Les taxes sont un fléau

Louis Even le mardi, 01 janvier 1963. Dans Les taxes actuelles sont un vol

Les taxes actuelles sont un vol — Chapitre 1

L'impôt, les taxes, soulèvent la réprobation générale, dans tous les pays. — Les taxes causent la vie chère : elles haussent les prix et diminuent le pouvoir d'achat des individus — Visibles ou cachées dans les prix, les taxes frappent les pauvres comme les riches. — La perception des taxes enrégimente des hommes libres et leur vole un temps précieux.

Les taxes, universellement détestées

Personne n'est bien en amour avec les taxes. Certainement pas ceux qui les paient. Et ceux qui les perçoivent ne le font pas pour se rendre populaires.

Les gouvernements peuvent essayer, d'une année à l'autre, de varier, d'amender leur formule de fiscalité, déplaçant un impôt, diminuant l'un, grossissant l'autre, voilant ou diluant la dose, ils n'arrivent jamais à satisfaire la multiplicité des payeurs de taxes. Il suffit, pour s'en convaincre, de lire les commentaires des divers journaux (sauf les chantres forcés du parti au pouvoir), après chaque présentation du budget annuel par le ministre des finances.

Cette amertume contre la fiscalité n'est pas bornée au Canada. Les pays civilisés ont tous adopté la taxation pour la finance de l'administration et des services publics ; et dans tous les pays civilisés, on se plaint du même fléau. Aucune réforme de la fiscalité ne donne satisfaction.

Pierre Berton écrit, dans un hebdomadaire de Paris (La Grande Relève) :

 « Tout le monde est d'accord pour condamner la fiscalité, ses abus, ses injustices, son désordre, son inorganisation.

 « Que l'on s'en avise ou non, c'est l'impôt lui- même qui se trouve ainsi condamné à l'unanimité. La meilleure et la plus populaire des réformes serait son abolition. »

Mauvaise réputation bien méritée

La mauvaise réputation des taxes n'est pas surfaite. Bien au contraire. Les taxes seraient encore bien plus détestées, si les gens qui ne paient pas beaucoup de taxes directement comprenaient les contre-coups, pour eux-mêmes, des taxes payées par d'autres.

Madame X n'est pas riche. Son mari fait un salaire trop petit pour l'impôt sur le revenu. Mme X ne paie que la taxe de vente, quand elle achète du linge, des chaussures, etc., pour ses enfants. Elle peste contre le 2 pour cent ou 4 pour cent de taxe de vente que lui charge le marchand. Elle ne dit rien contre le 40 pour cent qu'elle paie à cause des taxes payées par les producteurs, les entreposeurs, les camionneurs, les marchands de gros et de détail, etc.

Dites à Madame X que la vie est chère. Elle est la première à le savoir. Mais elle ne songe à en accuser que le marchand, ou tout au plus le manufacturier.

Monsieur Y, ouvrier, tempête lui aussi contre la vie chère : les prix font un pied-de-nez à son salaire.Mais il ne s'en prend qu'à l'avarice de son patron. C'est le salaire qui fait défaut ! Ni lui, ni son syndicat, ne semblent penser à s'en prendre aux taxes, qui pèsent sur le patron comme sur l'ouvrier. Que de réclamations contre le patron seraient bien mieux dirigées contre le gouvernement !

Diminution du pouvoir d'achat

Le premier effet désagréable d'une taxe, c'est bien d'enlever du pouvoir d'achat. Pas besoin de le démontrer au taxé, quand il s'agit d'une taxe personnelle, comme l'impôt sur le revenu.

L'argent que vous envoyez au gouvernement, ou que le gouvernement fait prendre dans votre enveloppe de paye avant même que vous en voyiez la couleur, cet argent-là vous ne l'avez plus. Vous ne pouvez pas vous en servir pour acheter.

Pas besoin de preuve, non plus, pour la taxe de vente au comptoir du détaillant.

Le Montréalais qui achète un complet de $70.00 doit le payer $74.20, à cause de la taxe de vente de 6 pour cent.

Avec ce $4.20 additionnel, il aurait pu se procurer deux paires de bas. La taxe lui enlève le pouvoir d'achat de deux paires de bas.

Un poison qui envenime les prix

La ménagère qui crie contre la taxe de vente ajoutée sur la facture du marchand, sait moins que plusieurs autres taxes, beaucoup plus grosses, sont dissimulées dans cette même facture.

Ces autres taxes-là s'attirent moins de malédictions, parce qu'elles sont invisibles ; mais elles font beaucoup plus de mal.

Prenez le cas de la taxe de vente fédérale de 10 pour cent, chargée au niveau de la manufacture. C'est déjà énorme, 10 pour cent ; mais comme la taxe est imposée au commencement de la chaîne, elle fait boule de neige avant d'atteindre le consommateur.

Si un manufacturier vend pour $100 de produits à un grossiste, le grossiste doit payer $110 : $100 pour le manufacturier, $10 pour le gouvernement fédéral.

Le grossiste ne fait aucune difficulté, parce qu'il inclura simplement ce $10 dans son prix quand il revendra au détaillant. Le grossiste ajoute son profit, disons 20 pour cent.  Au lieu d'être 20 pour cent sur $100, c'est 20 pour cent sur $110, soit $22. Total, $132.

Le détaillant devra payer au grossiste $132 ce qu'il aurait payé $120 sans la taxe fédérale. Le $10 est déjà devenu $12.

 Rendu au consommateur, après une succession de pourcentages ajoutés, le $10 du début pourra être rendu à $15, ou davantage.

 Mais, dans la facture passée à l'acheteur, cette taxe ne parait plus. Il n'y a plus que « prix » et quand c'est le mot « prix », l'acheteur mécontent grogne contre le marchand. « Taxe » ferait penser au gouvernement ; « prix » ne fait penser qu'au marchand.

Tout le monde est frappé

Lorsque les petits demandent de mettre les taxes sur les épaules du gros, ils pensent se protéger. Ils s'illusionnent simplement. Ce sont les gros qui font les prix pour les petits : ils incluent bel et bien dans ces prix ce qu'ils ont payé, ou devront payer, au gouvernement.

Même si la taxe ne doit être payée qu'après la vente des produits — comme la taxe sur les profits, ou la taxe sur le revenu de l'homme d'affaires — il est facile de prévoir le volume des ventes et de calculer d'avance ce qu'il faut ajouter au prix, pour couvrir à la fois la part du gouvernement et le profit net à garder.

Par exemple, si la compagnie de téléphone Bell veut avoir 14 millions de plus de profit pour faire face aux extensions et améliorations de services, elle calcule son tarif pour avoir 25 millions de plus au lieu de 14 millions. Pourquoi ? Parce qu'elle sait que, sur une augmentation de 25 millions, le gouvernement prendra en taxes 11 millions, ce qui lui laissera les 14 millions voulus. Résultat : 14 millions à la compagnie, 11 millions au gouvernement, 25 millions pour le client.

Croyez-vous que le gouvernement puisse sincèrement faire opposition à l'augmentation de tarif ? Plus la compagnie pompe, plus grosse est sa part à lui-même.

Mais le client ne voit que le tarif et ne blâme que la compagnie.

Quand les gros ont inclus les taxes dans les prix, les ouvriers, affolés non par les taxes mais par les prix, réclament des hausses de salaires. Leur force syndiquée peut les obtenir, mais ces hausses passent à leur tour dans les prix, et le consommateur paie. Il paie le tout. Ce que l'ouvrier a gagné comme salarié, il le perd comme consommateur. La spirale est sans issue.

La solution est ailleurs : elle est dans la correction du système financier générateur de taxes.

Bureaucratisation

La perception des taxes n'occupe pas rien que les employés du ministre du revenu ou du ministre des finances. Elle enrégimente comme fonctionnaires les manufacturiers, les employeurs, les marchands, les restaurateurs et les hôteliers (pour la taxe sur les repas), les cultivateurs eux-mêmes.

À tous, elle prend un temps précieux à faire de la comptabilité pour le gouvernement. De tous, elle fait des percepteurs d'impôt à chaque vente de produits ou de services qu'ils font à leurs clients.

Les taxes sur les salaires, à la source, font du patron un percepteur de taxes pour le gouvernement fédéral.

 La taxe de vente fédérale, de 10 pour cent, chargée à la manufacture, fait du manufacturier un percepteur de taxes pour le gouvernement d'Ottawa.

 La taxe de vente provinciale, d'au moins 2 pour cent partout, de 4 pour cent dans la plupart des villes, portée à 5 pour cent par plusieurs municipalités, fait du marchand détaillant un percepteur de taxes pour le gouvernement de Québec et pour le conseil municipal de sa ville.

 La taxe sur les repas fait du restaurateur et de l'hôtelier un percepteur de taxes pour le gouvernement provincial.

 Ce surcroît de travail et de tracas pour eux est autant d'enlevé au service de choses plus utiles. Comme s'ils n'avaient pas déjà assez des soucis et de la responsabilité de leur propre entreprise !

Quand bien même l'élimination des taxes et l'institution d'un autre mode de financement de la chose publique n'aurait pas d'autre effet que de libérer de ces carcans, de la paperasserie du gouvernement, des investigations de ses bureaucrates de la taxe, ce serait déjà un gros avantage. On n'a qu'à en causer un peu avec son marchand pour s'en convaincre.

Louis Even

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