Contre nature

Gilberte Côté-Mercier le mercredi, 01 septembre 1943. Dans Réflexions

"Mais, vous n'êtes pas encore habitué à travailler de nuit ? Il y a pourtant 10 ans que vous faites cela !"

—"Non, monsieur, je ne suis pas encore ha­bitué. On ne s'habitue pas à ce qui est contre nature."

Mettez un cheval à travailler de nuit, il ne résistera pas deux ans.

Et l'homme n'est-il pas fait pour travail­ler à la lumière et dormir la nuit ?

C'est le bon Dieu qui a fait l'homme avec cette nature-là. Et ce ne sont pas les trus­tards qui peuvent changer ce que le bon Dieu a fait, malgré toute leur malice.

Le travail de nuit est un assassinat. Et il est une insulte à Dieu, qui a fait l'homme pour se reposer la nuit.

C'est ce qui porte à croire que ceux qui or­ganisent le travail de nuit sont des francs-maçons, c'est-à-dire des suppôts de Satan.

Voilà un homme, qui doit vivre 50 ans sur terre, et qui sur ces 50 ans travaille 10 ans la nuit, et dort comme il peut le jour.

Le soleil n'existe plus pour lui.

Les rayons régénérateurs du soleil ne sont pas faits pour son corps à lui.

La lumière du soleil n'est pas faite pour ré­jouir son âme et lui donner l'équilibre.

Pour lui, ce sont les ténèbres, éclairées par l'artifice de l'électricité ou d'un fourneau qu'il alimente. Comme en enfer, les ténèbres éclairées du feu de la punition.

On dirait que Satan lui-même en effet, ja­loux des hommes, fait le plus possible pour que la vie des hommes ressemble à la sienne.

Au Moyen-âge, les hommes ne travail­laient pas la nuit.

Au 20e siècle, où le progrès est si grand, pourquoi donc travaille-t-on la nuit ?

Est-ce parce que les machines sont venues au secours des hommes, qu'il faille ajouter la nuit au jour pour produire davantage ? Quelle absurdité !

En réalité, ce n'est pas pour produire des choses que les hommes travaillent de nuit, c'est pour gagner de l'argent.

Et les entrepreneurs, ceux qui produisent les choses, courent aussi après les profits seu­lement, Que leur importent les choses ! Et, courant après les profits, ils utilisent le plus possible leurs moyens de production. Les ma­chines ne doivent pas s'arrêter si on veut qu'elles donnent un plus haut rendement dans l'année ! Et pour que les machines ne s'arrêtent pas, il faut que les hommes se met­tent au service des machines.

On veut éviter le gaspillage des choses. Et pour ne pas gaspiller les choses et l'argent, on gaspille les hommes.

Qu'importe aux trustards que les hommes soient gaspillés ! Ils n'achètent pas les hom­mes à la pièce, ils les achètent à l'heure. Et lorsque les hommes ne valent plus rien, les trustards en achètent d'autres. Ça ne coûte pas plus cher, puisqu'on les paye à l'heure.

La machine qu'on paye une fois est à nous pour jusqu'à ce qu'elle ne soit plus bonne.

L'homme qu'on paye à l'heure porte lui-même le poids de son usure. Il n'est pas une chose payée que le trustard trouve avantage à faire durer. Le trustard le change pour un autre homme lorsque le premier n'est plus bon.

Et voilà comment les hommes s'épuisent.

Et voilà comment les hommes — même les femmes — vivent la nuit au lieu de vivre le jour.

Et voilà comment la nature est violée. Et voilà comment Dieu est insulté.

Et voilà comment notre civilisation, notre christianisme sont affaiblis.

Vivent les profits ! Vive l'argent ! Et mort à l'homme ! C'est la formule de notre organi­sation sociale.

Gilberte Côté-Mercier

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