Beveridge et son plan

Louis Even le lundi, 01 février 1943. Dans La politique

Le Plan Beveridge. Nous en avons déjà dit un mot, pas du tout bienveillant, dans notre numéro du 15 décembre. L'Action Catholique du 13 jan­vier lui consacre un éditorial en général élogieux : elle est sans doute plus habituée que nous à jouer sur les mêmes cordes que la grande presse mon­diale.

Les colonnes de la presse anglaise, malgré le rationnement qui limite le format des journaux, accordent au Plan Beveridge tout l'espace désiré par son promoteur. La radio lui est également ou­verte. C'est dire que les puissances qui imposent des consignes aux grands journaux n'en veulent point au Plan Beveridge. Ce plan ne leur fait d'ailleurs point de mal.

Sir William Beveridge affirme que la mise en vigueur de son plan vaudrait une véritable révo­lution au peuple britannique. D'autre part, il ad­met que son plan ne résoudra point le problème du chômage. Au lieu d'une révolution, ne serait-ce pas plutôt un simple rapiéçage ? C'est ce que pen­se M. Aberhart qui en a produit une critique à laquelle les journaux n'ont point fait de publicité.

D'où Beveridge ?

Qui est ce Sir William Beveridge ? Ou plutôt, à quel titre le gouvernement anglais lui confie-t-il le soin de préparer un plan social pour l'Angle­terre d'après-guerre ?

Sir William Beveridge est, depuis 1919, direc­teur de l'École de Sciences Économiques de Lon­dres (London School of Economics). Cette école de Londres est la fondation de M. Sidney Webb et de M. Bernard Shaw. Nous croyons avoir vu le nom de M. Webb mêlé aux aspirations semi­-socialistes de chefs travaillistes anglais. Quant à M. Bernard Shaw, ses idées ne font pas de doute. Sa conception d'un état idéal est basée sur trois principes : la propriété privée est une iniquitée ; l'égalité de revenus pour tous est d'une importan­ce primordiale ; l'oisiveté est criminelle. (Voir En­cyclopaedia Britannica, Socialism, par B. Shaw.)

Un an avant l'ascension de Sir William Beve­ridge au directorat de l'École Économique de Lon­dres, cette école fut sauvée de la ruine financière par une donation de Sir Ernest Cassel, au mon­tant de 472,000 livres sterling, soit environ deux millions de dollars. Qui est maintenant ce sir Er­nest Cassel et qu'est-ce qui a pu lui inspirer de placer là sa générosité ? Sir Ernest Cassel était un banquier et un financier, fils de Jacob Cassel, banquier allemand de Francfort.

C'est Lord Haldane, ami de Sir Ernest Cassel, qui persuada au banquier de faire ce cadeau à l'École de Londres. Dans The Quarterly Review de janvier 1929, J.-H. Morgan écrit : "Un jour que je demandais à Lord Haldane pourquoi il per­suada son ami, Sir Ernest Cassel, de gratifier l'École de Londres d'une si forte somme, il me répondit : Notre but est de faire de cette institution un lieu pour élever et former la bureaucratie du futur état socialiste." (Our object is to make this institution a place to raise and train the bureaucracy of the future Socialist State.)

Lord Haldane déclarait aussi, publiquement, que :  10 L'Allemagne était sa patrie spirituelle ; 20 Sir Ernest Cassel était l'alter ego de Jacob Schiff, Kuhn, Lœb et Compagnie (la célèbre mai­son financière juive de New-York qui a pour une grande part financé la révolution bolchéviste de 1917 en Russie).

Sir William Beveridge est donc depuis vingt-trois ans directeur de cette École Économique de Londres que des maîtres de l'argent et du crédit financent expressément afin d'en faire un sémi­naire de bureaucratie pour l'État socialiste qui doit sortir de cette guerre-ci. Croit-on que Beve­ridge aurait obtenu et gardé si longtemps ce di­rectorat s'il ne répondait aux vues des bailleurs de fonds ?

Le plan

Mais laissons l'homme et venons à son plan ce plan que lui-même appelle le plan pour un monde à mi-chemin de Moscou (half-way to Moscow).

Voici le résumé qu'en donnent les journaux et que reproduit l'Action Catholique :

1.—Assurance sociale contre le chômage, la maladie, les accidents, et pour le mariage, les naissances et la vieillesse ;

2.—Primes d'assurances payées par les pa­trons, les employés et le gouvernement ;

3.—Redistribution de 10 à 11 pour cent du re­venu national ;

4.—Mise gratuitement à la disposition de tous les citoyens des services médicaux, dentaires, d'hospitalisation et autres ;

5.—Abolition des sociétés d'assurance indus­trielle.

Comme on voit, rien pour augmenter globale­ment le pouvoir d'achat. Le plan admet que les gens manquent de pouvoir d'achat, puisqu'il en fait distribuer. Mais pour le distribuer, il com­mence par l'extraire. S'il en manque, comment va-t-il l'augmenter en extrayant dix pour redis­tribuer dix ?

Le plan Beveridge prétend-il supprimer la pau­vreté en l'étendant sur un plus grand nombre ?

Le plan se résume à des mesures fiscales, une taxation plus forte pour inclure dans le budget des allocations plus grandes.

L'auteur du plan fait bien de dire qu'il ne pré­tend pas résoudre le problème du chômage, sur tout pas du chômage technologique.

Rationnement de la rareté

Tout le plan Beveridge est édifié sur un régime de rareté. Il cherche, loyalement sans doute, une meilleure répartition de la rareté. Et cela dans un monde qui déborde d'abondance !

On a de tout, excepté l'argent. Et, au lieu de mettre l'argent abondant et facile comme la pro­duction, Beveridge ne songe qu'à pomper et re­distribuer le peu d'argent qu'il y a.

Les monopoleurs du crédit, les rationneurs des droits de vivre peuvent bien ne pas s'opposer au plan Beveridge. Ils peuvent bien lui permettre l'accès aux journaux et à la radio. Il est tout à fait conforme à leur philosophie.

Des âmes bonasses, qui s'imaginent que le vo­lume de l'argent est décrété par le Très-Haut et qu'il n'y a pas d'autres moyens d'adoucir la mi­sère du pauvre qu'en lui passant un peu de l'ar­gent du voisin, peuvent saluer le plan Beveridge à la manière de l'Action Catholique et d'autres journaux qu'elle cite.

Les partisans de l'étatisation se réjouiront d'une annonce de soins médicaux et autres gratuits. Mais qu'y a-t-il réellement de gratuit dans ce qui est financé par des taxes ? Ce n'est pas plus gra­tuit que les allocations de chômage payées par l'ouvrier, le patron et le gouvernement. Comme ni le patron ni le gouvernement n'inventent l'ar­gent pour payer leur part, cette part vient en dé­finitive du consommateur lui-même.

La chorale des journaux

M. Eugène L'Heureux cite avec complaisance le Catholic Herald, qui se déclare favorable à l'a­doption du plan. Le Catholic Herald, paraît-il, prévoit des objections, mais ces objections vien­draient de la part de personnes qui, "par leur in­telligence, leur habileté, ou grâce à un héritage, se trouvent plus qu'à l'abri de la misère économi­que."

Au Canada, la seule critique désobligeante jus­qu'ici est venue de créditistes. Or, les créditistes ne sont point du tout de la catégorie décrite par le Catholic Herald.

Malgré son nom, le Catholic Herald énonce une fausseté flagrante lorsqu'il écrit :

"On espère que les catholiques figureront par­mi ceux qui insisteront le plus fermement sur l'adoption effective du plus grand projet de res­tauration sociale jamais proposé en ce pays".

En ce pays signifie en Angleterre. Or, voici vingt-cinq ans, qu'un projet infiniment supérieur à celui de Beveridge est proposé en Angleterre par le major Douglas. Le Catholic Herald n'a-t-il jamais entendu parler de Crédit Social ?

Mais, le projet créditiste dérangerait les domi­nateurs de l'argent et du crédit : point de publi­cité pour cela, point de journaux pour lui rendre hommage.

Dès qu'une réforme propose de taxer, d'enrégi­menter, de placer l'homme dans l'alternative de se laisser atteler ou de mourir de faim, cette réfor­me reçoit bon accueil. Et des journaux à nom res­pectable, mais un peu niais parfois, donnent sans hésiter leur coup d'encensoir.

Mals dès qu'une réforme propose de faciliter à l'homme l'accès à l'abondance qui résulte de ses inventions, dès qu'elle se permet d'énoncer des propositions pour un monde où l'homme aurait des loisirs et cesserait d'être assujetti à un travail continuel pour ses seuls besoins matériels, c'est la défiance, la conspiration du silence, sinon l'ana­thème.

Il n'y a, pour s'en convaincre, qu'à examiner les colonnes de nos quotidiens ; ils peuvent différer du tout au tout sur d'autres points, mais ici ils se rencontrent avec un ensemble remarquable. Avec le même ensemble qu'ils mettent chaque année à reproduire pieusement, sans en omettre un seul mot, les discours de nos présidents de banques.

"Ceux qui contrôlent l'argent et le crédit... "

Louis Even

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