La naissance d'un sceptre

le mercredi, 15 septembre 1943. Dans L'économique

Il s'agit du sceptre de Donald Gordon. Toute naissance est précédée d'une conception. La nais­sance du contrôle des prix et des rations n'y fait pas exception.

Les réflexions qui suivent sont extraites d'un article éditorial paru dans le Western Producer du 22 juillet dernier :

*    *   *

"C'est en temps de guerre seulement que la fi­nance risque de perdre son emprise sur les gouver­nements. Les autorités militaires tendent alors à devenir suprêmes. Et les responsables de la pro­duction, prenant nécessairement plus d'importan­ce, risquent de prendre le pas sur les puissances d'argent. Voilà ce que la finance veut éviter à tout prix. Si elle laisse faire, pour peu que la guerre se prolonge, elle pourrait bien définitivement perdre ses privilèges.

"Aussi fallait-il deviser quelque chose, pendant la guerre même, pour conférer à la finance une maîtrise liée aux activités de guerre...

"Le but du complot était d'établir définitive­ment la domination de la finance, ne laissant aucu­ne possibilité de la défier avec tant soit peu de succès.

"Déclarer ouvertement ce dessein aurait évidem­ment gâté toute l'affaire ; même le gouvernement aurait résisté. Mais les instigateurs sont des mes­sieurs qui ne manquent ni de cerveau ni de cran...

"Ils décidèrent donc de présenter leur projet né­faste et profondément incrusté, sous forme d'un plan destiné à faire gagner la guerre. Voilà qui sonnerait bien dans les circonstances. Le gouver­nement avait promis l'égalité de sacrifices : le plan y pourvoirait merveilleusement, car il comporte­rait des sacrifices — et en masse — pour tout le monde.

"On dirait au public : C'est le moyen d'arrêter l'inflation — cette bête noire qui menace de voler les deniers des veuves. À ceux qui se plaindraient d'en souffrir, la réponse est toute prête : Mais à quoi vous attendiez-vous donc ? N'êtes-vous pas prêts à souffrir pour votre pays en ces heures de grande détresse ?

"Projet presque imbattable, qui ne pouvait être surpassé que par son impertinence ruineuse et par son audace effrontée.

"Et c'est ainsi qu'un bon matin, les Canadiens s'éveillaient en apprenant qu'un corps important venait d'être constitué, sous le nom de "Commis­sion des Prix et du Commerce en Temps de Guer­re", avec le banquier Donald Gordon comme pré­sident en selle. Naturellement, le Parlement res­ponsable au peuple n'avait rien eu à voir là-dedans.

"Les Canadiens se frottèrent les yeux, ne sa­chant trop ce qu'en penser. Mais toutes les grosses voix du pays, et d'en dehors du pays, furent mobi­lisées pour affirmer sur tous les tons : C'est le moyen de gagner la guerre. La victoire exige de grands sacrifices : le nouvel organisme est là pour s'en charger.

"Se plaindre ressemblerait donc presque à de la trahison, puisqu'il s'agissait d'un moyen pour ga­gner la guerre. Avouons que ce fut un coup bien exécuté.

"La stabilisation de la valeur d'achat du dollar était la pièce maîtresse de tout le mécanisme. Dans la séance secrète où ces choses furent débattues, on ne consacra pas une minute de réflexion aux effets que cet acte pourrait avoir sur les produc­teurs, sur la production, sur la conduite heureuse de la guerre.

"Dans le cas de l'agriculture, par exemple, une date arbitraire fut choisie, et l'oracle proclama que les prix existant à cette date devaient désormais prévaloir. Risquait-on de condamner ainsi le cul­tivateur à la banqueroute ? Ne risquait-on pas de décourager le producteur, de diminuer la produc­tion et de nuire ainsi à l'effort de guerre ? Ces ques­tions, si elles se posèrent, furent simplement dé­clarées hors de propos.

"La finance, désormais assurée des rênes, fixait la charpente : l'agriculture n'avait qu'à s'y adap­ter. Le lit de Procuste était maintenant monté : le cultivateur n'avait plus qu'à se plier aux opéra­tions d'étirement ou de raccourcissement nécessai­res pour l'occuper."

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