À propos d'allocations familiales

Louis Even le lundi, 15 mars 1943. Dans Réflexions

Le principe des allocations familiales est admis par tous ceux qui considèrent le capital humain comme le plus bel actif d'une nation, et la famille comme la véritable cellule de toute société.

Mais cela ne veut pas dire que tout ce qui parle d'allocations familiales soit parfait. Cela ne veut pas dire que tout plan dans lequel se trouve l'ex­pression allocation familiale soit un plan qui répon­de à la doctrine sociale de l'Église.

Un plan calqué sur la régie d'une écurie ne peut être fait pour des hommes. Il y a des allocations dans l'écurie et dans l'étable. L'éleveur sait quelles bêtes sont ses meilleures souches, et il en prend un soin spécial.

L'économie planifiée, dirigée par l'État ; l'éco­nomie qui, plutôt que dompter l'argent, régente les hommes dans les limites imposées par le volume de l'argent, cette économie-là, même si elle envi­sage la grosseur de la famille dans ses répartitions, n'est pas une économie humaine.

Nous plaçons le plan Beveridge dans cette caté­gorie. C'est, en raccourci, un plan de répartition de la rareté, par l'intervention de l'État, dans un mon­de qui déborde d'abondance. Seuls, les myopes peu­vent s'y attarder.

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Nous ne croyons pas davantage que les alloca­tions familiales liées au salaire soient la formule appropriée dans un monde où la machine libère de plus en plus du travail salarié.

Le salariat n'est pas l'unique formule possible pour la distribution des biens de la nature, de l'a­griculture et de l'industrie. Le salariat a succédé à l'esclavage, mais ce n'est pas nécessairement le der­nier mot.

Pourquoi les fervents des allocations familiales scrutent-ils tant l'horizon pour découvrir des for­mules de pompage et de répartition dans lesquelles la famille n'est pas totalement ignorée ? Ne peu­vent-ils rien concevoir sans le poids des taxes ? N'ont-ils jamais entendu parler de la technique cré­ditiste, du dividende national du Crédit Social ? Ou ne le connaissent-ils que par les hennissements des financiers et les ricanements des politiciens ?

Certains veulent arracher l'argent des possédants pour le remettre aux familles nombreuses ; d'autres veulent tailler dans les profits de l'employeur, au risque de priver l'entreprise de son stimulant. Ils comptent y mettre des mesures, c'est vrai, mais tout cela tend tout de même à décourager l'initia­tive, l'épargne, l'entreprise privée.

Le Crédit Social, lui, conscient de l'abondance non distribuée, propose simplement de se servir de ces surplus pour alimenter des allocations sous for­me de dividende national. Allant à chaque citoyen individuellement, le dividende du Crédit Social fournit automatiquement à la famille une source additionnelle de revenus en rapport avec le nom­bre de ses membres.

Rien, d'ailleurs, dans une économie créditiste, n'empêche des allocations spéciales supplémentai­res : bonis de naissance, pensions de vieillesse, se­cours aux mères nécessiteuses, aide aux colons, etc.

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Où donc le Canada devrait-il prendre ses alloca­tions familiales ? Dans la poche des employeurs, faisant l'industrie fuir la province de Québec et s'en aller dans les provinces où les chiens tendent à remplacer les enfants ? Dans les trésors provinciaux, augmentant les taxes ou diminuant les services pu­blics des provinces à familles nombreuses ?

Pourquoi être si embarrassé ?

Le Canada doit prendre ses allocations familia­les dans ses élévateurs, qui renferment un surplus de blé pour quinze ans. Il doit les prendre dans les trois quarts de sa production de fromage, de beur­re, de bacon, qu'il pousse à l'étranger. Il doit les prendre dans ses forêts que les insectes rongent, que les feux détruisent, tant qu'il n'a pas la bonne fortune de les confier à des rafleurs du genre de Graustein. Il doit les prendre dans les chutes d'eau dont la force est ou inemployée ou offerte à des exploiteurs internationaux. Il doit les prendre dans l'immense production laissée dans le néant lorsque les hommes et les jeunes gens, n'étant pas réquisi­tionnés pour une tuerie folle, battent les trottoirs des villes en quête d'emploi. Il doit les prendre dans les stocks invendus dont l'accumulation cau­se le chômage de ces bras et de ces cerveaux. Il doit les prendre dans les inventions merveilleuses qui naissent au régime où les hommes sont assez intelligents pour en bénéficier.

Mais, ce n'est pas de l'argent, tout cela ? Non, c'est de la production qui convie des consomma­teurs. Mais, est-ce que l'allocation familiale, com­me le salaire d'ailleurs, représente autre chose que le droit de tirer à volonté sur la production offer­te ?

Puisqu'il y a surplus de production, qu'on édi­te simplement des droits supplémentaires en rap­port avec ces surplus. Et ces droits supplémentai­res, distribués sous forme de dividendes à tous, constitueront de véritables allocations familiales qui ne puniront personne.

Les surplus se renouvelant tous les ans, les droits aux surplus devront se renouveler tous les ans. Est-ce que les budgets de quatre à six milliards ne se renouvellent pas tous les ans, lorsqu'on a décidé de se lancer à fond de train dans la grande destruction planétaire ?

La source des allocations est donc aussi inépui­sable que la production elle-même. Or, qui osera soutenir que la population du Canada peut telle­ment manger et tellement s'habiller qu'elle tarira toutes les sources de son immense pays ?

Cette solution est sans doute trop simple pour ceux qui cherchent, au bout d'un télescope, les der­niers plans d'économistes socialistes et francs-ma­çons. Ce qui ne sort pas de là n'a pas de presse. Et ce qui n'a pas de presse peut-il retenir l'attention dans un monde qui n'écoute que le bruit, qui ne voit que le panache ?

Nous pourrions mentionner le nom d'un brave journaliste de Québec, collaborateur d'un quoti­dien respectable, qui, dans un article paru le mois dernier, craignait qu'après la guerre, l'Angleterre cesse d'absorber nos surplus de production au mê­me régime que pendant la guerre. Comment pour­rions-nous manger si nous ne nourrissions pas l'An­gleterre en même temps que nous ? Or ce même journaliste passe du plan Beveridge aux encycli­ques, des encycliques au plan Beveridge, et ailleurs, pour chercher quelque formule d'allocation familia­le !

Et nos surplus, ces surplus qui l'embêtent ? Qu'il oublie donc l'Angleterre et qu'il pense à les déver­ser dans le sein des familles canadiennes : la formu­le sera toute trouvée.

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"Croire que l'on pourra encore abuser et user une autre génération dans les luttes puériles, stériles, stu­pides d'hier, je le dis : c'est une illusion de jeunes vieillards ou de barbons retournés à l'enfance."  — (Abbé Groulx).

Louis Even

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