Aimable bureaucratie !

le jeudi, 15 juillet 1943. Dans Réflexions

Chaque semaine, Le Progrès du Golfe (Rimou­ski) publie une lettre de Londres, par Glanville Carew, et elle ne manque généralement pas de piquant.

Dans l'édition du 2 juillet, Glanville Carew par­le du régime bureaucratique établi en Angleterre, et particulièrement des coupons de rationnement. Il rappelle en passant qu'on a défini le fonctionnai­re un homme dont "l'idéal consiste à faire les cho­ses les plus simples en les compliquant le plus pos­sible".'

Les Anglais vivent aujourd'hui "dans un pays qui se perd en formules, et ils se demandent ce que penseront les géologues de l'avenir, lorsqu'ils dé­couvriront dans cette île des montagnes de papier et liront ces mots : Le ministère de... a émis un ordre No..., en vertu duquel..."

Les Anglais seront certainement très heureux, remarque Carew, lorsqu'on les délivrera de l'encombrement des formules officielles, et les premiè­res formules dont ils désirent se défaire sont bien les carnets de rationnement. Il écrit :

"Actuellement, chaque Anglais possède trois car­nets de rationnement : un pour les articles de nour­riture ; un pour les vêtements, et le troisième pour les articles qui ne sont pas contenus dans les deux premiers.

"Une ménagère mère de dix enfants, par exem­ple, doit avoir 36 carnets de rationnement pour administrer sa maison. Elle doit apporter cette charge lorsqu'elle va magasiner. Le magasinage devient ainsi une véritable corvée au lieu d'une partie de plaisir.

"Il est intéressant de noter tous les embêtements que cette obligation peut entraîner. Imaginez, par exemple, la situation dans un magasin où une file de femmes attendent au comptoir avec leur pa­quet de carnets de rationnement. L'acheteuse doit prendre le temps de choisir le carnet qui convient parmi tous ceux qu'elle a en main (36, et plus dans certains cas) ; calculer la valeur des coupons qu'elle doit remettre pour la marchandise reçue, et tout cela pendant que les autres s'impatientent der­rière elle.

"Bientôt, ces trois livres de rationnement ne formeront plus qu'un seul volume omnibus, une sorte de vade mecum pour tous les besoins. C'est déjà un début encourageant."

Au Canada, comme nous sommes les singes et non les initiateurs, nous n'avons pas à tâtonner trop longtemps, nous bénéficions de l'expérience des pionniers de la "couponnerie". Aussi n'avons‑nous qu'un livret de rationnement. À mesure que les articles rationnés se multiplieront, il n'y aura qu'à enfler le volume du livret.

Les Canadiennes trouvent déjà cela assez com­pliqué de passer de la page du café à celle de la viande, de celle du beurre à celle du sucre ; et l'on n'est qu'au début ! Comme, par ailleurs, les familles nombreuses ne manquent pas, dans notre province au moins, on peut se faire une idée du temps gas­pillé devant les comptoirs. Mais le temps compte-t-il, lorsqu'il s'agit de maintenir la privation ? N'y a-t-il pas eu d'immenses gaspillages de temps pen­dant la grande période de privations qui a précédé cette guerre ?

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