Un diplôme remplace-t-il une tête ?

le vendredi, 01 janvier 1937. Dans Cahiers du Crédit Social

La "Communication au sujet du Crédit Social de M. Bilodeau, parue dans L'Action Catholique du 24 décembre, et certains autres articles publiés récemment dans quelques brochures, revues et journaux — dans le but évident d'arrêter le mouvement libérateur du Crédit Social en lui offrant, à défaut d'arguments, le prestige de noms ou de titres — appellent quelques simples réflexions. Je déclarerai d'abord tout net, sans m'inquiéter de statues sur des piédestaux :

1 - Qu'aucun diplôme d'Oxford ou d'ailleurs ne donne à aucune personne le droit de venir impunément berner toute une population de sottes balivernes, d'imaginations et de faussetés ridicules.

2 - Que plus un homme a fait d'études, obtenu de diplômes, et ajouté de titres honorifiques au bout de son nom de naissance, plus cet homme a le devoir de penser par lui-même, de se servir de son jugement, de le mettre en activité, au lieu de répéter platement ce qu'il a appris de mémoire dans les livres d'universités expliquant des théories surannées. Plus aussi il a le devoir de mettre au bénéfice de la population les aptitudes de travail mental, intellectuel qu'ont dû développer chez lui les études avancées, au lieu de tromper les gens en abusant, sciemment ou non, de la réputation et de l'influence méritées par ses études.

3 - Qu'au lieu de demeurer à perpétuité réflecteur automate des procédés de nos ancêtres, le diplômé d'Oxford doit devenir penseur autonome devant les faits physiques et tangibles de l'heure actuelle.

Le théorème A + B intrigue-t-il ? Qu'on l'envoie simplement au diable, si l'on n'est pas capable d'en saisir le joint, le nœud ! Il est bien un peu difficile, surtout pour un diplômé d'Oxford. Mais reconnaissez au moins les faits. Ouvrez simplement les yeux. Concluez avec toute la population que le salaire, l'industrie n'injecte pas assez d'argent, de pouvoir d'achat, de moyen d'échange, pour écouler toute la production ; que vos fameuses théories économiques n'agissent plus efficacement avec les progrès modernes de la production mécanisée qui permettent un plus gros volume de production rapide en exigeant moins de travail salarié. C'est une constatation expérimentale.

Tout diplômé que vous soyez, reconnaissez donc avec tous, que le monde se meurt d'inanition en face des montagnes de production consommable et déjà réalisée. Reconnaissez donc avec tout le monde que depuis quelques années la locomotive et le camion ont remplacé le taureau et le cheval pour le transport et que ça va plus vite ! Que les presses rotatives ont remplacé les scribes, les polycopistes au crayon ou à la plume, et que ça va plus vite ! Que l'électricité et la chimie, ces grands pouvoirs-forces ont remplacé les bras de l'homme au travail et que ça va plus vite ! Pas besoin d'énumérer davantage, du moins pour moi, ni pour la population.

Dans le système économique, il y a production, consommation et transport de producteur à consommateur. Avec le machinisme moderne la production opère beaucoup plus rapidement ; le transport matériel a évolué aussi et opère au diapason de la production ; c'est votre fameux transport psychologique qui est resté stationnaire, le transport-monnaie, le moyen d'échange des produits qui sont restés en arrière.

Chaque homme anciennement échangeait son travail pour les fruits de la production ; des machines ont remplacé le travail de l'homme.

L'homme qui se repose a toujours faim, et la machine qui travaille ne mange pas. Voyez-vous, M. Bilodeau, c'est ça qui est changé, l'avez-vous jamais remarqué ? Si j'étais diplômé d'Oxford, j'emploierais peut-être d'autres grands termes que j'essaierais de me rappeler en fermant les yeux, mais comme je suis tout simplement un amateur qui pense, et que j'ouvre les yeux dans le grand livre de notre société actuelle qui souffre et se lamente, je cherche un remède physique au mal physique et réel que j'y vois, et j'exprime ma pensée en langage ordinaire.

Ayez assez d'ouverture d'esprit, de malléabilité, de facilité d'adaptation pour évoluer vous-même avec le monde, promenez-vous librement à travers le large espace d'une intelligence-ouverte, et ne donnez pas l'impression d'être limité sur une route étroite fixée entre deux rangées de poteaux et deux fossés.

N'allez donc pas humilier, dégrader tous les talents, tous les experts, en disant qu'aucun économiste ne s'est aperçu qu'il y a eu évolution depuis 40 ans, et que tous sont opposés à la réforme du Crédit Social. Lisez plutôt dans "La Vie Intellectuelle" du 25 octobre 1936 un article signé P. Marraud, ingénieur E.C.P. Vous n'y comprendrez peut-être rien, parce ça ne dit pas la même chose que dans les livres d'Oxford ! Essayez toujours !

Écoutez T. A. Goldsbrough, K. Snyder, Robert Owen, etc., etc.

Lisez le Père Levesque diplômé lui aussi des Universités, mais qui a gardé sa liberté de digérer ses connaissances, de les assimiler et d'éliminer les éléments qui ne conviennent plus. Plusieurs universitaires, cher Monsieur Charles Bilodeau, ont admis que ce nouveau problème existe. Plusieurs même travaillent déjà à le résoudre ! Lisez aussi "Douglas Social Crédit for Canada” de W. A. Tutte.

Je relève tout spécialement de votre article cette phrase s'adressant aux Créditistes : "Obtenez d'abord l'approbation des économistes, et si votre système est recommandé par les experts, nous ( ?) l'étudierons.” Qui Économistes ? Qui Experts ? qui, nous ? Double galimatias ! Affreuse incohérence ! J'y crois comprendre toutefois que vous vous excluez vous-même du rang des Économistes et des Experts, puisque vous dites bien que vous étudierez le Crédit Social, quand ceux-là l'auront approuvé et recommandé.

Vous admettez ainsi ne pas l'avoir étudié encore. On peut répondre au diplômé qui attaque avec ignorance le Crédit Social : “Le Crédit Social est une question technique très difficile ; vous risquez fort de vous faire ridicule si vous en parlez sans l'avoir étudié.”

J'enverrai votre phrase au recteur de l'Université d'Oxford, qui l'exposera sans doute au milieu des coquilles uniques.

Puisque vous prenez plaisir à traiter de charlatans ceux qui préconisent le Crédit Social, je vous ferai humblement remarquer que le Grand Pasteur passa longtemps pour charlatan lui aussi, et plusieurs experts se sont octroyé le droit de dire à ce tel hâbleur : “Faites d'abord approuver vos médicaments par l'Association des médecins et si on refuse, ne faites pas rire de vous en prétendant que les médecins sont tous préjugés ou incompétents."

L'histoire a prouvé que le Pasteur "hâbleur et charlatan" a triomphé des Experts et de l'association de tous les médecins, et l'humanité souffrante lui en est reconnaissante !

S'il faut laisser aux Experts Économistes le monopole de la pensée en Économique, nous pourrions leur demander au moins : Pourquoi n'avez-vous pas prévu la Crise Économique ? L'ayant prévue, pourquoi ne l'avez-vous pas prévenue, empêchée ? Ne l'ayant pas empêchée, pourquoi ne faites-vous rien pour la faire cesser, n'exposez-vous aucun programme, aucune solution pour y remédier ?

La terre serait encore plate si quelque fou, hâbleur, ou charlatan n'en avait jamais revendiqué la rotondité, contre les diplômés-astronomes de l'époque !

Souvenez-vous aussi que Dieu hait l'Orgueil, que l'Orgueilleux, l'Expert, le Diplômé refuse souvent de voir une vérité qui est manifestée aux Humbles.

Rit bien qui rit le dernier. Et Dieu Merci, pour la société, les créditistes n'attendront pas l'assentiment, l'approbation des Experts économistes pour propager leurs système, veuillez m'en croire. Et, je le souhaite, pour le bien de la société tout entière, la "propagande habilement menée ralliant à ce système un nombre croissant de nos gens," ne cessera ses activités qu'après avoir englobé dans ses idées rédemptrices toute la population de notre cher Canada, y compris la proportion des Experts, des Diplômés, que nous considérons toujours comme nos meilleurs amis.

H.-GEORGES GRENIER,

Pas-diplômé.

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Serait-ce aussi un produit d'Oxford, cet aîné de M. Bilodeau, M. Per Jacobsson, conseiller économique de la Banque des Règlements Internationaux de Bâle et membre de la Commission des Banques Irlandaises, qui attribue la crise actuelle à la disparition des chevaux ?... Quand on a des titres !

Les perruques, les monocles, les figures de cornichons en conserve n'en imposent plus au profane. Celui-ci possède une certaine dose de sens commun qu'il est capable d'utiliser.

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