Le sphynx de Moscou

Maître J.-Ernest Grégoire le jeudi, 01 avril 1943. Dans La politique

Apprenti révolutionnaire en 1898, agitateur prudemment voilé en 1901, exilé en Sibérie en 1903, instigateur du coup sanglant de Tiflis en 1907, lieutenant de Lénine dans la révolution d'octobre en 1917, dénoncé par Lénine pour sa brutalité en 1922, quand même son successeur par cabale en 1924, dictateur de toutes les Russies et tueur sans remords de tous ceux qui lui portaient ombrage, complice de Hitler en 1939 pour s'emparer d'une grosse bouchée de la Pologne qu'il a bien l'intention de garder, envahisseur sans scru­pule de la Finlande en 1940, jeté par Hitler du côté des Alliés en 1941, Joseph Vissarinovitch Djougachvili, universellement connu sous le nom de Joseph Staline (l'homme d'acier), est en voie de devenir le personnage le plus marquant de l'univers.

Ce président de la Ligue des Sans-Dieu du monde entier reçoit les bénédictions du patriarche orthodoxe (schismatique) de la Rus­sie. "Je prie Dieu de bénir votre œuvre," dit le patriarche. Quelle œuvre ? Staline lui-même l'a définie : "Notre œuvre ne sera bien terminée que lorsque la religion ne sera plus qu'un souvenir histo­rique."

Les mains encore rouges du sang de millions de Russes qui avaient commis le crime de ne pas saluer la révolution avec fer­veur, Joseph Staline s'entend acclamer sauveur de la civilisation.

L'Amérique, l'Empire britannique lui expédient des bombar­diers, des chars d'assaut, des mitrailleuses. Staline n'a qu'une formule de remerciement : "Ouvrez donc un deuxième front !"

À l'occasion du vingt-cinquième anniversaire de l'Armée Rou­ge (que ses fondateurs ont conçue comme l'armée de la Révolution Mondiale), le président des États-Unis télégraphie des compli­ments à Joseph Staline. La gerbe de fleurs n'est pas encore fanée que l'homme du Kremlin s'écrie dans un bref discours : "Parce que les Alliés tardent à ouvrir un deuxième front, les armées russes portent à elles seules tout le poids de la guerre."

Des compliments aux alliés pour leurs brillantes opérations en Afrique ? Pas de la part de Staline.

On le convie à Casablanca : il n'y paraît pas. On l'invite à des conférences pour discuter de la politique générale inter-alliée d'a­près-guerre ? Pas de réponse. Le sphynx de Moscou garde toute sa liberté d'agir comme il lui plaira.

"La deuxième guerre mondiale doit amener l'instauration du communisme dans le monde", écrit L'Action Populaire des Révérends Pères Jésuites en novem­bre 1942. Tel a été le mot d'ordre du parti communiste de l'U.R.S.S. et de l'in­ternationale communiste, depuis plus de dix ans. Toute la politique soviétique s'est inspirée de ce mot d'ordre. Rien n'a été omis pour compliquer et envenimer la situation internationale. Lorsque, en 1939, l'U.R.S.S. passa à la conclusion du pacte d'amitié avec l'Allemagne, cette opération politique était destinée à pré­cipiter le conflit entre les grandes puissances européennes, tout en maintenant l'URSS en dehors du conflit jusqu'à l'heure choisie par Moscou. Le calcul a été juste à une exception près : l'heure H a été désignée par l'Allemagne et non par l'URSS.

Le chef de l'Espagne, Franco, se trompait-il beaucoup, l'autre jour, en déclarant que le communisme reste le plus grand péril me­naçant toute l'Europe.

Et c'est avec ce Joseph Staline, avec ce Moïse nouveau-genre, qu'il faudrait s'attabler pour dressez les plans de l'ordre nouveau !

J.-Ernest GRÉGOIRE

Maître J.-Ernest Grégoire

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