Qui est le promoteur ?

le mardi, 01 septembre 1942. Dans Réflexions

Ce qui suit est la traduction (à peu près textuelle) de l'article de D. W. Cox, paru dans The Social Crediter du 27 juin 1942, sous le titre "Who is the Promoter".

Les deux commis-voyageurs

Jean Desforges est commis-voyageur. Après une période de chômage, il réussit à obtenir de l'emploi au service d'une compagnie de fabricants de savon. Cette compagnie place sur le marché une nouvelle marque de savon, "Blancheur-deneige".

Le gérant de ventes de Desforges lui dit : "Nous avons à faire la concurrence à d'autres marques bien connues, mais votre travail devrait être facile. Notre "Blancheur-de-neige" est un excellent savon et possède toutes les qualités qu'on lui proclame. Il vaut en tout point le savon bien connu, "Rayon-de-soleil", tout en étant moins cher. Nos conditions au détaillant sont meilleures que celles du "Rayon-de-soleil", meilleures mêmes que celles de cet autre savon, le "Sans-bouillir", qu'un concurrent nouveau essaie actuellement de lancer sur le marché. Puis, nous vous offrons une commission généreuse, 5 pour cent. Vous aurez, il est vrai, à payer vos propres dépenses, mais les ventes devraient monter à 1,500 dollars par semaine dans le territoire très peuplé que nous vous confions — et elles se maintiendront".

Jean Desforges se mit à l'ouvrage. Les résultats ne furent pas aussi brillants qu'on le lui avait fait espérer, mais à force de travail, il parvint à faire juste assez pour vivre. Lorsqu'il se plaignait, son gérant lui rappelait avec force que le travail dur ne déplaît qu'aux hommes qui ne réussissent pas.

Georges Lecorneiller est, lui aussi, commis-voyageur et représente la compagnie fabricante du "Rayon-de-soleil". Ses débuts furent ardus ; mais, depuis plusieurs années, il fait un assez bon revenu. Sa vie est devenue moins dure, le "Rayon-desoleil" étant bien annoncé et détenant le marché des savons. Sa commission ne fut jamais bien forte, mais il touchait un salaire et ses dépenses étaient payées par la compagnie.

Toutefois, depuis quelque temps, ses ventes baissent. Il y a maintenant des produits rivaux. Il a été notifié que son salaire serait réduit et qu'il devrait couvrir un plus grand territoire.

Pendant tout ce temps-là, les gérants de vente des compagnies rivales ont fait de leur mieux pour se dépasser les uns les autres, engageant des spécialistes en propagande, des agents de publicité et exaltant les mérites de leurs savons respectifs.

Le contrôleur financier

Au bout de quelques mois, les directeurs du savon "Blancheur-de-neige" furent convoqués pour faire rapport à un directeur de leur compagnie de gestion (holding company). Ils eurent à fournir les chiffres des ventes, des profits bruts, des frais de vente par rapport au montant total des ventes, etc.

Le directeur de la compagnie de gestion leur donna quelques conseils. Il leur dit, entre autre chose : "Vous n'avez pas trop mal conduit votre affaire, mais vous n'avez pas atteint votre objectif. Par exemple, votre commission sur les ventes équivaut à un aussi fort pourcentage du montant des ventes que les dépenses de notre autre compagnie, celle qui fabrique le "Rayon-de-soleil". Vous aurez à réduire la commission. Si les commis voyageurs objectent, ne vous en faites pas : ils ont fini le principal, l'introduction du savon chez les détaillants ; il vous sera facile de trouver de nouveaux vendeurs à un taux plus bas, maintenant que vous n'avez qu'à leur passer des relations bien établies. N'oubliez pas que nous devons faire concurrence aux gens du "Sans-bouillir" et qu'il nous faudra peut-être envisager une diminution de prix".

Peu de temps après, c'étaient les directeurs du savon "Rayon-de-soleil" qui devaient rencontrer le même directeur de la compagnie de gestion "Messieurs, leur dit-il, je suis loin d'être satisfait des chiffres. "Rayon-de-soleil" a une réputation faite près de toutes les ménagères et il nous faut une plus grosse marge de profit. Comme nous n'avons point l'intention d'adopter une politique de coupe des prix, il vous faudra être plus exigeant vis-à-vis de vos commis-voyageurs.

Nous nous proposons de pousser plus vigoureusement l'annonce, de sorte que le public demandera davantage le "Rayon-de-soleil". Cependant, ces frais de publicité devront être couverts, et comme nous tenons au prix actuel de détail, c'est le prix du gros que nous serons contraints d'augmenter. Que vos voyageurs expliquent le cas à leurs clients".

Spectateurs et victimes du jeu

Telle est la sorte de chose qui se pratiquait sur une grande échelle avant la guerre. Le public ne s'imaginait guère qu'il n'existait pas de différence ultime entre les propriétaires des diverses marques de savons (comme de bien d'autres denrées d'ailleurs). Même les commis-voyageurs ne s'en doutaient pas. Les gérants de vente soupçonnaient le jeu, mais ils étaient bien payés pour suivre la ligne de conduite tracée par leurs directeurs respectifs. Les directeurs, eux, étaient dans le secret, mais c'était pour leur intérêt.

Pour le public, comme pour les neutres en temps de guerre, c'était un spectacle intéressant d'assister aux luttes des compagnies rivales ; parfois cela valait même un bénéfice temporaire aux acheteurs.

Mais les commis-voyageurs ? Avec son revenu diminué, Georges Lecorneiller pouvait-il voir autre chose qu'un envahisseur dans la personne de Jean Desforges ? Si Desforges travaillait aux mêmes conditions que moi, disait Lecorneiller, ça pourrait encore aller ; mais, en acceptant de ne travailler qu'à commission, sans salaire fixe, il m'oppose un travail de forçat !

Et le commis-voyageur s'en prenait à son confrère de l'autre compagnie, alors que tous deux étaient victimes de la cupidité d'un même mangeur d'hommes.

Même chose ailleurs

La ressemblance de ce cas avec le cas des affaires internationales est si frappante qu'on pense immédiatement aux gouvernements des différentes nations soumis à la finance internationale. On pense immédiatement aussi à la fomentation des guerres entre nations. Desforges et Lecorneiller sont forcés de lutter l'un contre l'autre ; mais lorsque la guerre est terminée, c'est la compagnie de gestion qui empoche les profits, et la situation du vainqueur lui-même est pire à la fin de la guerre qu'au commencement.

La même chose des partis politiques. N'est-il pas étrange que, dès qu'une guerre éclate, on voit surgir partout des gouvernements d'union, des gouvernements dits nationaux ? Même les politiciens qui ont passé leur vie à se combattre (en apparence au moins) parlent ouvertement de l'unité fondamentale de tous les partis.

Il y a quelque chose de plus vrai qu'ils n'ont l'intention de le suggérer dans cette expression de l'unité fondamentale de tous les partis. Tous les partis, en effet, se rattachent à une même direction derrière la scène visible — tout comme les compagnies rivales au directeur de la commune compagnie de gestion. Et le directeur derrière les partis, c'est le financier international.

Qu'on se rappelle ce qui s'est passé aux élections provinciales de l'Alberta en 1941. Un gouvernement créditiste détient le pouvoir. Tous les efforts de ce gouvernement pour légiférer sainement en matière financière ont été désavoués par le gouvernement fédéral. Malgré cela, l'Alberta est, selon les termes mêmes du roi Georges VI, "la province la plus prospère du Canada". Viennent les élections. Il n'est plus question, en face du candidat créditiste, de candidat libéral, ni de candidat conservateur, mais d'un seul candidat, dit "indépendant". La haute finance, inquiète, attelle ses deux chevaux, le rouge et le bleu, contre celui qui ose défier son sceptre.

D. W. COX

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