La police chez les insaisissables

Louis Even le samedi, 15 août 1942. Dans Réflexions

On s'est ému un peu partout des nouvelles des journaux relatives à notre soi-disant papier-mon­naie et à la surveillance de la Gendarmerie Roya­le.

Dans une paroisse, par exemple, les marchands ont arrêté complètement d'accepter les transferts de l'Association Créditiste, par crainte d'une des­cente de la police.

Bravo  ! messieurs les financiers, vous avez encore une fois pris le peuple par la peur  ! C'est votre mé­thode. Mais, si elle a encore eu un succès passager chez quelques-uns, prenez garde, elle commence à être usée et pourrie comme votre système tout en­tier.

Car, les vrais créditistes, ceux qui comprennent bien leur affaire, et qui veulent sauver leur provin­ce, sont décidés jusqu'à la mort. Et il y en a beau­coup de ceux-là. Et jusqu'à la mort, c'est bien plus loin que jusqu'à la perte d'un avantage pécunier quelconque, c'est bien plus loin que jusqu'à la pri­son même, messieurs les financiers  !

Et puis, votre chantage, nous y sommes accou­tumés. Vous pouvez faire les braves en face d'un peuple ignorant. C'est justement sur notre igno­rance que vous avez construit votre système. Mais, avec vos chiffres comme monnaie basée sur notre travail, vous ne valez pas cher en face d'un peuple qui sait qu'il peut faire des chiffres comme les vô­tres basés sur son propre travail.

Financiers, vous nous avez appris que l'argent n'était autre chose que de la confiance basée sur de la richesse. Votre technique de fabrication d'ar­gent est merveilleuse. Maintenant que nous la con­naissons, nous nous en servirons pour exprimer no­tre richesse à nous.

Oui, notre richesse à nous, et des chiffres à nous. C'est aussi bon que notre richesse à nous et des chiffres à vous. Qu'en dites-vous  ?

Lorsque nous étions ignorants, nous avions con­fiance en vous qui nous voliez. Maintenant que nous sommes instruits, nous avons confiance en nous qui sommes les vrais riches. Qu'en dites-vous encore  ?

Le gouvernement vous a permis de faire des chiffres qui sont de l'argent, nous faisant accroire que lui seul avait le pouvoir de faire l'argent.

Le gouvernement ne peut plus venir nous ber­ner avec cette fable, et nous dire que ceux qui font l'argent usurpent le pouvoir du gouvernement. Que le gouvernement continue à frapper monnaie. Nous ne sommes pas assez bêtes pour lui envier ce privilège. Nous préférons l'autre privilège, celui de faire les chiffres, qui valent mieux que la monnaie de papier ou de métal souillée par les microbes des poches d'ivrognes et de politiciens.

Et le second privilège, celui de faire les chiffres, nul ne peut nous le refuser. Nul ne peut empêcher quiconque d'exprimer sa confiance par un chiffre. Et nul ne peut empêcher ce chiffre d'être inscrit dans un livre quelconque.

Le chiffre n'est rien. La confiance est tout. Et les financiers, si fins voleurs qu'ils soient, peuvent voler la confiance d'un peuple ignorant, mais ne volent pas la confiance d'un peuple instruit. Et les gendarmes peuvent faire peur aux porteurs de chiffres pas trop renseignés, lorsqu'ils sont des marchands qui ne comprennent pas le sens du cré­dit, mais les gendarmes ne font pas peur aux fa­bricants de chiffres qui étudient depuis longtemps les manœuvres du banquier. Et les journalistes, si creux en matière économique, peuvent faire chan­ter certains timides, mais ils font sourire les vrais créditistes organisés.

Oui, la police pourrait saisir nos livres, mais ne nous prendra jamais notre confiance. Et notre confiance, étant toujours là, nos chiffres pour l'expri­mer, viendront toujours infailliblement. Nous écrirons sur du papier rayé, sur des écorces de bou­leau ou dans nos têtes. Mais, tant que nos têtes seront sur nos épaules, et que la confiance sera dans nos cœurs, les chiffres existeront en face de notre richesse.

La confiance, financiers, c'est insaisissable. C'est aussi insaisissable que la charité, sur laquelle est basé le mouvement créditiste de la province de Québec.

Vos cœurs sataniques, servis par les mains im­pures de nos grands hommes d'État, ne savent pas comment toucher à cela, la confiance et la charité. C'est insaisissable par les moyens infernaux dont vous disposez. Le ciel seul donne des leçons sur ces bonnes choses, et financiers et politiciens exhalent des odeurs de démons.

Louis Even

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