Le tsarisme dans le commerce

le vendredi, 01 janvier 1943. Dans Réflexions

La guerre nécessite bien des dérangements à la vie normale. Mais que les mesures de guerre aillent jusqu'à mettre totalement à pied des petits com­merçants, des petits industriels, ce n'est plus pour ces victimes une mesure temporaire, c'est un assas­sinat économique irréparable.

Les maisons sacrifiées sont souvent le résultat de toute une vie. Fermées d'un trait de plume, elles ne revivront pas. Le propriétaire dépossédé n'aura pas une seconde vie pour recommencer. Ce sont les gros qui bénéficieront de la disparition des petits; ils prendront la clientèle et la tiendront avec la serre qu'on leur connaît.

On sait que le tsar Gordon a tous les pouvoirs en main. Il peut octroyer des licences; il peut reti­rer des licences. Il peut supprimer des commerces; il peut forcer des commerces à se fusionner. Ses dé­cisions sont sans appel. Pourtant Gardon n'a ja­mais été élu par le peuple. Il paraît même que, derrière la scène, il est loin de s'entendre avec au moins l'un des élus du peuple, l'Hon. James Gardi­ner, ministre fédéral de l'Agriculture.

Il y eut bien une mésentente semblable entre l'Honorable Mitchell, élu du peuple, et le tsar Lit­tle du Service Sélectif. L'orage finit par éclater : le tsar allait plus vite que le politicien habitué à ser­rer l'étau cran par cran.

Quant aux volontés du tsar Gordon, elles ne peu­vent être infirmées, avant leur expression, que par un véto écrit de l'Hon. Ilsley, ministre des Finan­ces. Mais Gordon était banquier avant d'être tsar du commerce; et quand les dirigeants des banques ont-ils trouvé un ministre des Finances bien réfrac­taire?

Voici ce que Today and Tomorrow écrivait ré­cemment en marge des décrets du tsar Gordon :

"Gordon est un banquier. Et c'est ce banquier qui, en ce moment, détient plus de pouvoir que toute autre personne au Canada. De ses décisions, dépend apparemment le sort de 125,000 petits pro'priétaires dans le commerce de détail — hommes modestes qui doivent déjà lutter contre les empiè­tements des gros intérêts et qui, s'ils veulent survi­vre, devront se hâter de faire comme leurs camara­des d'Angleterre : s'organiser pour résister à la me­nace et pour protéger leur liberté de faire du com­merce.

"L'un des plus grands dangers de l'heure, c'est la tendance à la centralisation — centralisation dans la production, dans la distribution, et dans le gouvernement lui-même. Si l'on permet la conti­nuation dans cette voie, il n'y aura plus de com­merçants individuels à la fin de la guerre, tout aura été absorbé dans des institutions. C'est là l'indica­tion d'un grand mal.

"Derrière chaque petite entreprise, il y a toute une histoire d'initiative personnelle, de courage personnel, de détermination personnelle. Ce n'est pas une institution, mais une personne qui se tient derrière le comptoir du petit magasin. Cette per­sonne, c'est le propriétaire, souvent le fondateur, souvent aussi à la fois gérant, travailleur et com­mis. Cet homme pioche laborieusement à travers des factures, des inventaires, des livrets de ration­nement qui volent son temps. Il tient bon, parce qu'il est dans sa vocation, il fait un travail qu'il aime et auquel il a voué sa vie. Il apprécie cette li­berté d'être à l'occupation de son choix.

"Aujourd'hui, il tient encore, malgré de nouvel­les difficultés — combien d'articles qu'il ne peut obtenir et servir à ses clients! Il ne fait pas autant d'argent, mais il continue de faire de son mieux pour garder et satisfaire sa clientèle.

"Déracinez-le de son commerce, puis déracinez son commerce, et vous déracinez les derniers vesti­ges de liberté personnelle laissés à des hommes li­bres déjà mis dans le dénûment."

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