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Pour financer la province

Louis Even le mercredi, 15 novembre 1939. Dans Crédit Social

Vd 15 nov 1939 p5

FINANCE PUBLIQUE

Par finance publique, nous entendons la finance des entreprises d’État : services sociaux, travaux publics, octrois, allocations — toutes choses qui figurent au budget du gouvernement.

Il y a finance publique dans la municipalité, dans la province, au fédéral. C’est dans le plan provincial que nous allons nous placer pour cette étude.

Qui n’a entendu parler, au cours de l’élection provinciale, des difficultés financières de la province, du moins par les orateurs adversaires du gouvernement Duplessis ? Comme d’habitude, dans ces circonstances, on critique beaucoup, plus pour essayer de déloger un homme et prendre sa place que pour instruire et proposer quelque chose de constructif.

Sans définir ce que signifie le mot "crédit", un chef déclarait : Le gouvernement Duplessis a ruiné le crédit de la province.

Si le crédit est basé, comme nous croyons logique qu’il le soit, sur la capacité de produire de la province, ni Duplessis ni personne avant lui n’a jamais saboté le crédit de la province de Québec. Le sol est resté fertile ; les agriculteurs peuvent encore cultiver, les fabricants manufacturer, les médecins soigner, les éducateurs instruire.

Si le crédit est basé sur la volonté de teneurs de livres appelés banquiers, c’est l’œuvre de ceux-ci qu’il faut examiner. Lorsqu’une province, capable de produire, est incapable de payer, il faut s’en prendre à ceux qui font et dispensent à leur gré les moyens de paiement.

OÙ S’ALIMENTE LA FINANCE PUBLIQUE

Un gouvernement n’a que trois moyens de se procurer de l’argent : l’impôt, l’emprunt, la fa-brication d’argent.

C’est d’ailleurs ce que déclarait M. Graham Towers, président de la Banque du Canada, devant un comité de la Chambre des Communes en mars dernier. Il précisait que la création d’argent se fait au moyen d’un prêt par les banques à charte. C’est donc une forme de l’emprunt empruntant non des épargnes, mais de l’argent qui n’existait pas et vient au monde au cours du procédé. Nous l’expliquions dans notre numéro du 1er novembre.

L’IMPÔT

Tout le monde connaît les taxes. L’impôt est le moyen normal de financer les dépenses publiques ; il fait payer les services publics par le public. Il est juste que celui qui bénéficie d’une chose la paie.

Mais il existe une limite à la proportion du revenu individuel que le gouvernement peut demander au citoyen pour les services publics. Il faut que le citoyen en conserve assez pour les services privés, pour payer les produits dont il a besoin pour vivre.

Dans un pays où les disponibilités de main-d’œuvre, de machines, de matériel et de technique permettent à la fois la production de services privés et celle de services publics, les citoyens devraient logiquement avoir le moyen de payer à la fois les services privés et les services publics. C’est-à-dire qu’ils devraient pouvoir facilement fournir en impôts tout ce qu’il faut pour l’administration publique, tout en conservant un pouvoir d’achat suffisant pour absorber la capacité productive du pays.

S’il n’en est pas ainsi, c’est parce qu’il y a autant d’anarchie et de désordre dans le système monétaire qu’il existe de technique et d’ordre dans la production.

L’EMPRUNT

L’autre manière de financer les dépenses du gouvernement, c’est l’emprunt. En réalité, l’emprunt n’est qu’un impôt reculé, étendu sur plusieurs années à venir. L’emprunt accuse une insuffisance actuelle d’argent ; on n’emprunte que lorsqu’on manque d’argent.

On pourrait poser la question : Quand le gouvernement manque ainsi d’argent et ne peut en trouver par l’impôt, parce que le public en manque aussi, pourquoi ne recourt-il pas à la troisième manière — la fabrication d’argent ?

Ce serait, en effet, la chose naturelle, au moins dans un monde comme le nôtre, où la production de biens et de services n’attend que la présence de l’argent. Mais nos gouvernements civilisés ont renoncé aux solutions simples, faciles et logiques : ils préfèrent mettre leurs administrés en pénitence et en dette.

D’ailleurs, dans la plupart des cas, la deuxième manière (l’emprunt) s’identifie avec la troisième manière (la fabrication d’argent), puisque la plupart des emprunts publics sont des créations de crédit par les banques. Mais au lieu de fabriquer lui-même l’argent qui manque, le gouvernement le fait fabriquer par des profiteurs, et il les paie pour en avoir.

Le gouvernement emprunte ainsi de particuliers le crédit public de la province. C’est une bouffonnerie. Il le fait aux conditions que ces particuliers lui imposent et, il les récompense par un intérêt annuel dont on ne voit pas la fin. C’est une abomination.

C’est là le procédé orthodoxe. Une province qui veut s’en départir encourt la colère des banques et les malédictions de leur protecteur à Ottawa.

On nous a dit que la province de Québec ne peut plus emprunter. Tant mieux. Il est temps que les régimes stupides s’écroulent sous leurs propres excès.

COMMENT FINANCER SANS EMPRUNT

Mais comment un gouvernement qui ne peut raisonnablement augmenter le chiffre d’impôt va-t-il administrer sans emprunter ?

Simplement en utilisant lui-même le crédit de la province, la capacité de produire de la province, sans passer par la plume et la volonté des banquiers.

Si un gouvernement provincial a le droit d’emprunter, il a le droit de tirer sur le crédit producteur de la province, puisque c’est cela même que fait l’emprunt.

L’emprunt engage le crédit de la province, la production future de la province. La province a donc le droit d’engager son crédit, sa production potentielle qui n’attend que des commandes.

Si la province a le droit de faire gérer son crédit par un banquier de Montréal, de New-York ou de Boston, elle a certainement le droit de le faire gérer par un de ses propres fonctionnaires.

Comparons les deux manières de tirer sur le crédit producteur de la province : la manière orthodoxe par l’emprunt, et la manière autonome par la libération directe du crédit. On va supposer qu’il s’agit d’un crédit de quinze millions.

PROCÉDÉ ORTHODOXE :

Le gouvernement signe des débentures pour obtenir la permission d’employer la capacité productive de la province pour 15 millions ;

Un banquier inscrit quinze millions au crédit du gouvernement ;

Le gouvernement tire des chèques sur ces chiffres et fait exécuter des travaux ;

Le pouvoir d’achat ainsi libéré active pour autant la production générale dans la province ;

Pour servir les intérêts, le gouvernement retire graduellement ce crédit, le banquier le fait disparaître, et l’opération reparalyse pour autant la capacité de production de la province ;

Incapable de rembourser le capital à maturité, le service des intérêts l’ayant absorbé, le gouvernement continue de payer une servitude annuelle au teneur de livres (au banquier).

PROCÉDÉ AUTONOME (UN ENTRE PLUSIEURS) :

Le gouvernement fait placer cinq dollars, dans des livres de comptabilité provinciale, au crédit de chacun des trois millions de citoyens de la province ;

Les citoyens tirent des chèques sur ces chiffres, formant un total de 15 millions, pour satisfaire leurs besoins ;

Le pouvoir d’achat ainsi libéré active pour autant la production générale dans la province ;

Grâce à cette activité productive, le rendement de l’impôt augmente sans douleur et le gouvernement fait exécuter ses travaux ;

L’impôt repasse ainsi en pouvoir d’achat et entretient l’activité déclenchée dans la production générale ;

Le gouvernement n’ayant contracté aucune servitude, n’a rien à retirer pour le banquier, et l’activité continue ;

De nouvelles émissions de crédit peuvent avoir lieu tant que la capacité de production, dans l’ordre privé comme dans l’ordre public, n’est pas totalement utilisée.

QUEL PROCÉDÉ PRÉFÉREZ-VOUS ?

L’un et l’autre se servent d’une simple monnaie de comptabilité.

L’un et l’autre utilisent la capacité de production de la province.

Dans l’un et l’autre cas, ce sont des gens de la province qui produisent quelque chose avec le matériel de la province.

Dans l’un et l’autre cas, les employés de la province, avec leur salaire, tirent sur la capacité de production agricole et industrielle de la province.

Dans l’un et l’autre cas, la province obtient un actif dans la route, le pont, l’édifice, etc. Mais par le procédé orthodoxe, elle est moins propriétaire que locataire de cet actif, puisqu’elle paie une servitude perpétuelle.

Le procédé orthodoxe n’active que temporairement la production ; il la soumet à des périodes de croissance et de décroissance. Pour entretenir l’activité, il faut continuellement signer et accumuler de nouvelles servitudes.

Le procédé autonome, au contraire, permet la constance de rendement ; lorsqu’il a haussé la production à un niveau, il l’y maintient.

Le procédé orthodoxe n’utilise le crédit producteur de la province qu’à la cadence permise par le banquier. Le procédé autonome ne place la province sous la dépendance de personne.

Le procédé orthodoxe ne libère le crédit qu’en avantageant le financier. Le procédé autonome libère le crédit en avantageant chaque famille proportionnellement au nombre des membres qui la composent.

Quel procédé préférez-vous ?

INFLATION ?

Mais n’y a-t-il pas danger d’inflation par le procédé autonome ?

L’inflation a lieu lorsqu’il y a plus d’argent que de capacité de production pour en répondre. L’argent perd alors sa valeur.

La déflation a lieu lorsqu’il y a moins d’argent que de production offerte. Les produits perdent alors leur valeur.

Puisque le procédé autonome règle ses émissions sur la capacité de production, il ne peut produire d’inflation. Il n’émet de crédit provincial que lorsqu’on manque d’argent pour utiliser le travail d’hommes et de machines qui attend. Il comble un vide, il ne fait pas de trop-plein.

C’est le procédé orthodoxe actuel qui serait apte à créer de l’inflation et qui crée fréquemment de la déflation. On parle beaucoup d’inflation à craindre, on ne souligne guère le mal de la déflation. C’est pourtant la déflation qui nous tient dans la crise depuis dix ans.

Par le procédé autonome, on établirait et on maintiendrait l’équilibre, parce que c’est le pouvoir responsable lui-même qui aurait en main les moyens d’augmenter la circulation monétaire, comme il aurait aussi en main le moyen de l’assainir au besoin.

Supposons que, pour des raisons spéciales, la capacité de production de la province faiblit. Le gouvernement qui perçoit par l’impôt la monnaie de toute sorte, argent et crédit provincial, peut très bien retenir une partie de ce crédit provincial en diminuant les activités sur les chantiers provinciaux. Il est même obligé de le faire puisque, dans l’hypothèse d’une capacité de production épuisée, il y a pénurie de main-d’œuvre disponible.

Une foule de questions se posent ici : Comment le public va-t-il accepter le crédit provincial direct avec autant de confiance qu’il accepte aujourd’hui ce même crédit changé en dette par les banques ? Quel sera sur l’esprit du travailleur l’effet de ces distributions gratuites de dividendes de temps à autre ? Pourquoi ne pas appliquer le crédit directement aux travaux publics ? Que peut-on attendre de ce nouveau mode de finance public pour la destruction du favoritisme, du patronage politique, des petites dictatures de village ?

Les prochains numéros de VERS DEMAIN pousseront de plus en plus l’exploration dans ce domaine intéressant.

Nous croyons pouvoir affirmer tout de suite que le premier gouvernement qui se dégagera de la tutelle des banques, qui mettra en branle toute la capacité productive de la province, qui distribuera de temps en temps des dividendes au lieu d’augmenter le taux de l’impôt — ce gouvernement-là aura réalisé la véritable autonomie provinciale et se fera acclamer lorsqu’il reviendra devant le peuple.

Louis Even

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