Du cadeau au dividende

Louis Even le mercredi, 01 septembre 1943. Dans La politique

Cadeau répété aux Anglais - À quand le dividende aux Canadiens ?

Dire à l'Angleterre, en 1942 : Prenez,, sans payer, des produits canadiens pour une valeur de un milliard — c'est faire aux Anglais un cadeau d'un milliard, par le Canada. Répéter la même chose aux Nations-Unies en 1943, et y ajouter 800 mil­lions pour des fournitures dont le Canada assu­me le paiement à la place de l'Angleterre, c'est pousser le cadeau à un milliard 800 millions.

Dire à chaque Canadien et chaque Cana­dienne : À part de ce que vous gagnez par votre travail, voici un crédit pour acheter $12.50 de plus de produits canadiens chaque mois — ce serait donner à chacun un dividen­de mensuel de $12.50 sur la production cana­dienne. Ce serait, pour chacun, un dividen­de de $150 par an. Ce serait, pour tous en­semble, un dividende global de un milliard 800 millions dans l'année. Exactement le même montant que le cadeau aux Nations-Unies.

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À part de ce qu'elle fournit actuellement aux Canadiens, la production canadienne est donc capable de supporter un cadeau annuel d'un mil­liard huit cent millions.

À part de ce qu'elle fournit actuellement aux Canadiens, la production canadienne serait donc capable de supporter, à la place du ca­deau, un dividende annuel de un milliard huit cent millions : $12.50 par mois à chaque homme, chaque femme et chaque enfant du Canada.

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Avec 800,000 hommes ôtés à la production, par­ce qu'ils sont dans l'armée, le Canada peut quand même, sans s'épuiser, fournir une production an­nuelle suffisante pour répondre au cadeau de un milliard huit cent millions.

Avec ces 800,000 hommes disponibles pour la production en temps de paix, le Canada serait donc bien plus capable, sans s'épuiser, de fournir une production annuelle suffisan­te pour répondre à un dividende d'au moins un milliard 800 millions.

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Le cadeau présenté aux étrangers fait du bien à ceux qui le reçoivent. C'est une addition à ce qu'ils ont déjà autrement. Pas un Anglais, pas un Russe, pas un Chinois ne proteste ou s'en trouve offensé.

Un dividende présenté aux Canadiens ferait du bien aux hommes, aux femmes et aux en­fants qui le recevraient. Ce serait une addi­tion à ce qu'ils ont déjà autrement. Quelle famille s'en trouverait offensée ? Le refuse­rait d'ailleurs qui voudrait : il en resterait plus pour les autres.

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Le Canada peut recommencer le cadeau aux é­trangers chaque année, parce que la production canadienne se renouvelle chaque année.

Le Canada pourrait recommencer le divi­dende aux Canadiens chaque année, parce que la production canadienne se renouvelle­rait aussi bien chaque année.

Le cadeau d'un milliard huit cent millions n'épui­se pas la production canadienne, parce que le Ca­nada a beaucoup de ressources naturelles, et par­ce qu'il y a au Canada de bons travailleurs, capa­bles de se servir de leurs bras, de leur cerveau, des machines et de la science appliquée.

Le dividende d'un milliard huit cent mil­lions ( $12.50 par mois à chacun), utilisé par des Canadiens pour améliorer leur mode de vie, pour se fortifier et s'instruire, les ren­drait encore plus capables de se servir de leurs bras, de leur cerveau, des machines et de la science appliquée,

Le cadeau aux étrangers amorce une augmenta­tion de production canadienne pour y répondre, active l'emploi et fait circuler l'argent ; cependant, le produit augmenté va à l'étranger.

Le dividende aux Canadiens amorcerait éga­lement une augmentation de la production canadienne pour y répondre, activerait l'em­ploi et ferait circuler l'argent ; mais l'aug­mentation de production entrerait dans les maisons canadiennes.

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Ceux qui nient la possibilité matérielle d'un ca­deau aux Anglais sont des aveugles, puisque le cadeau se fait sous leurs yeux.

Ceux qui nient la possibilité matérielle d'un dividende aux Canadiens sont des aveugles, puisque la distribution gratuite d'une pro­duction équivalente se fait sous leurs yeux et avec plus de difficulté. Un cadeau aux étrangers sur la production canadienne doit traverser les mers, avec risque de perte en route ; un dividende aux Canadiens sur la production canadienne conduirait la produc­tion à destination, aux maisons canadiennes, sans risquer une once de produits sous la portée des torpilles ennemies.

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Personne n'a soulevé une objection morale au fait de donner de l'argent gratuitement à des étrangers pour acheter la production canadienne.

Pourquoi aurait-on des objections morales à l'idée de donner gratuitement de l'argent aux Canadiens pour commander une augmenta­tion de la production canadienne ?

Tout le monde comprend que le cadeau à des Anglais aide les Anglais ; mais personne ne pense une minute que ce cadeau va les démoraliser, ni les rendre vicieux ou paresseux.

Le dividende aux Canadiens aiderait pareil­lement les Canadiens. Mais quelle idée ont des Canadiens les purissimes qui prétendent que ce dividende les démoraliserait, ou qu'il les rendrait vicieux et paresseux ?

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L'étranger auquel on fait le cadeau d'un milliard huit cent millions n'a aucun titre à faire valoir sur cette production canadienne ; c'est un cadeau pur et simple de la part du Canada ; la justice n'est pas en jeu, c'est pure charité.

Le Canadien, tout Canadien, même le bébé au berceau, a des titres à faire valoir sur une partie de la production canadienne, puis­que tout Canadien est co-propriétaire d'un capital commun productif : forêts de la cou­ronne, chutes d'eau, organisation sociale qui permet une plus grande production, etc. Pour le Canadien, il ne s'agit plus d'un ca­deau, mais de la reconnaissance d'un droit. Ce n'est plus une charité, mais de la justice. Admettre le cadeau aux étrangers et con­damner le dividende aux Canadiens, c'est vouloir pratiquer une charité décapitée de la justice ; cela ressemble fort aux largesses faites à des institutions respectables par des personnages qui financent leurs charités avec les dépouilles de ceux qu'ils exploitent.

Nos députés votent le cadeau d'un milliard huit cent millions aux étrangers, sans se soucier de l'opposition qu'y manifesteraient nombre de Ca­nadiens si on les consultait.

Les mêmes députés peuvent aussi bien voter un dividende du même montant aux Cana­diens ; et ils trouveraient beaucoup de colla­boration et d'approbation de la part des Ca­nadiens, si on le leur proposait.

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Avec la passivité d'un peuple affaibli par les divi­sions politiques et cavalièrement ignoré par ses représentants, il suffit d'une petite poignée d'im­périalistes pour décider du cadeau aux Nations-Unies.

Il faudra la pression de tout un peuple éclai­ré et organisé — l'Union des Électeurs —pour obtenir le dividende national à chaque Canadien.

Louis Even

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