La patrie

Gilberte Côté-Mercier le mardi, 15 juin 1943. Dans Réflexions

Qu'est-ce que la patrie ?

C'est... C'est... On ne sait pas trop ce que c'est. On entend bien des beaux discours qui en parlent, des livres d'histoire qui en écrivent. On connaît même des gens qui se battent pour la patrie, la leur ou celle des au­tres, qu'importe puisqu'on ne sait pas au jus­te ce que ça veut dire. La patrie, on ne touche pas à ça, on ne voit pas ça, on n'entend pas ça.

Qui sait, nous autres, les Canadiens fran­çais, on n'a peut-être pas de patrie. On n'a bien pas de drapeau. Et le drapeau, c'est un signe de la patrie. Pas de signe, peut-être pas de chose. Pas de drapeau, peut-être pas de patrie.

*    *    *

Mais, pourquoi donc les Canadiens fran­çais n'ont-ils plus de patrie ?

Ceux qui disent que nous en avons une sont des menteurs.

Si la patrie est l'ensemble des maisons à nous, puisque nous n'avons plus de maisons, nous n'avons plus de patrie.

Qui donc peut dire, chez nous, qu'il a une maison à lui maintenant ?

Des propriétaires qui possèdent des titres de notaires, il n'y en a presque plus.

Et même ceux à qui il reste les titres, mê­me ceux-là portent sur leurs maisons des hy­pothèques qui les rongent.

Et ceux qui ne portent pas d'hypothèques personnelles portent les lourdes hypothèques publiques. Si lourdes qu'elles donnent au gouvernement le droit même de tout prendre. La preuve : les taxes peuvent manger les revenus ; les comptes à rendre au gouver­nement peuvent permettre une confiscation déguisée comme celle que nous subissons de­puis la guerre.

Et si personne chez nous n'a de maison à lui, on a donc raison de dire que nous n'avons pas de patrie, puisque la patrie c'est l'ensem­ble des maisons de ceux qui sont frères.

Nos pères nous avait bien laissé un hérita­ge : champs fertiles et bâtiments solides. Mais, les voleurs ont tout pris.

Voilà pourquoi nous n'avons plus de dra­peau.

Et voilà pourquoi les créditistes, pour se rebâtir une patrie, leur Nouvelle-France, s'organisent pour donner à chacun de leurs frères une maison et un champ libres de det­tes.

Et voilà pourquoi, bravement et fièrement, les créditistes promènent le drapeau qu'ils ont eux-mêmes dessiné.

Gilberte Côté-Mercier

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