"M. Ilsley a bien fait de rabrouer ces utopistes, car ce serait bien dommage si la guerre ne profitait pas au moins aux créateurs et prêteurs d'argent !
"Mais le pays s'endette à vue d'œil et sans raison, me diras-tu ! Qu'est-ce que ça peut bien faire ? Un pays qui peut s'endetter n'est-il pas un pays riche ? Et vivre pauvrement dans un pays riche, n'est-ce pas un indice de la charité et de l'abnégation commune ?
"Non, Procule, ne me parle pas de ces fanfarons qui prétendent changer le régime et qui nous disent que nous devrions prendre le moyen de jouir de la richesse que Dieu nous a donnée. Tout ce que je vois autour de moi, les biens qui s'accumulent, les ressources inactivés, les vitrines remplies, les rayons surchargés, tout ça, ce doit être pour l'exportation ; à nous le sacrifice !
"S'il fallait que chacun puisse manger à sa faim et s'abriter convenablement, n'en serait-ce pas assez pour tuer la tuberculose et fermer les portes de nos sanatoriums ? Quel dommage de fermer ou d'employer à des choses moins dignes de notre civilisation des édifices qui font notre orgueil et sont un hommage à notre charité !
"Toute réforme dérangerait beaucoup de monde et ferait du tort aux gros financiers. Ces financiers, ce sont des frères, des Canadiens (on aime à le supposer au moins) qui ne nous font du mal que dans la mesure où ils se font du bien et qui ont toujours eu soin de nous laisser une croûte de pain et une queue de chemise, par les voies ordinaires, par les diverses pensions ou par les secours directs.
"Que M. Ilsley ne s'émeuve point : nous le suivrons jusqu'à la mort sur le sentier du sacrifice ; avec lui, nous marcherons jusqu'à la victoire extérieure et la défaite intérieure sous le protectorat de Mammon ; avec lui, nous paierons des intérêts inutiles jusqu'à la banqueroute complète."
(La Frontière, 23 juillet)