Dans un article paru dans Vers Demain du 1er décembre 1940, M. Louis Even expliquait comment les fédéralistes poursuivent leur rêve d'établir un gouvernement central mondial, avec une seule citoyenneté, une seule monnaie et une seule armée-police.
La guerre et ses nécessités fournissent une situation propice pour prendre des moyens tendant à ce but, en même temps interdisant ou punissant toute résistance.
Parmi les mesures de guerre en voie de progrès au Canada, il semble que celle des coupons de rationnement constituerait une arme efficace entre les mains des fédéralistes, si par oubli (involontaire ou calculé) cette mesure demeurait dans nos statuts une fois la paix revenue.
Cela semble tout à fait dans l'esprit des promoteurs. N'a-t-on pas entendu dernièrement le régisseur des vivres du Canada, M. Taggart, déclarer que, quand même les approvisionnements augmenteraient, les rationnements continueront, par sympathie pour les Nations-Unies moins bien favorisées que nous ? On accumulera des montagnes de beurre plutôt que d'augmenter la consommation permise !
Le même raisonnement peut être continué après la guerre.
Bien des textes de lois et de décrets ont été rédigés depuis septembre 1939 ; mais aucun pour déclarer que le jour de la signature de la paix marquera le terme de toutes ces mesures de guerre. Au contraire, on ne manque pas, à l'occasion, de nous prévenir qu'il faut s'attendre à la prolongation de plusieurs d'entre elles, en vue, dit-on, d'éviter une crise de chômage et de pauvreté absolue lorsque cesseront les bénédictions apportées par la guerre. La reconstruction, l'établissement de l'ordre nouveau d'après-guerre devra se faire par l'enregistrement, la numérotation, le rationnement, l'enrégimentation qui ont si bien réussi pendant la guerre ! L'ordre nouveau — l'ordre de l'étable ou de la caserne, le seul dans lequel nos gouvernements semblent avoir eu quelque succès !
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La finance est centralisée ; le système bancaire est centralisé. Aussi le meilleur moyen d'aller à la centralisation économique et politique est de placer l'économique et la politique sous la tutelle des financiers et des banquiers.
Est-ce pour cela qu'au Canada, comme aux États-Unis, on oblige les marchands à déposer les coupons reçus des clients dans une banque où ils devront avoir deux comptes : un compte de coupons pour se réapprovisionner, un compte d'argent pour payer le réapprovisionnement ?
Le gouvernement, ou plutôt les commissions auxquelles le gouvernement a confié la régie du pays, se préparent à généraliser le système. "Dans un an, disait M. Taggart le 13 janvier, le rationnement des vivres sera devenu la règle, et non plus l'exception."
Donc, lorsque cette étape sera atteinte, tout passera par le canal des banques : les droits d'avoir des produits, et les moyens de payer ces produits.
Centralisation réussie, puisqu'elle soude la vie du pays à un système déjà solidement centralisé.
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Centralisation, oui. Mais nivellement aussi.
Les coupons devenus la règle, les consommateurs verront leur pouvoir d'achat limité à un plafond unique pour tout le monde, quels que soient les états de fortune variés des individus.
La différence de revenu ne signifiera plus rien. Tout le monde couponné au même degré. La taille ne comptera pour rien : au nouveau-né, une demi-livre de beurre ; au mineur qui travaille sous terre dix heures par jour ou par nuit, une demi-livre de beurre !
Les piastres gagnées n'y feront rien. Gros salaires ou petits salaires, mêmes coupons, même plafond ! Il ne s'agit pas, en effet, de coupons de minimum vital, mais bien de coupons de maximum vital.
À quoi bon, dans ce temps-là, les échelles de salaire, puisque les coupons limitent le droit aux produits ?
Pour être plus conséquents encore, pourquoi deux signes pour représenter la même chose ? Si un coupon représente une demi-livre de beurre et si 20 sous représentent une demi-livre de beurre, pourquoi ne pas supprimer le 20 sous et ne garder que le coupon ? Pourquoi ne pas payer l'ouvrier en coupons, et payer tous les ouvriers avec le même nombre de coupons, puisque chacun ne peut en utiliser que le même nombre ?
Et nous arrivons au bienheureux socialisme, avec toutes ses suites. L'argent disparu, la propriété disparaît. Comment, avec un estomac à nourrir, économiser des coupons de sucre, de café, de thé, plafonnés au strict nécessaire ? Comment en économiser pour acheter une maison, une ferme ?
Le 9 octobre 1942, l'honorable Mackenzie-King disait aux travailleurs réunis en congrès : "L'ordre nouveau devra reposer sur les droits de l'homme, et non sur ceux de la propriété, du privilège ou du rang."
Ce maître-politicien a le talent de trouver des formules qui supportent les interprétations les plus variées, selon les goûts des intéressés. Tout de même, il citait ces paroles de William James : "C'est ainsi que les vies humaines se nivellent à la fois par le haut et par le bas."
Serait-ce un avertissement ?
Niveler par en haut et par en bas — c'est diminuer en haut et augmenter en bas. C'est prendre au riche pour donner au pauvre. C'est enlever au possédant pour passer au non-possédant. Voilà qui parle agréablement aux oreilles des hommes qui croient souffrir parce que leurs voisins ont tout pris et que le monde n'a plus rien pour eux-mêmes. Sans doute qu'on manque de pain ou de bois dans des maisons canadiennes, parce que des millionnaires ont mangé tout le blé des élévateurs du Canada ou brûlé dans leurs poêles tout le bois des forêts canadiennes !
Combien ont pensé cela longtemps et le pensent encore ! Combien ont dit cela souvent et le disent encore !
Des avortons, qui piétinaient à la tête des gouvernements pendant que le monde mourait de faim en face de l'abondance entassée, en sont encore à la même mentalité aujourd'hui : ignorer l'abondance et légiférer pour une répartition de la rareté ; ôter à Pierre pour donner à Paul — niveler !
Dans un monde ainsi orienté, la presse, consciemment ou inconsciemment au service des orientateurs, pouvait bien faire un bel accueil au plan Beveridge. Et Ottawa aussi.
Roland CORBEIL