Comme un équipage qui collabore pour faire avancer le navire dans la bonne direction, les hommes s'unissent naturellement pour tendre d'un effort commun vers leur bien commun. C'est le but, la raison d'être des institutions sociales. Les institutions qui ne tendent pas vers le bien commun sont mauvaises ou viciées.
Le bien souverain étant à la fois commun et individuel, les institutions sociales ne peuvent conduire l'humanité vers son bien commun, si elles ne laissent à l'individu la liberté de tendre personnellement vers son bien propre. Ce dernier, justement compris, ne peut entrer en conflit avec le bien commun.
Une société où l'individu, traqué, affamé, trompé, mis en défiance, est "empêché" de tendre à sa fin ultime est une société mauvaise, mal organisée.
Le libéralisme anglo-saxon est mauvais. Il ne sauvegarde pas les droits de la personne humaine. Il immole le faible au fort dans la lutte économique ; il sacrifie l'homme à l'argent.
Le socialisme est mauvais. Il ignore la véritable fin de l'homme en organisant la société en équipe pour la seule poursuite de biens matériels. C'est encore la force tyrannique — cette fois celle de l'État — qui piétine la personne humaine. Le citoyen n'est plus qu'un rouage dans le mécanisme producteur. La liberté personnelle est sacrifiée à la rationalisation de la production matérielle.
Le nazisme, comme le libéralisme qu'il prétend pourtant combattre, comme le socialisme qu'il prétend supplanter, est une doctrine matérialiste. Le mythe de la race classe le nazisme au niveau de la zoologie. Le bien qu'il poursuit n'embrasse pas l'humanité, mais seulement les avantages terrestres de races élues, au détriment des autres. Là encore, la force, la force la plus brutale, est mise au service d'une fin viciée.
Ces philosophies matérialistes s'affrontent. La guerre philosophique est devenue une guerre à coups de canons. Le libéralisme en déconfiture, allié à l'avorton russe du socialisme, s'emploie à écraser le nazisme et tâche de sauver ses propres débris en préparant des plans d'ordre futur.
Le "Plannisme" est la fusion des germes essentiels de tous les systèmes matérialistes, et l'on peut se demander si son but caché n'est pas d'empêcher toute véritable réforme.
Le plannisme conserve pieusement la suprématie de l'argent sur la personne : c'est son tribut au capitalisme en tout ce qu'il a de plus vicié.
Le plannisme conserve le droit de propriété pour les forts, mais n'en facilite point l'exercice aux faibles, ceux-ci devant dépendre, pour leur sécurité, d'une enrégimentation un peu plus poussée. Habile compromis, semble-t-il, entre les démocraties ploutocrates et leur alliée communo-socialiste. "À mi-chemin de Moscou", selon l'expression du plus célèbre planniste de l'heure, Sir Beveridge.
Le plannisme qui se dessine dans l'ordre international confère aussi une supériorité non déclarée, mais pratique, à une race élue. Sorte de tribut au nazisme, avec cette différence que la race élue n'est plus la même que dans l'idéal teuton.
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Pourquoi ces institutions nouvelles ? Pour ramener, paraît-il, la sécurité individuelle. Mais pourquoi subordonner ainsi la sécurité individuelle à l'engrenage dans un mécanisme matérialiste qui tue la liberté personnelle ?
Pourquoi ne pas rétablir les institutions saines qui, pendant des siècles, ont réussi une sécurité économique en rapport avec les possibilités du temps, sans immoler la personne ?
Pourquoi ? Parce qu'il faudrait décentraliser, diviser le pouvoir, retirer le monopole de l'argent à ceux qui le détiennent et peuvent ainsi contrôler les vies humaines.
Il faudrait, pour rétablir dans leur force la famille et la nation, corriger les défauts qui ont amené leur défaite. C'est le sacrifice qu'on ne veut pas faire.
La famille, cellule initiale et respectée de toute société bien organisée, la vraie famille, celle qui a maison et revenu, était le refuge où chacun de ses membres pouvait toujours revenir, fût-il malade, infirme, vieux ou chômeur. N'avons-nous pas eu ces siècles de solidarité familiale, où nulle famille n'aurait voulu laisser à la rue quelqu'un de son sang ou de son nom ? La multiplication des hospices et des institutions publiques de secours correspond à la disparition de la vraie famille, de la famille qui remplissait son rôle social à l'égard de tous les siens.
Mais voilà : à cette vraie famille, pour pouvoir tenir son rôle social, il faut nécessairement un revenu. Le salaire pouvait lui assurer ce revenu dans un autre âge, il ne le peut plus. Les créditistes savent cela, eux, et proposent en conséquence. Les plannistes ne veulent pas le savoir et transfèrent à la grande fourmilière nationale, ou internationale, le rôle qui serait mieux et plus naturellement tenu par la famille.
L'économie fermée des pays était une sorte de garantie de sécurité nationale. En rationalisant la production mondiale sous l'égide de la finance internationale, en spécialisant le travail de chaque pays, la sécurité économique a été soumise à la concurrence effrénée des marchés qui en découlent, frappent tous les pays, et dans chaque pays tous les travailleurs.
Mais les plannistes sont là et n'ambitionnent rien moins qu'un système de sécurité mondiale, couvrant toutes les insécurités locales, sous le paternalisme calculé de la finance internationale.
C'est le joueur qui mise toutes ses chances sur une seule carte. La sécurité de millions d'individus dans la seule main de l'État, ou du super-État, au lieu d'être répartie dans les milliers de cellules naturelles où l'individu devrait normalement la trouver : dans les famille ayant maison et revenu. Vienne l'État ou le super-État en mauvaise posture ; vienne un décret maladroit du tuteur financier ; vienne une autre guerre — tout le beau système est à l'eau.
Même en attendant une catastrophe de cette ampleur, l'homme enrégimenté, étiqueté, classé, nourri à la portion, logé dans un espace déterminé en pieds cubes, moulé, déchu de sa dignité humaine, matérialisé jusqu'à l'abrutissement, l'homme victime d'institutions mauvaises pourra-t-il facilement avancer vers son bien propre, son bien ultime, son bien surnaturel ?
À l'heure actuelle, nous ne connaissons, dans l'ordre économique, qu'une institution capable d'assurer à la personne sécurité et liberté tout en facilitant le rétablissement d'un meilleur ordre politique et social. Et cette institution, c'est le Crédit Social.
Excellent moyen de rétablir la famille dans ses droits naturels en lui permettant l'exercice de sa pleine fonction sociale : le dividende tel que préconisé par le Crédit Social. Le dividende qui assure le minimum vital à chacun dans un monde de production abondante. Le dividende qui complète le salaire, dans un monde où la machine diminue l'appel au salarié tout en augmentant l'offre de produits.
Matérialiste, le plannisme oblige l'homme à la production matérielle, même si la production existe déjà abondante. Plus respectueux de la personne humaine ; le Crédit Social laisse à l'homme la libre disposition de ses activités. Sous une économie créditiste, la production mécanisée libère l'être humain pour des fonctions de son propre choix.
Irons-nous au Plannisme ou au Crédit Social ?
Magdeleine BRAULT