La politique — Gouvernement Démocratique

Louis Even le vendredi, 01 décembre 1939. Dans La politique

Vd 1 déc 1939 p3

RÉALITÉ, CARICATURE — VIGILANCE, IGNORANCE

La démocratie est le gouvernement du peuple pour le peuple. POUR le peuple, pas nécessairement PAR le peuple. Nous ne dirions même jamais par le peuple, parce qu’une foule ne gouverne pas. Pas nécessairement non plus par des hommes élus par le peuple, bien que ce soit la forme ordinaire de nos institutions démocratiques.

Peu importe d’où il tire son investiture, un gouvernement est démocratique dans la mesure où il administre réellement pour le peuple, dans les intérêts du bien commun. On a vu des monarchies, même absolues, plus démocratiques que des républiques. Les mesures édictées par un saint Louis, par un Henri IV furent, pour un bon nombre, plus démocratiques que les décrets émanant d’une république Cromwell, ou que les lois savamment rédigées sortant de nos parlements modernes pour consolider les positions de l’oligarchie financière.

OÙ L’ON PRATIQUE LA DÉMOCRATIE

Nous entrâmes récemment dans la salle publique d’une petite municipalité rurale. C’était le soir du premier lundi du mois. Maire et échevins siégeaient autour d’une vieille table. Une lampe à pétrole éclairait les lieux... dans un pays tellement débordant d’électricité qu’on mendie la permission de l’exporter aux États-Unis.

Une bonne quarantaine de citoyens, provenant des soixante-cinq familles de la municipalité, assistaient aux délibérations de leurs édiles. Ils se rassemblaient là pour surveiller leurs intérêts communs. Non pas pour décider si M. Gauthier vendrait une de ses vaches, ni si Mme Picard placerait son grand garçon au collège : ce sont là affaires du bien commun de la famille Gauthier, du bien commun de la famille Picard. Mais pour étudier les choses concernant le bien commun de la municipalité elle-même : mesures à prendre pour hâter le parachèvement du bout de chemin qui accède au pont local et offre aux automobilistes la désagréable surprise de deux arpents de boue glaiseuse en pleine course sur une route autrement très acceptable ; considération à donner aux dernières propositions de la compagnie d’électricité pour la pose d’une ligne de transmission et la fourniture de courant.

Il nous fut impossible de discerner parmi les membres du conseil un parti au pouvoir et un parti dans l’opposition. Ils examinaient les questions à leur mérite, chacun selon son jugement et en tenant compte du point de vue prévalant parmi leurs concitoyens.

Ce modeste conseil municipal s’efforçait d’administrer pour le bien commun de la collectivité sous sa juridiction. Véritable démocratie, en action.

OÙ L’ON SIMULE LA DÉMOCRATIE

Ce sont aussi des élus du peuple qui composent le conseil de la Province ou de la Confédération, le Cabinet de Québec ou d’Ottawa. D’autres élus du peuple, M. A. L., M. P., qui passent jugement sur les propositions soumises. Les discussions ne manquent ni de longueur ni d’ornement, à toutes les sauces et à tous les goûts. Mais qu’en sort-il ?

Les années passent, les sessions se succèdent, les parlements aussi. Les dettes s’accroissent, les taxes augmentent, le chômage persiste, la vie devient plus dure, le mécontentement s’accentue, la révolution menace, la guerre est accueillie comme un soulagement.

Sont-ce là des résultats démocratiques, répondant aux aspirations du peuple ? Est-ce une administration POUR le peuple, celle qui donne au peuple exactement le contraire de ce qu’il veut ? celle qui laisse le peuple privé de ce qu’il réclame avec le plus d’unanimité ? Est-ce une démocratie en action, celle qui divise le peuple en camps opposés et ignore d’autant plus ses intérêts que ceux-ci embrassent un champ plus vaste ?

PREMIÈRE CONDITION D’UNE VÉRITABLE DÉMOCRATIE

D’où vient cette différence de résultats entre des organismes également démocratiques par leur constitution ? C’est que dans l’un, au municipal, le peuple est présent, et on le sert ; dans les autres, au provincial et au fédéral, le peuple est absent, et on l’immole.

Sans doute que la députation est instituée pour représenter l’absent, pour parler en son nom, pour voir et surveiller à sa place ; mais elle est tombée de ce rôle à celui de représentante des partis. Ce n’est plus de la démocratie, c’est de la cabale de clans. Ce n’est plus de la politique autour du bien commun ; c’est la souillure de la politique, c’est du politicisme pour camoufler la poursuite d’intérêts privés, tout en conduisant le navire de l’État d’après la boussole des puissances d’argent.

La première condition de toute administration véritablement démocratique, c’est que les administrés s’occupent des affaires de leur association. Qu’il s’agisse de la petite ou de la grande cité temporelle, d’un groupement naturel ou d’un groupement conventionnel, la même condition tient.

LA DÉMOCRATIE INCOMPATIBLE AVEC L’IGNORANCE

Dans la salle municipale, le peuple est là, pour voir avec les yeux de son corps. Dès qu’on monte plus haut, qu’on s’éloigne de lui, il faudrait que son regard s’élève, que sa surveillance s’exerce plus loin. Ce ne sont plus les yeux de son corps, c’est la vision de son esprit qui entre en jeu. C’est l’information, c’est l’étude — d’autant plus que les problèmes revêtent plus d’ampleur, embrassent plus de complexités. S’il ne va pas jusque-là, s’il abandonne aveuglément la tâche à son député, à un député de parti qu’il paie bien et auquel il ne demande aucun compte, le pauvre peuple se plaindra longtemps : il n’est plus en démocratie, il est sous le régime d’exploitation du troupeau.

Comme le pôle nord et le pôle sud, les partis politiques de noms diamétralement opposés se ressemblent par plus d’un caractère ; et l’un des plus saillants, c’est l’ignorance absolue dans laquelle ils laissent le public, c’est l’oubli total de l’électeur d’une campagne électorale à l’autre. Non pas qu’ils l’instruisent davantage pendant les campagnes électorales : c’est alors qu’ils l’inondent d’assertions les plus contraires. Un discours fini, qu’a-t-on appris, sinon que tel politicien possède tous les défauts et son adversaire toutes les qualités ? Le discours suivant renverse les rôles.

Un peuple ignorant ne peut se mêler de la conduite de ses affaires, puisqu’il ne les connaît pas. La dictature est le régime qui lui convient, et il l’a immanquablement, même si on lui laisse le droit de vote pour l’illusionner, l’endormir ou le distraire.

C’est un privilège inestimable que le droit de vote. Nous sommes de ceux qui pensent qu’avec des administrateurs élus par les administrés, sujets à renvoi à l’expiration de leur terme d’office s’ils ne donnent pas satisfaction, on est, ou l’on peut être, mieux protégé que sous le régime d’un prince inamovible possédant des pouvoirs souverains. Tous les princes ne sont pas des saint Louis.

Mais, cela suppose que les administrés se tiennent renseignés et surveillent les administrateurs. L’étude, la vigilance sont les sauvegardes d’une véritable démocratie.

Louis Even

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