Politique nouvelle, économie nouvelle

le lundi, 01 novembre 1943. Dans Le Crédit Social enseigné par Louis Even

La 16e causerie hebdomadaire de l'Union des Électeurs rappelait ce qu'est l'Union des Électeurs et soulignait son orientation en politique et en économique.

Pas comme les partis politiques

Les partis politiques poussent des candidats et demandent aux électeurs de faire confiance à ces hommes s'ils veulent être bien gouvernés. Aussi les orateurs des partis, les uns après les autres, ont-ils des saints à canoniser et des démons (les adversaires) à damner.

Cela ne doit point surprendre, puisque les par­tis se préoccupent surtout de placer des hommes au pouvoir ou de chasser des hommes du pouvoir. Les partis traitent de ce qui les intéresse : les dé­putés et les aspirants-députés.

L'Union des Électeurs, elle, s'occupe de ses membres, des électeurs. Aussi n'a-t-elle point de saints politiques à mettre en niche, ni de démons politiques à précipiter dans les abîmes. L'Union des Électeurs cultive des électeurs : les électeurs feront bien leur candidat.

Elle ne dit point aux électeurs : Faites confiance à un tel et vous aurez un bon gouvernement. Elle dit aux électeurs : Ne vous fiez qu'à vous-mêmes si vous voulez être bien gouvernés.

Qui doit faire le programme ?

L'Union des Électeurs ne dit point au peuple : Voici un beau programme politique ; ceux qui l'ont rédigé et ceux qui l'appuient sur les tribunes méri­tent seuls votre suffrage.

Elle dit aux électeurs :

N'avez-vous point un programme à passer à ceux qui vous représentent au parlement ? N'y a-t-il point des choses que vous voulez tous, qui sont possibles, mais que vous n'avez pas ? N'y a-t-il pas des besoins communs et pressants, non satisfaits, sur lesquels vous vous entendez tous ? Que voulez-vous sur vos tables et l'avez-vous ? Ces choses-là existent-elles ou manquent-elles au pays ? Que voulez-vous en fait de maisons, et l'avez-vous ? L'espace et le matériel pour cela existent-ils ou manquent-ils au pays ? Que voulez-vous en fait de chauffage ? Le combustible existe-t-il ou manque-t-il au pays ? Que voulez-vous en fait de soins mé­dicaux ? Les médecins et les remèdes existent-ils ou manquent-ils au pays ?

Est-ce que vous n'êtes pas tous d'accord pour vouloir ces choses dont une abondance existe ? Alors, faites-en votre programme, et tous ensem­ble, criez à votre député qu'il ait des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, une bouche pour parler, des pieds pour bouger, des mains pour agir.

La responsabilité des électeurs

Si quelque chose va mal, l'Union des Électeurs s'en prend d'abord aux électeurs eux-mêmes : Avez-vous étudié votre affaire, et l'avez-vous prise en main ? Saviez-vous ce que vous vouliez ? Avez-vous compris que d'autres, que tous le voulaient com­me vous ?

Et si vous l'avez su, êtes-vous allés voir votre voisin pour le lui faire remarquer ? Au lieu de vous battre sur des couleurs politiques, au lieu d'applau­dir ou de chouter des programmes faits derrière des rideaux et poussés par des messieurs de passage, pourquoi ne vous êtes-vous pas unis autour de vos propres besoins, autour de vos propres aspirations essentielles qui ne diffèrent point, et pourquoi n'avez-vous pas parlé au lieu d'écouter, pourquoi n'avez-vous pas agi au lieu de laisser faire ?

Et si vous ne l'avez pas fait dans le passé, que décidez-vous pour l'avenir ? Allez-vous suivre des bannières de politiciens, ou brandir votre propre bannière ?

Pour l'Union des Électeurs, encore une fois, c'est l'électeur, chaque électeur, tous les électeurs qui comptent. Tous ceux et toutes celles qui, dans ce pays, ont le droit de dire leur mot dans la conduite de la chose publique.

Une éducation politique à faire

Mais pour que les électeurs soient ainsi con­scients de leur bien commun, il faut évidemment qu'ils aient l'âge de raison politique, qu'ils soient entraînés à observer, comprendre, s'unir, s'organi­ser.

L'organisation des Électeurs est plus longue à faire que l'organisation d'un groupe de cabaleurs. Les cabaleurs ne songent point à instruire la foule, mais à l'exploiter, ils y réussissent mieux quand la foule reste ignorante ou inconsciente. L'organisa­tion des cabaleurs ne demande qu'une bonne dose d'égoïsme, quelques hommes et beaucoup de pias­tres. L'organisation de la masse des électeurs sur un plan intelligent demande, au contraire, beau­coup d'hommes, beaucoup de temps et beaucoup de dévouement.

C'est plus long, mais les résultats sont autre­ment intéressants pour la multitude. Et si l'on avait employé les 75 années d'activités politiques partisanes à soigner les électeurs, au lieu de soigner les candidats, peut-être serait-on plus avancé au­jourd'hui.

Politique nouvelle

Voilà pourquoi l'Union des Électeurs consacre sa littérature et ses causeries à éclairer, à renseigner, et à presser les électeurs de s'instruire et d'agir eux-mêmes.

C'est cela que l'Union des Électeurs appelle po­litique nouvelle. Politique de l'électeur au-dessus du parti ; de l'instruction des électeurs avant la parure des politiciens. Politique du programme commun des électeurs avant la cuisine électorale la mieux aromatisée.

Économie nouvelle

Et en économie, l'Union des Électeurs a aussi quelque chose de nouveau, quelque chose qui au­rait toujours dû exister : le service du consomma­teur, le consommateur au premier plan.

On appelle cela économie nouvelle, parce que, depuis longtemps, on a oublié le consommateur pour ne penser qu'au financier. Le producteur est devenu le serviteur du financier. Le consommateur est devenu la victime d'une finance dominatrice et sans entrailles. Et cela a duré si longtemps qu'on a fini par croire que c'est normal. C'est l'économie devenue économie ancienne, consacrée par la sou­mission universelle devant les dictées de l'argent.

Associations désorientées

Même des associations qui se croient bien or­données oublient que le consommateur doit être la fin des activités économiques. Elles sont vouées à l'échec, au point de vue ordre, parce qu'elles par­tent sur un mauvais pied, parce qu'elles acceptent un désordre fondamental.

Prenez un syndicat du bâtiment. Est-ce que la fin d'un syndicat du bâtiment ne devrait pas être, par une organisation appropriée des membres de la corporation, de fournir de meilleurs logements aux consommateurs, de mieux loger les humains ? Qui est-ce qui va le faire sinon le bâtiment orga­nisé ?

Prenez un syndicat de la chaussure — patrons et employés — plus exactement donc, la corpora­tion de la chaussure. Est-ce que telle corporation ne doit pas surtout exister en vue de former de meilleurs ouvriers, de surveiller la qualité du ma­tériel et du travail, pour que les consommateurs soient mieux chaussés ? Qui peut mieux voir à ce service des consommateurs que la corporation de la chaussure elle-même, ordonnant elle-même ses propres règlements dans ce sens ?

Pourtant, est-ce de cela qu'il est question dans les unions du bâtiment et de la chaussure ? N'y est-il pas plutôt question de l'argent à réclamer pour ceux qui travaillent dans le métier ?

Est-ce que le but du Collège des Médecins ne doit pas être surtout la protection de la santé des hommes ? Pour le barreau, pour le notariat, la défense du droit et de l'honnêteté ? Pourtant, ne voit-on pas les corporations professionnelles veiller, par dessus tout, à sauvegarder les honoraires des mem­bres de leurs professions ?

Lorsqu'une union agricole s'occupe d'améliora­tions dans la culture, dans l'élevage, afin de four­nir de meilleurs produits à la consommation, elle est en plein dans son rôle, elle sert la fin de la vie économique, elle est un rouage bien ordonné à cette fin. Mais lorsqu'elle est surtout prise avec des questions de prix et d'octrois, d'argent à tirer des consommateurs par les prix, d'argent à tirer des contribuables par les octrois, il y a quelque chose qui grince.

Nécessité, dira-t-on. Mais pourquoi cette néces­sité absorbante ?

Sans doute qu'il faut une relativité équitable en­tre les gains des patrons et les gains des ouvriers dans une industrie, entre les prix des produits d'une industrie et ceux d'une autre, entre les prix des produits agricoles et ceux des produits de l'u­sine, entre les honoraires des professionnels et les prix des denrées communes. Mais on sera perpé­tuellement à la gorge les uns des autres, pour éta­blir cette relativité, tant qu'il n'y aura pas d'abord un rapport constant entre le pouvoir d'achat glo­bal et la production globale de denrées et de ser­vices. Et comme la production de denrées et de ser­vices, est ou peut être aujourd'hui très abondante, le pouvoir d'achat global devrait l'être aussi. Cela simplifierait considérablement le problème.

Redressement qui s'impose

L'abondance établie dans l'argent, comme elle l'est dans la capacité de production, il ne serait plus question d'une lutte à mort pour avoir une part de la rareté ; on assisterait à une satisfaction générale au moins des besoins essentiels. Ce qu'as­surerait le dividende national inscrit dans la légis­lation et devenu facteur courant de distribution.

Mais ce redressement du système financier ne sera pas fait par les maîtres du système financier, puisqu'ils vivent de sa corruption, puisqu'ils tien­nent leur pouvoir discrétionnaire de la technique même de leur système.

Ce redressement du système financier ne sera pas fait non plus sous la pression de secteurs iso­lés, surtout pas des secteurs où l'on interdit toute mention du sujet, où l'on se borne par principe à étudier la répartition de la rareté artificielle.

Ce redressement, nécessaire au premier chef, avant que les meilleures organisations puissent bien poursuivre une fin ordonnée au service du consommateur dans le domaine économique, ce re­dressement ne pourra s'obtenir que le jour où la masse des électeurs, consciente du désordre et de la possibilité de le faire cesser, en exigera la fin im­médiate.

La masse peut-elle comprendre ?

C'est pourquoi l'Union des Électeurs s'applique à faire la lumière sur cette question. Elle croit que la masse des électeurs est capable d'en saisir les grandes lignes.

Mettez la masse des électeurs en face des pro­duits de toutes sortes, en temps de paix, en face des greniers débordants, des vitrines, pleines, des stocks accumulés, des machines et des bras atten­dant des commandes. Elle dira sans hésiter : Il y en a en abondance, il y en a pour tout le monde, plus que pour tout le monde.

Mettez la même masse des électeurs en face de l'argent dans les maisons pour y faire venir les pro­duits. Elle dira sans hésiter : Il en manque énormé­ment. Il n'y en a pas assez pour tout le monde.

Demandez à la masse des électeurs qui fait l'a­bondance et la fait bien. Elle répondra sans hési­ter : Dieu, les hommes et les machines.

Demandez à la même masse des électeurs qui fait l'argent et en règle si mal le volume. Là, vous trouverez plus d'ignorance. Vous trouverez l'igno­rance même chez ceux qui s'offrent pour représen­ter les électeurs dans la solution de leurs grands problèmes. Vous trouverez l'ignorance jusque chez des ministres qui passent leur temps à se creuser la tête pour trouver des piastres pour les services publics.

N'est-ce pas que c'est bien là qu'il y a de la lu­mière à faire. N'est-ce pas que l'Union des Électeurs a bien raison de diriger son attention sur ce coin-là ?

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