Les Pharisiens calculent

le lundi, 01 avril 1946. Dans L'économique

L'Union des Électeurs demande $30 de dividende par mois pour chaque adulte et $15 pour chaque enfant.

Des Pharisiens, bien logés, bien nourris, bien vêtus, et qui croient qu'eux seuls savent utiliser les biens de la terre, entrent immédiatement en scène. Ils prennent leur crayon et calculent :

"Dans cette famille de gens mal éduqués, entassés dans un taudis à vermine, le père va tirer $30, la mère $30, le grand garçon, $30, la grande fille $30, chacun des quatre mioches $15. Total, $180 par mois ! Scandale ! Toute la maisonnée va boire, faire la noce, et personne ne travaillera plus !"

Calmez-vous, monsieur le Pharisien. Vous avez sans doute envie de voir cette famille continuer à croupir dans un trou où vous ne voudriez pas dormir une seule nuit. Combien coûterait une maison convenable pour huit personnes ? Combien d'années pour la payer, après avoir taillé dans les divi- dendes pour des besoins accumulés depuis longtemps ?

Êtes-vous si scandalisé des revenus des familles qui vivent dans Outremont, dans Westmount et d'autres endroits chics ?

Puis, monsieur le Pharisien, croyez-vous qu'une famille de huit n'a qu'un estomac à nourrir, qu'une paire de pieds à chausser, qu'un dos à vêtir ?

Vous voyez le paquet d'argent, vous ne voyez pas le paquet de monde.

Laissez donc vos multiplications et songez aux individus. Ce papa, qui gagne actuellement peut-être $120 par mois par son travail, va-t-il perdre sa vertu parce qu'on lui ajoute $30 à titre de dividende ? Cette maman qui peine toute la journée, et plus que la journée, sans toucher un seul sou, va-t-elle négliger sa maison et courir les théâtres parce qu'elle touchera $30 par mois ( $1.00 par jour) ? Ce grand garçon, qui fait un bout de salaire, va-t-il se désœuvrer parce qu'un supplément de $30 par mois lui permettrait de compléter son instruction, d'obtenir une meilleure position et de songer à son avenir ? Cette grande fille, anémiée et emmiasmée par toute une jeunesse passée dans ce réduit noir, va-t-elle abandonner sa religion parce qu'un $30 par mois lui donnerait le moyen de s'évader de temps en temps vers la campagne ? Et pensez-vous qu'un $15 par enfant (50 sous par jour) soit un luxe pour leur procurer un peu plus de soins, des habits plus chauds à l'hiver et un peu d'air pur à l'été ?

Peut-être, monsieur le Pharisien, le dividende à cet ouvrier et à chaque membre de sa famille lui permettra-t-il de refuser des conditions de travail qui l'exploitent au-delà de ses forces ? Ce ne sera pas un mal.

Peut-être le dividende libérera-t-il le citoyen de l'obligation de lécher des bottes politiques ? Ce sera tant mieux pour lui et tant mieux pour l'âme du politicien.

Peut-être ceux qui veulent conduire les autres devront-ils renoncer à la méthode de les mettre à choisir entre la faim et la servitude ? La société n'y perdra pas. Il y a assez longtemps que la pauvreté force des hommes avec une âme à se plier aux caprices de gens faits tout au plus pour manœuvrer des animaux.

Pharisiens hypocrites, pourquoi tenir à imposer aux autres des conditions de vie que vous ne sup- porteriez pas une semaine ?

L'Union des Électeurs se moque de vos jérémiades et de vos scrupules intéressés. Un autre esprit que votre pharisaïsme l'anime. Elle veut voir distribuer aux enfants des hommes, pour la satisfaction de leurs besoins, les biens rendus possibles, grâce au travail des hommes sans doute, mais surtout grâce à la Providence généreuse qui n'a point pris les Pharisiens dans son conseil.


Après comme avant avant la guerre

Jacques ne pouvait trouver d'emploi, habitait un taudis et vivotait du secours direct. Pendant la guerre Jacques se battait en héros, affrontait la mitraille et se faisait déchirer la peau par des fragments d'obus.

***

Après la guerre Jacques cherche inutilement une "job", habite un coin de maison encombrée, vivote d'une indemnité temporaire et digère les promesses des politiciens.

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