Le courrier de VERS DEMAIN émerge de tous les coins de la province. De créditistes généralement, car il est rare qu'un adversaire ose aujourd'hui exprimer son opposition.
Mais, parmi les créditistes qui nous écrivent, il y en a de divers degrés. Des ardents, des tièdes. Des généreux, des moins détachés d'eux-mêmes. Des militants, des soupirants. Ceux qui veulent, et ceux qui désirent seulement. Il y a aussi les hardis et les timides, ceux qui foncent et ceux qui hésitent, ceux qui courent dans le soleil créditiste et ceux qui voient des ombres au moindre pas, ceux qui donnent des ailes et ceux qu'il faut porter, les remonteurs perpétuels et les perpétuellement abattus. Entre les extrêmes, la gamme est d'ailleurs variée.
Le courrier dénote tout cela. Les uns chantent le progrès local de leur Association Créditiste, d'autres exposent leurs difficultés. Parmi ces derniers, on a trop la tendance à croire que la solution viendra de la direction. De la direction, on est certainement en droit d'attendre lumière, encouragement, directives générales. Mais la solution de problèmes locaux reste la chose des créditistes locaux. Le Crédit Social ne nous viendra pas par la poste, c'est à nous de nous mettre à l'œuvre pour l'édifier pierre par pierre.
Venons à des cas concrets.
Un correspondant nous écrit que, dans sa paroisse, les membres de l'Association vont se décourager, parce qu'ils n'ont pas encore de marchand créditiste. Que faire ? demande-t-il.
Ce n'est pas nous qui donnerons à ces braves gens un marchand créditiste, c'est à eux de s'en trouver un ou de s'en faire un. D'abord qu'ils augmentent leur propre nombre. Ils sont 24 ; pourquoi ces 24 n'en recrutent-ils pas 24 et même 48 autres, dans une paroisse qui compte plus de 300 familles ? Lorsqu'ils seront 72, pas 72 moules, mais 72 hommes bien déterminés, prêts à poser les actes nécessaires, même à changer de fournisseur, pour atteindre leur but, nous ne croyons pas qu'il leur sera impossible de gagner à leur cause un des marchands détaillants de l'endroit.
Qu'ils aillent trouver, par exemple, un marchand-général, pas nécessairement le plus gros, mais celui qui possède le plus de sens patriotique et social, et qu'ils lui disent : "Monsieur, nous sommes 72 familles dans l'Association Créditiste. Voici la liste. Quelques-unes sont déjà vos clientes ; d'autres ne le sont pas. Eh bien, toutes ces familles peuvent devenir vos clientes régulières demain si vous-même entrez dans l'Association et accepter nos transferts de crédit. Puis, à mesure que des associés nouveaux viendront, nous les dirigerons vers votre magasin, tant que vous serez capable de les servir."
Le marchand, s'il connaît l'arithmétique et la règle de trois, comprendra qu'il n'a rien à perdre et tout à gagner dans une telle proposition, même au simple point de vue commercial, sans parler de l'objectif auquel son sens patriotique et social doit souscrire sans hésiter.
— Mais, en attendant, les 24 premiers paient leur contribution et n'obtiennent rien : ils vont lâcher.
— S'ils préfèrent lâcher que de lutter pour obtenir la force qui leur manque, ce ne sont pas des hommes qui veulent le Crédit Social ; ce sont des soupirants. Il n'y a pas grand mérite à consentir à recevoir un dividende ; le mérite, c'est de faire l'effort pour obtenir le régime qui l'assurera.
La première condition pour la victoire, c'est de savoir lutter. L'Association enrôle des hommes qui savent ce que c'est que le Crédit Social et qui le veulent à tout prix. Ces hommes-là n'auront pas de peine à tenir.
Si des associés en grand nombre dans une paroisse ne réussissent quand même pas à gagner un marchand à leur cause, parce que les marchands se concertent pour résister, il reste la ressource de se faire mi marchand, au moins dans quelques lignes courantes ; il n'y aura pas besoin d'aller loin avant de trouver des signes de conversion. L'important, c'est un bon groupe d'associés décidés.
Voici un autre correspondant. C'est un marchand détaillant. Il est entré dans l'Association, et il est sincère, assure-t-il. Mais il nous presse de lui trouver un marchand de gros qui acceptera les transferts que lui accumule.
Il ne nous dit pas si sa clientèle a augmenté, et si cette augmentation compense pour la diminution du pourcentage de profit en argent, en attendant qu'il trouve à écouler son crédit.
Nous le prions simplement de relire ce que nous avons écrit dans la page 7 du numéro du 15 juillet sous le titre "Le cas du marchand".
Si cet épicier est vraiment créditiste plutôt que chercheur de profits, il tiendra et il ne s'en repentira pas. Sa première satisfaction sera de voir grossir le mouvement, grâce à sa contribution personnelle. Puis il restera le marchand attitré des créditistes de l'endroit, même sous la seconde étape, après qu'une première victoire aura assuré des positions beaucoup plus avantageuses.
Mais, lorsqu'on nous écrit : "L'épicier associé de notre paroisse désire qu'on cesse d'étendre le nombre des associés, parce qu'il a peur "de trop perdre", — nous-n'y comprenons plus rien. Cet épicier-là est-il créditiste qui craint de voir grossir le nombre de créditistes ? Veut-il la victoire finale, ou ne pense-t-il qu'aux 5 pour cent immobilisés ? Comprend-il l'avantage personnel que lui apporte l'augmentation de clientèle, ou voudrait-il l'augmentation de clientèle tout en gardant le même pourcentage de profit sur chaque client ?
De même que nous disons aux consommateurs associés : Tenez bon, multipliez-vous, associez des concitoyens, et allez aux marchands associés ; — de même nous dirons au détaillant associé : Tenez bon, affichez votre acceptation des transferts, accueillez avec empressement les clients que vous gagne l'Association, allez le plus possible aux producteurs du pays, nouez des relations avec les autres marchands détaillants associés pour mieux régler ensemble vos problèmes vis-à-vis des grossistes.
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L'Association Créditiste n'a pas pour but de grossir les gros. Nous ne croyons pas non plus que ce sont les gros qui aideront la multitude à se libérer : ce serait tellement contraire aux faits passés et présents.
Aussi restons-nous sceptiques lorsqu'on nous demande de dépenser des énergies pour aller convertir des personnages "importants", même si la demande nous est faite par de bons créditistes.
Cela nous fait penser à une certaine paroisse dans laquelle notre Association compte un nombre intéressant de membres. Il s'y trouve aussi quelques marchands associés ; mais, apparemfnent, plusieurs membres de l'Association continuent d'aller chez leur ancien marchand, parce qu'il a un bel établissement et tient le plus gros commerce de détail de la place.
Lorsque le Secrétaire local demande à ces associés s'ils se servent de leur crédit, ils répondent : Nous allons chez le gros marchand. Untel ; entrez-le donc dans l'Association. La même réponse est faite par des non-membres auxquels les voltigeurs demandent de s'enrôler : Entrez d'abord monsieur Untel, c'est notre marchand, et nous ne tenons pas à changer.
Le Secrétaire a vu Monsieur Untel. Monsieur Untel répond : Si nous étions sûrs que ça va marcher, nous entrerions et cela vous vaudrait certainement bien des membres.
Le cas examiné froidement se résout à ceci :
Pour que ça marche, il faut que Monsieur Untel s'enrôle. Pour que Monsieur Untel s'enrôle, il faut que ça marche.
On voit l'absurdité de s'attarder à attendre Monsieur Untel, au lieu de soutenir les braves marchands, moins importants, qui sont entrés dans l'Association dès le début parce qu'ils sont créditistes et qu'ils veulent que ça marche.
Sans compter que, si Monsieur Untel entrait avec ces dispositions, il ne se ferait probablement pas scrupule de sortir à la première obstruction sérieuse, lorsqu'il trouverait que ça ne marche pas assez vite. Il est homme à piastres avant d'être créditiste.
Ce qu'il nous faut, ce sont des hommes pour combattre, non pas pour partager le butin. On ne manquera jamais de ces derniers ; appliquons-nous donc à chercher les premiers et appuyons-les de nos propres efforts.
Les politiciens cherchent les gros ; mais les politiciens ne sont pas des bâtisseurs, et c'est souvent le diable qui les inspire. Prenons plutôt modèle sur la manière dont l'Église fit ses débuts : elle fut trois siècles avec les esclaves et y fit de grands saints avant que l'eau du baptême touchât un front couronné.