L'égoïsme corporatif

le lundi, 15 février 1943. Dans Réflexions

L'égoïsme corporatif, l'égoïsme de groupe  —  on le trouve, par exemple, dans des unions ouvrières qui consacrent leur temps et leurs ressources à exi­ger des salaires plus élevés, sans se rendre compte que la hausse des salaires fait monter les prix. Tous les consommateurs en souffrent, l'ouvrier lui-même puisqu'il est consommateur. Et si les prix sont plus élevés, moins de produits se vendent, la produc­tion ralentit : les salaires élevés ne servent pas à grand'chose lorsque la diminution de l'emploi fait disparaître les enveloppes de paie.

C'est ainsi que l'égoïsme ne fait pas seulement souffrir les voisins, mais les coups retombent sur l'égoïste lui-même. L'égoïsme tue, et l'égoïsme cor­poratif n'échappe pas à la règle.

N'aurait-il pas été de meilleure tactique pour les ouvriers de réclamer une diminution des prix ? La réclamer avec tous ceux qui sont intéressés à une diminution des prix. Donc, la demander avec tous les consommateurs et pour tous les consommateurs. Sortir de l'égoïsme de groupe pour envisager l'avan­tage de tous. Comme font les créditistes, qui igno­rent les frontières de groupes lorsqu'ils demandent à tous les citoyens de s'unir pour réclamer une aug­mentation de pouvoir d'achat pour tout le monde. L'augmentation de pouvoir d'achat : par un divi­dende, qui augmente l'argent sans entrer dans les prix ; par, un escompte compensé, qui abaisse les prix sans causer de pertes à personne.

Une telle politique de la part des unions ouvriè­res aurait pu avoir comme effet d'activer les ven­tes, activer la production, maintenir l'emploi et supplémenter les salaires du travailleur par les dividendes au travailleur lui-même et à tous les membres de sa famille.

Mais pour cela, il faudrait que les unions ou­vrières se défassent des œillères du système ; qu'au lieu de se borner à chercher la plus grande part possible des rationnements du système, elles se joignent à toutes les victimes pour réclamer la libération de l'abondance.

Les ouvriers organisés en profiteraient, et toute la masse du peuple avec eux. Si l'égoïsme tue et stérilise, la charité vivifie et féconde.

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L'égoïsme corporatif  —  on le rencontre aussi dans les corporations libérales. Les membres de la profession médicale, par exemple, se groupent pour défendre leurs intérêts. Comment ?

On a vu les médecins s'unir pour demander une législation protégeant leurs privilèges. Pour inter­dire l'exercice de la médecine à ceux qui ne sont pas agréés par leur groupe. Pour obtenir des com­pensations monétaires dans des cas où leurs clients n'ont pas le moyen de payer.

Lorsqu'il s'agit de protéger le public contre des incompétents ou des charlatans, c'est tout à fait dans l'ordre. Lorsqu'il s'agit surtout de protéger ou d'augmenter les recettes des médecins, on voit commencer l'égoïsme de groupe, et où mène-t-il ? Apparemment, à un premier résultat favorable aux intéressés. Mais, en définitive, le public qui paie directement ou indirectement voit diminuer son pouvoir d'achat, et les premières choses auxquel­les il renonce sont les soins médicaux qui ne lui semblent pas absolument indispensables, surtout si le prix en est élevé.

Public et médecins en souffrent, tant il est vrai que l'égoïsme tue ; il tue les voisins, et, par réper­cussion, l'égoïste lui-même.

La profession médicale existe pour tenir le mon­de en santé. Or, les médecins qui ne sont pas com­plètement aveugles se rendent très bien compte qu'une foule de débilités et de maladies sont im­putables à la sous-alimentation, au logement insa­lubre, à l'absence de conditions sanitaires publi­ques. Et dans tous ces cas, ou à peu près, la cause est liée à l'absence du moyen de paiement.

Pourtant, quand a-t-on vu les médecins, comme corps professionnel, insister pour que, dans le pays, la capacité de payer soit égale à la capacité de pro­duire ? Cela voudrait dire immense. Le public en profiterait, et les médecins aussi : la charité féconde et vivifie.

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Les groupements professionnels ont leur raison d'être, et leur objectif, nous semble, devrait être de même nature que la profession elle-même. Donc, un meilleur service du public par le perfectionne­ment de leurs membres.

Si les groupements placent le portefeuille au pre­mier plan, s'ils s'attachent surtout à chercher les moyens d'entretenir salaires et honoraires, ils finis­sent tôt ou tard par épuiser le public payeur à leur propre détriment.

Les groupements partent d'un bon principe. Mais, c'est le système d'argent raréfié et lié qui détourne de leur fin propre les choses, les hommes et les organisations. Le système est meurtrier sur toute la ligne. Il couche des victimes dans les foyers. Il sème et nourrit partout l'égoïsme qui tue. Il dé­courage ou immobilise la charité qui vivifie. L'or­ganisation corporative elle-même ne peut naître qu'empoisonnée sous un système qui bannit ou ané­mie tout objectif social.

C'est pour cela, probablement, que le Crédit Social, tout à base de charité et générateur de dévouements, se voit officiellement fermer la por­te des groupements dont la vision est rétrécie par un système qu'ils s'obstinent à respecter.

Qu'il s'agisse d'individus ou de groupes, la cha­rité et l'égoïsme ne peuvent faire ménage ensemble. Et il ne suffit pas de coller un nom chrétien à un homme ni une épithète catholique à un groupe pour remplacer chez eux l'égoïsme par la charité. L. E.

"La sagesse des lâches ressemble à la lumière des torches : elle éclaire mal parce qu'elle tremble." (Victor Hugo)

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