Ottawa voudrait tuer Vers Demain

le vendredi, 15 février 1946. Dans La vie créditiste

Le gouvernement veut nous voler $11,000.00

Il y a bientôt trois ans, en avril 1943, mis sur piste par une tête croche et parcheminée de Qué­bec, le bureau de l'impôt sur le revenu envoyait un comptable trouver M. Even dans sa chambre privée, avec sommation de livrer à l'enquête la comptabilité du journal Vers Demain pour les an­nées 1941 et 1942.

Dix-huit mois plus tard, en octobre 1944, le bu­reau de l'impôt décida que le journal Vers Demain et son directeur devaient payer au gouvernement fédéral trois factures d'impôt se totalisant à en­viron $8,000.

C'était présenté sous le titre d'impôt sur les pro­fits et sur les excédents de profits.

Naturellement, nous avons refusé de payer. Le journal Vers Demain n'est pas et n'a jamais été une entreprise à profit. Il n'a aucun capital-actions, et pas une personne n'en retire un sou de dividende.

C'est ce que notre avocat, M. Grégoire, fit valoir au bureau québecois de l'impôt sur le revenu. Le bureau répondit qu'il prendrait la protestation en considération. Et si nous devions plus tard être condamnés à payer, la somme serait augmentée d'un intérêt de 8 pour cent par année. Cela ferait à l'heure actuelle un autre deux à trois mille pias­tres en intérêts, environ $11,000.

Décision de ministre

Or, le 21 janvier de cette année, le sous-ministre du revenu, M. C. H. Elliott, écrit à M. Even que son appel a été soumis au Ministre et que les factures sont maintenues :

"L'Honorable Ministre du Revenu national, après avoir dûment examiné les faits invoqués dans les avis d'appel, et les matières y affé­rentes, ratifie, par les présentes, lesdites coti­sations, vu la disposition de l'article 47 de la loi de l'impôt de guerre sur le revenu à l'effet que le ministre n'est lié par aucune déclara­tion ou aucun engagement fourni par un con­tribuable ou en son nom ; et nonobstant ces déclarations ou renseignements, le ministre peut déterminer le montant de l'impôt qu'une personne doit payer ; en l'absence de registres de comptabilité et de preuves suffisantes et après enquête, et vu tous les faits, le ministre a, conformément à l'article 47, déterminé le montant d'impôt à payer par le contribuable pour les années 1941 et 1942. En conclusion, vu les raisons de droit ci-dessus alléguées et les autres dispositions de la Loi de l'impôt de guerre sur le revenu et de la Loi sur la taxa­tion des surplus de bénéfices, lesdites cotisa­tions sont ratifiées."

Décision dictatoriale

On remarquera la belle expression : "Le ministre n'est lié par aucune déclaration ou renseignement fournis par le contribuable, il peut déterminer lui-même le montant de l'impôt qu'une personne doit payer."

C'est conforme à l'article 47 d'une loi adoptée par le parlement démocratique d'Ottawa. Voilà à quoi servent nos députés !

Le sous-ministre ajoute que, si nous voulons poursuivre l'appel en Cour d'Échiquier, il faudra commencer par déposer $400 sur la table pour frais anticipés de cour, et ce sera à nous de faire la preuve. Le ministre dicte sa décision et se dispense de l'établir sur des arguments : c'est au contribua­ble qu'incombe le fardeau de la preuve. Belle démocratie !

Sur quels calculs se base-t-on ?

Il a été impossible, jusqu'ici, de savoir par quels calculs le comptable du bureau de l'impôt est arrivé, à conclure que Vers Demain avait des pro­fits et des sur-profits en 1941 et en 1942. Lors de la première protestation, M. Grégoire demanda le dossier ; on lui répondit que ce n'était pas l'habi­tude de fournir les dossiers.

N'importe quel comptable sérieux ne peut s'em­pêcher de rire aux éclats lorsqu'on lui dit qu'un

journal qui fournit 24 numéros par année, avec le seul abonnement d'un dollar par année, sans aucu­ne annonce payée, peut fournir des profits à son entrepreneur.

Qu'est-ce qu'un profit ?

Les profits commencent lorsqu'il reste quelque chose après toutes les dépenses courantes et après allocations pour les effets à payer.

Vers Demain a des recettes et des dépenses. Vers Demain ne fait crédit à personne et n'achète rien à crédit ; il paie toujours comptant.

Mais, à n'importe quel moment, Vers Demain a tout de même une dette pendante : c'est la dette envers les abonnés. En recevant la piastre de l'abonnement annuel, Vers Demain s'engage à fournir 24 numéros à l'abonné.

Le service de ces 24 numéros est évalué à une piastre, et nous aimerions savoir quelle entreprise peut le faire à moins sans entrer en liquidation.

Lors donc qu'un abonné a reçu son journal pen­dant six mois, par exemple, le journal lui doit en­core pour 50 sous de service.

Si, à un moment donné, le journal a 30,000 abonnés en règle, à certains de ces abonnés il est encore dû le service de 22 numéros ; à d'autres, 20 ; à d'autres, 18 ; à d'autres, 16 ; et ainsi de suite, selon l'ancienneté de leur abonnement. 

On peut dire qu'en moyenne, c'est six mois de service, donc $15,000 pour 30,000 abonnés, qui constituent la dette de Vers Demain envers ses abonnés.

Si, à ce moment-là, Vers Demain n'a pas $15,000 en caisse, non seulement il ne fait pas de profit, mais il est en déficit. S'il devait cesser ses opéra­tions et rembourser ce qu'il doit, il lui faudrait $15,000. S'il n'a que $10,000 en caisse, il ne pour­rait rembourser que 66 cents dans la piastre.

Si l'on prend cela en considération ; si surtout l'on sait que, en 1941, la montée de l'abonnement fut le fait principalement des six derniers mois, et que la dette moyenne représentait par conséquent beaucoup plus que le service de 6 mois, Vers De­main n'a jamais été dans un état de profits.

Où sont allés les profits ?

Le comptable de l'impôt sur le revenu, qui a pris dix-huit mois pour examiner nos livres et nos chè­ques, pourrait-il nous dire où sont allés les profits ?

S'il y a eu profits, ils ont bien dû se loger quelque part, puisque si, aujourd'hui, Vers Demain devait fermer ses portes et rembourser ce qui reste dû à chaque abonné, il ne pourrait même pas rembour­ser 50 sous dans la piastre.

Où sont les actionnaires de Vers Demain ? Quand Vers Demain a-t-il déclaré un sou de dividende à des actionnaires ?

Entreprise politique

Il y a plus. Vers Demain est, non seulement l'or­gane, mais le pivot du mouvement créditiste dans la province de Québec.

La vie de Vers Demain est liée à la vie du mou­vement. Si le mouvement tombe, Vers Demain tombe.

Aussi, dès qu'il y a des fonds disponibles, venus soit par l'abonnement, soit par des contributions gracieuses, ces fonds sont employés à promouvoir le mouvement, par une méthode ou par une autre. Aussi, la direction de Vers Demain, qui est en même temps la direction de propagande du Crédit Social, emploie tous les fonds qu'elle peut à promouvoir le mouvement créditiste. Elle ne garde en caisse qu'un certain montant comme fonds de rou­lement et comme sécurité pour la dette aux abon­nés ; elle garde même moins qu'il faut, comme nous le disions tout à l'heure.

Les fonds de Vers Demain deviennent donc assi­milables à une caisse de parti politique. Or, quand a-t-on vu le gouvernement mettre son nez dans les fonds des partis politiques et les taxer d'un impôt sur le revenu ?

Quand bien même Vers Demain aurait eu en caisse, en 1941 et 1942, plus d'argent qu'il en fallait pour répondre de la dette envers les abonnés, il devait garder ces fonds, pour maintenir le mouve­ment créditiste en marche. Il devait prévoir les élections de 1944 et 1945 ; car, si le mouvement créditiste n'avait pas participé à ces élections, ses adhérents le quittaient, le mouvement tombait, et Vers Demain disparaissait.

Injustice flagrante

C'est pourquoi nous disons que le gouvernement d'Ottawa veut simplement tuer Vers Demain. Ce ne sont pas des taxes sur les profits qu'il cherche (il n'y a pas de profits). C'est la finance nécessaire à la vie même de Vers Demain, et à la vie du mou­vement créditiste duquel dépend Vers Demain, qu'Ottawa essaie de rafler.

C'est une injustice flagrante. Ottawa ne traite point ainsi les partis politiques.

À titre de responsables du mouvement créditiste, et du mouvement de l'Union des Électeurs, que sert Vers Demain, nous refusons péremptoirement de laisser le gouvernement fédéral voler nos crédi­tistes et nos 45,000 abonnés du Canada français.

L'Institut, propriétaire

On sait que l'Institut d'Action Politique est le propriétaire déclaré du journal Vers Demain de­puis l'été dernier. L'Institut était propriétaire de fait bien avant ce temps-là, puisque ce sont les membres de l'Institut qui ont monté gratuitement Vers Demain depuis le mois d'avril 1940. Mais l'Institut n'était pas incorporé, et, en attendant, il confiait à M. Even le soin d'agir comme pro­priétaire devant la loi.

M. Even agissait au nom d'un Institut non in­corporé, mais entreprise absolument bénévole et sans profit, comme l'a bien démontré la Charte d'incorporation demandée et obtenue en avril 1945.

Eh bien, le gouvernement fait comme si M. Even avait été propriétaire, sur base d'entreprise à profit, du journal Vers Demain.

Pourtant, lorsque, par une résolution de l'Ins­titut, passée en juillet dernier, l'Institut incorporé est devenu officiellement propriétaire déclaré de Vers Demain, M. Even n'a pas touché un seul sou de ce transfert de titres.

Peut-on concevoir qu'un homme qui serait pro­priétaire d'une entreprise et en tirerait des profits et des excédents de profits, passerait cette entre­prise à un autre ou à un groupe sans demander une compensation ?

Le plus vite le Ministère du Revenu ou ses bu­reaucrates reconnaîtront leur complète aberration, le mieux cela vaudra pour eux. Nous n'avons point l'intention de ramper devant un chantage aussi effarant.

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