nous faire connaître dès maintenant quels sont les buts de guerre du Canada ? Je défie qui que ce soit, en cette Chambre, de se lever en cette enceinte ou de me rencontrer à l'extérieur pour m'exposer ces buts. N'est-ce pas pitoyable ?"
"On devrait nous dire en quoi consistent exactement les Nations-Unies. On entend l'expression à la radio en toutes circonstances. Qu'on nous dise au juste ce que signifie cette expression.
"Puis quelles sont les propositions des individus qui s'agitent derrière la scène ? Pourquoi, lors de la conférence de Hot Springs, M. Roosevelt a-t-il tenu les représentants de la presse à une distance respectueuse ? Pourquoi M. Morgenthau a-t-il été si embarrassé lorsqu'on a annoncé à Londres qu'il préconisait un programme international de stabilisation monétaire ? Qu'on nous donne des raisons...
"Craignons-nous nos responsabilités ? Nous devrions savoir ce qui s'est passé pendant la conférence sur les denrées alimentaires.
"À tout moment, un discours prononcé au Château Laurier ou dans quelque salle de la Chambre des Communes laisse entrevoir qu'on songe à de multiples mesures auxquelles les honorables membres de cette Chambre s'opposent ; cependant, tout s'accomplit dans l'ombre, à l'écart de la presse et du Parlement. N'est-il pas dans l'intérêt général que nous soyons renseignés ? Peut-être manquons-nous de développement intellectuel ; peut-être ne sommes-nous qu'une sorte d'idiots parés d'une certaine dignité."
"Nous devrions savoir à quoi nous engage la Charte de l'Atlantique. On parle beaucoup de cette charte. On nous dit qu'elle nous garantit contre le besoin et la crainte. Mais on ne nous souffle mot de la politique qui assurera ce résultat, ni de ceux qui devront en acquitter les frais, ni de la source où l'on puisera les fonds nécessaires. Pas un mot de tout cela. C'est, certes, un étrange état de choses."
"J'estime, en outre, qu'il est temps que la Chambre s'attaque carrément à la question de savoir ce que nous ferons de notre dette nationale après la guerre. J'ai l'impression que les honorables députés jugent que c'est là une question fort épineuse et qu'ils l'évitent comme une chose qu'il vaut mieux ne pas envisager.
"Ne savons-nous pas que nos gars et nos filles, qui luttent maintenant pour notre cause, devront envisager ce problème et qu'ils ne pourront pas s'en désintéresser ? Quelle sorte de gens sommes-nous, nous qui sommes censés défendre leurs intérêts, alors que nous nous lavons les mains de cette question vitale ?
"Il est temps que nous sachions ce que nous ferons, après la guerre, du problème du chômage... N'est-il pas grand temps que chaque membre de la Chambre se préoccupe de cette question.
"Comment établirons-nous notre régime d'impôts ? J'éprouve beaucoup d'inquiétude quand je cause avec les gens assujettis au régime fiscal tyrannique qui a été imposé à la population canadienne. Ce régime est impitoyable, implacable, immuable, inéluctable, écrasant, dévastateur et démoralisant. Il est horrible, mais rien d'indique qu'il sera le moindrement adouci après la guerre.
"Or, nous, membres du Parlement, restons plongés dans l'apathie, et nous laissons s'accumuler notre dette nationale à tel point que le fardeau deviendra encore plus lourd pour les contribuables canadiens."
"Le plus grand danger qui nous menace à l'heure actuelle est peut-être l'idée d'un gouvernement supra-national.
"Les partisans de cette idée insistent constamment sur le fait que ce gouvernement empêcherait les guerres, mais ils n'expliquent jamais de quelle façon il le ferait...
"Tous les plans de gouvernement supra-national dont j'ai pris connaissance impliquent le contrôle international du crédit et de la monnaie...
"La monnaie et le crédit sont les deux passe-partout de la vie économique et sociale d'un pays ; et remettre ces clefs à une clique de financiers internationaux équivaut à semer la terreur dans le cœur des millions de gens qui exposent leur vie afin de conserver le droit de gérer leurs propres affaires."