Les Affaires d'Alberta

Louis Even le lundi, 01 novembre 1937. Dans Cahiers du Crédit Social

Les affaires d’Alberta ont pendant quelque temps alimenté les commentaires de la presse. Les grands journaux, dont la finance coalisée tient les cordons de la bourse, ont loyalement rempli leur office de valets. Mais comme ils ont agi avec un empressement et une unité de sentiments remarquables, il est bien des lecteurs qui se sont demandé s’il n’y avait pas directive organisée là-dessous. Nulle autre question, ni nationale, ni religieuse, n’a jamais si vite et si efficacement mis en branle tant de forces journalistiques. II fait plaisir au milieu de tout ce fracas de lire les lignes suivantes extraites du “Droit”, d’Ottawa :

“Le problème soulevé par l’attitude du gouvernement Aberhart est beaucoup plus vaste qu’une simple question de procé­dure et de juridiction. Il s’agit de la lutte pour libérer le peuple de l’emprise de la haute finance et du libéralisme économique. Il s’agit de donner aux valeurs humaines leur véritable place dans l’économie d’un peuple. Ce que veut le Crédit Social, c’est une économie humaine, une économie qui adapte les biens matériels et le crédit de la nation à l’homme et qui ne le subordonne point à la dictature égoïste de la finance”.

L’article était signé par M. Camille L’Heureux.

Son homonyme de “L’Action Catholique”, de Québec, M. Eugène L’Heureux, consacrait plus récemment, à la suite du dernier faisceau de lois albertaines, un article qui se termine par ces ré­flexions :

“Tout ce qui nous intéresse dans l’imbroglio albertain, c’est donc le spectacle d’un chef d’État qui entreprend pour vrai la lutte avec la Haute Finance. Ça, c’est intéressant, parce trop rare.

“Même s’il a beaucoup de défauts, Aberhart aura le mérite de nous avoir donné un beau spectacle : la réaction contre la domination de l’argent.

“Si cette réaction ne s’organise pas dans tous les pays capitalistes, le régime capitaliste succombera bientôt sous le poids de ses propres abus.”

Voilà tout de même au moins deux journaux qui ne paradent pas à la cadence de la grosse caisse. Le raisonnement y gagne. C’est réconfortant.

Voici maintenant ce que, après le désaveu désormais historique, nous écrivions nous-même dans “L’Homme Libre”1, de Saint-Hyacinthe :

Les événements se sont précipités plus vite que ne le ré­clamaient même les porte-voix ordinaires des gros intérêts.

Le désaveu des lois albertaines par le gouvernement fédéral confirme l’opinion de ceux qui voient dans le gouvernement central d’Ottawa l’organisme dont le premier soin semble être de maintenir ses administrés dans la voie “orthodoxe” de la dépendance absolue vis-à-vis de la bancocratie.

Deux philosophies sont aux prises : celle qui veut soumettre les choses matérielles, même la finance, à l’homme, et celle qui veut courber l’homme devant les puissances financières. La première est affichée par le gouvernement d’Alberta ; la seconde trouve ses protecteurs dans le gouvernement King-Lapointe-Dunning.

Nous ne plaçons pas le point final de notre phrase après King, parce qu’il nous répugne de croire que son idée personnelle ait prévalu. Dans ses discours électoraux, même dans celui qu’il pro­nonça le soir de son triomphe, ne déclarait-il pas explicitement que le contrôle du crédit doit être affaire de l’État, sinon la démocratie est vaine ? On connaît la suite depuis octobre 1935. Administration d’enchaîné, démocratie vaine.

La légère modification que Dunning a introduite dans la ré­partition des actions de la Banque Centrale a-t-elle changé quelque chose au statut du consommateur canadien ? Le pouvoir d’achat de la collectivité des consommateurs est-il monté au niveau de la pro­duction offerte à cette collectivité des consommateurs ? Et qu’est-ce donc qui compte en définitive si ce n’est le rehaussement du niveau de vie des hommes et des femmes du Canada ? A-t-on vu cesser le non-sens de produits invendables, de production tuée dans sa source par le chômage des hommes et des machines, alors que les besoins pullulent ?

Le monopole privé du crédit n’y a pas perdu un iota de sa puis­sance, aussi n’a-t-il pas manifesté l’ombre d’une résistance.

Parce que le fédéral ne fait rien que se laver les mains devant “les suites de la guerre, les changements dans l’échelle des prix, les bouleversements du commerce mondial, la crise prolongée” (King) — parce qu’il ne fait rien, si ce n’est de se réjouir quand grossissent les dividendes des compagnies (Dunning) et d’envoyer ses ministres chercher des consommateurs à Berlin, à Sydney, à 5,000 milles et plus, alors que les consommateurs canadiens sont réduits à la privation — à cause de cette incurie d’Ottawa, l’Alberta veut prendre les moyens d’instaurer dans ses frontières une économie plus humaine.

“Nous demeurons unis an peuple de tout le Canada, dit Aberhart, mais nous exigeons le droit de voir au bien-être du peuple de cette province”. On consent à lui laisser ce droit, à condition » qu’il ne l’exerce pas. “Hands off Alberta”, disait King quand l’Alberta ne faisait que de la théorie — mais “Hands upon Alberta” dès que la province passe au domaine de la pratique.

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que quand un peuple ne possède que $80,000,000 de pouvoir d’achat avec, sur les épaules, une dette de $400,000,000, il n’est guère en mesure de profiter des richesses dont la Providence a gâté sa province, à moins de rompre les chaînes qui l’empêchent d’agir. Il y a les critiques, ceux qui blâment toujours le mouton que le loup dévore, et qui vont dire : Pourquoi cette dette ?

Pourquoi, en effet ? Pourquoi, à mesure qu’une population travaille à développer ses ressources naturelles, sa dette publique croît-elle toujours ? Pourquoi, non seulement en Alberta, mais chez tous les civilisés, la création de richesse est-elle représentée par un passif envers des gens qui ne produisent rien, qui ne font que manipuler des chiffres ? Pourquoi le travail continuel des masses, pourtant secondé par les progrès de la science appliquée, aboutit-il à la servitude constante de ces masses envers la petite clique parasi­taire qui contrôle les activités et en rafle les fruits ?

“Notre loi, écrit Aberhart, est rédigée pour accomplir la volonté clairement exprimée du peuple, et en même temps elle va forcer la tyrannie financière à se révéler telle qu’elle est, si elle ose s’op­poser”.

La tyrannie financière s’est opposée, mais elle n’a pas eu la peine d’entrer elle-même ouvertement sur le terrain. Elle a bien henni son mécontentement dans les colonnes des grands journaux, mais le gouvernement suprême du Canada s’est hâté d’intervenir pour protéger les intérêts de sa maîtresse. “Nous sommes prêts, dit l’homme d’état d’Edmonton, à rencontrer l’opposition des puis­sances d’argent, mais nous ne nous attendions pas à rencontrer aussi celle du gouvernement fédéral”.

Naturellement, les politiciens qui se prosternent ont soin de masquer la statue de l’idole et de brandir une bannière respectable. Ils refusent de considérer la partie comme une revendication des droits d’un peuple conscient de son immolation, et ils n’agitent que le spectre de la constitution violée, des prérogatives fédérales lé­sées. Si le fédéral exerçait ses prérogatives au lieu de les abandon­ner aux banques, l’harmonie serait vite établie, la lutte se ferait encore contre la tyrannie financière, mais cette fois par un gou­vernement central devenu — chose nouvelle— champion des intérêts du peuple.

Le “Star” de Montréal, comme d’ailleurs maints satellites... se sont évertués à répéter que le système bancaire relève exclusive­ment du fédéral, assimilant les banques aux postes et aux douanes, dans lesquelles un gouvernement provincial n’a rien à voir. La comparaison nous amuse un peu. Nous comprenons que les préposés aux postes et aux douanes sont des fonctionnaires du gouvernement fédéral, mais nous aimerions qu’on nous dise que les banques sont aussi des employées d’Ottawa ; nous avions toujours cru l’exact contraire : le mode de finance publique nous a habitués à prendre les gouvernants pour de simples commis des banques.

Les banques ont des chartes fédérales, oui. Des compagnies commerciales ont aussi des chartes fédérales, et lorsque le chef de l’opposition provinciale de Québec le rappelait au premier-ministre à l’occasion de la récente loi des compagnies, l’Honorable Duplessis lui répondit fort à propos : “Nous ne toucherons pas à leurs chartes, mais si elles ne veulent pas se plier à notre législation provinciale, qu’est-ce qui nous empêche de leur interdire l’exploitation des res­sources de la province” ?

Rapprochez de la déclaration de l’Hon. Lucien Maynard, de l’Alberta : Que les banques plient et se mettent au service du peuple de la province en observant notre loi, sinon qu’elles ferment leurs portes et s’en aillent.

Mais les compagnies qui font le commerce de l’argent — lisez “les banques” — jouissent d’un traitement de faveur, parce que ceux qui contrôlent la monnaie d’une nation contrôlent la nation.

Le parfait ensemble avec lesquels tous nos grands journaux — même quelques feuilles de second ordre — ont battu pavillon pour les banques menacées de “persécution” mérite d’être remarqué. Nous avons cueilli quelques notes intéressantes dans le déploiement de ce patriotisme nouveau genre.

Le “Star” voit un “political motive” dans la manœuvre d’Aberhart. Si la politique consiste, pour un gouvernement, à prendre les moyens d’accomplir la volonté de ses commettants, l’expression est heureuse ; mais évidemment, ce n’est pas dans cette atmosphère élevée qu’évolue le “Star”, malgré son nom, et sa vertu s’offense de l’indocilité d’un peuple qui a perdu tout respect pour les pilleurs publics “Bien des choses faites là-bas, écrit le journal, ont outragé le sens de la décence et de l’honneur qui gouvernent le reste d’entre nous”. Savoureux !

La “Presse” y va avec beaucoup moins d’esprit. Elle ne trouve rien de mieux à dire que “après tout, est-ce là faute du Fédéral si le Crédit Social est une utopie irréalisable ?” Irréalisable, en effet, la distribution de l’abondance, tant qu’on laissera jouer le système financier actuel ; les mannequins succéderont aux mannequins sur la scène de la “démocratie vaine” et la “Presse” pourra trouver grande satisfaction dans la perpétuation de la bêtise réalisée d’une pauvreté abjecte sur une montagne de richesse.

Ceux qui ont rédigé les trois lois de l’Alberta peuvent se félici­ter d’avoir pour le moins trouvé une arme efficace. Le “Star” le laisse entendre, pour peu qu’on sache l’interpréter, lorsqu’il de­mande au Fédéral d’agir promptement, parce que “ces lois, en peu de temps, produiraient une somme immense de mal irrémédiable”, — parce qu’en peu de temps elle briserait irrémédiablement la tyrannie financière.

Nous prions, non seulement les créditistes du Québec, mais tous ceux qui cherchent la fin de la dictature implacable de la haute finance, ceux qui réclament la décentralisation des pouvoirs et une plus grande autonomie provinciale, d’avoir l’œil ouvert, de se servir de la tête qu’ils portent sur leurs épaules, de ne pas se croiser les bras pendant qu’on nous forge des chaînes de plus en plus solides. À l’heure même où se déroulait le duel rapide entre les champions et les étrangleurs de la démocratie, une simple insertion dans les journaux nous apprenait la nomination par Ottawa d’une Commission Royale chargée d’étudier les bases financières et économiques de la Confédération, afin de suggérer les modifications en rapport avec les besoins nouveaux.

“Ce bloc enfariné ne nous dit rien qui vaille”.

Le fait que le Fédéral a fait son choix lui-même, sans consulter les provinces, que nous sachions, laisse deviner le résultat cherché. À peine cette nouvelle publiée, la “Cité” s’en réjouit. (On sait que la “Cité” est le centre financier de Londres, ou mieux de l’empire britannique).

La haute finance n’est pas lente à faire sentir sa pression. Lisez les dépêches du 17 août à la presse associée : “Le point de vue de Londres est que cette Commission Royale doit conduire éventuellement au contrôle, par le gouvernement fédéral, des pou­voirs d’emprunts des provinces”.

Ce n’est pas précisément le pouvoir d’emprunt que nous, Créditistes, tenons à défendre, car nous avons soupé du régime absurde d’acheter par une dette le droit d’utiliser un bien qui nous ap­partient ; mais nous croyons qu’il est impossible pour une province de sauvegarder les droits civils de ses citoyens tant que son crédit reste sous le contrôle de tyrans protégés par le gouvernement fé­déral.

∗ ∗ ∗

On nous pose souvent la question : Aberhart va-t-il réussir ? À quoi nous répondons : Aberhart représente-t-il, oui ou non, la volonté de la majorité du peuple albertain ? Si oui, si le peuple est derrière lui, si ce qu’il poursuit est la volonté exprimée du peuple de sa province, pourquoi ne réussirait-il pas ? Croyez-vous que tout un peuple, qui a pris la peine d’étudier un problème qui le serre de près, se trompe d’un bout à l’autre et demande quelque chose d’im­possible ? Il suffit qu’une chose soit possible et que la majorité la réclame pour qu’elle devienne exécutable. Le public n’a même pas à se prononcer sur les moyens, sur le mécanisme, sur les méthodes. Ce sont les résultats qu’il demande, et ses représentants doivent ré­unir les expertises nécessaires pour lui donner ces résultats.

Certains vont sans doute riposter que, si le peuple demande la lune, on ne peut la lui donner. Ça prend des ignorants qui n’étudient jamais leurs problèmes, doublés d’exaltés, pour de­mander la lune — comme ça prend des imbéciles pour s’imaginer que la population studieuse d’Alberta est dans ce cas-là. Et certes, quand on demande la distribution de l’abondance qui se gaspille sous nos yeux, ce n’est pas la lune, quoi qu’en dise (je ne dis pas quoi qu’en pense — le pense-t-il ?) un certain abbé de Sherbrooke auquel nous faisons allusion ailleurs.

Même si le peuple albertain demande spécifiquement $25.00 par mois assurés à chaque citoyen, si c’est la volonté générale du peuple, cela veut dire qu’il veut voir les nécessités de la vie assurées à chaque citoyen avant que quiconque ait plus que le nécessaire. Si cela ne peut pas se faire, dans quel siècle sommes-nous ? Si, après que le strict nécessaire a été assuré à chacun, ce qui est tout à fait conforme avec la saine philosophie, il n’en reste pas assez pour une bonne mesure de confort et d’aisance à chacun de ceux qui con­tribuent à la production, selon les valeurs respectives, nous ne com­prenons plus rien à la technique et au progrès. Ce  $25.00 n’est, après tout, qu’une manière pour la société de s’acquitter d’un devoir qui lui incombe. On peut suggérer d’autres manières : laquelle emploie-t-on aujourd’hui ? Répondez, Monsieur l’abbé.

La population albertaine a-t-elle persévéré dans sa demande ? A-t-elle encore confiance que le gouvernement Aberhart peut la satisfaire ? Si le peuple retournait aux urnes aujourd’hui, s’expri­merait-il de la même manière que le 22 août 1935 ?

On comprendra qu’il est difficile de donner une réponse in­faillible à ces questions. Nous ne pouvons juger que par ce qui perce dans les événements et par ce qu’expriment les organismes locaux de là-bas qu’on peut croire renseignés. Il y a un mois, nous recevions la visite d’un ami de Saint-Boniface (Manitoba). Pour ce qui concerne le Manitoba, nous dit-il, les événements récents d’Alberta ont considérablement accentué le mouvement en faveur du Crédit Social. Les gens se sont aperçus qu’il s’agissait d’une lutte entre le peuple et la tyrannie financière, entre l’homme et l’argent. Par ce qu’apprenait un commerçant dans ses relations avec des cor­respondants ou avec des visiteurs, tout l’ouest penche de plus en plus du côté des champions du peuple et la fameuse déclaration de Mackenzie King est citée à profusion : “Le Canada doit faire face à une grande bataille entre les puissances financières et la puissance du peuple”. On remarque partout que l’Alberta et son gouverne­ment ne font que prendre, dans cette bataille, la place si prompte­ment et si lâchement désertée par le chef fédéral extérieurement déterminé à conduire la lutte du peuple lorsqu’il briguait la majo­rité pour son parti en octobre 1935.

Doutant, non sans raison, des opinions exprimées par ses con­frères de la grande presse d’Ontario et du Québec, le “Financial Post” de Toronto a conduit une enquête près des hebdomadaires de l’Alberta, jugeant les hebdomadaires locaux mieux renseignés sur l’opinion publique de leur entourage que des journalistes qui écri­vent à Montréal ou à Toronto sous l’inspiration de dépêches éma­nant des chambres de commerce de Calgary ou d’Edmonton et de quelques autres associations également inspirées par la grande finance. On n’accusera pas le “Financial Post” d’être pro-créditiste ; voici pourtant ce qu’il a dû constater :

“Il est significatif, écrit le ‘Financial Post’, que, malgré que 95 pour cent des éditeurs de journaux hebdomadaires de l’Alberta soient opposés à Aberhart et ne croient pas le Crédit Social pratiquable, trois d’entre eux seulement concèdent une chance de battre le gouvernement s’il y avait un appel immé­diat au peuple, et pas un seul n’en a la confiance absolue”.

Significatif, en effet. Cinquante-sept hebdomadaires sur soix­ante, sans être favorables à Aberhart, sont convaincus que son gou­vernement serait réélu avec une écrasante majorité, et trois seulement entrevoient la possibilité de le battre à condition de réunir toutes les forces opposées (avec l’appui de la finance, assuré à l’op­position), et encore ces trois sur soixante doutent du résultat.

Nous laissons à nos lecteurs le soin de tirer leurs conclusions et de penser ce qu’ils voudront des affirmations de nos grands jour­naux, situés à plus de deux mille milles du champ de bataille.

Pourquoi, alors, vont dire quelques-uns, pourquoi Aberhart ne fait-il pas immédiatement un appel au peuple pour confondre ses détracteurs ?

Et pourquoi le ferait-il ? Puisqu’il n’a aucun doute, bien au contraire, que la volonté du peuple, exprimée comme jamais un électorat ne l’a exprimée, il y a deux ans, est la même, intensifiée, aujourd’hui, pourquoi retarder l’action si bien commencée et ravi­ver les luttes intestines et les occasions de corruption que ne man­queraient pas de multiplier des ennemis bien en argent ? La satis­faction de la volonté du peuple est autrement importante que la gloriole d’un nouveau triomphe électoral, et Aberhart ne retournera au peuple que si la conduite de la guerre l’y oblige absolument.

Mais le gouvernement albertain ne doute-t-il pas de la possibilité d’instaurer le crédit social dans sa province quand le fédéral se hâte de mettre des bâtons dans les roues dès qu’il fait quelque chose qui compte réellement ?

À l’heure où nous écrivons ces lignes, M. Byrne est en mer, en route vers l’Alberta. On sait que M. Byrne est un des deux ex­perts envoyés en Alberta par la major Douglas pour conseiller le gouvernement d’Edmonton dans la mise en train d’un régime créditiste. Le gouvernement albertain a nommé une commission de crédit pour l’administration du crédit social de la province et, au mois de septembre, c’est-à-dire après la passe d’armes avec un fédé­ral au service de l’ennemi, il nommait M. Byrne président, pour dix ans, de la Commission de crédit. Est-ce une marque de doute ou de certitude du succès de la part du gouvernement Aberhart ? S’il ju­geait la partie impossible, déplacerait-il M. Byrne d’Angleterre, avec sa famille, en lui confiant un poste pour dix ans ? Et ce M. Byrne venait de passer plusieurs semaines sur les lieux, en pleine tour­mente. Il était à même de juger des possibilités ou non de succès. Or il accepte de résigner une excellente position en Angleterre et de déménager au Canada avec sa famille, sans autre chose en vue que le poste offert à Edmonton. Voilà qui est encore “significatif” et ne nous laisse guère de doute sur la mentalité prédominante en Alberta. On fera l’opposition que l’on voudra, dans les milieux in­téressés ou soumis ou ignorants, aux lois que le gouvernement d’Alberta juge devoir passer pour accomplir la volonté de ses commet­tants, c’est cette volonté qui finira par triompher.

Nous disions un peu plus haut que pas un autre électorat n’a jamais aussi clairement exprimé sa volonté. Qu’on nous dise, en effet, ce qu’a demandé le peuple aux élections fédérales de 1935 ou aux élections provinciales, chez nous, de 1936. Un changement d’ad­ministrateurs ? Oui, c’est tout... et c’est tout ce qu’il a eu. Ce n’est pas nouveau et ses déceptions ne peuvent pas être nouvelles. En Alberta, on a demandé la distribution de l’abondance et la sécu­rité économique de l’individu, on l’aura.

Les affaires d’Alberta

Il est très intéressant de lire dans le “Financial Post” les rai­sons données par un des correspondants de l’Alberta pour expliquer le résultat anticipé d’une élection casuelle dans les circonstances. Il en énumère cinq :

Premièrement, la merveilleuse organisation créditiste, qui consiste dans des cercles d’étude répandus par toute la province. (Voilà qui nous servira de modèle et qui nous montre bien la valeur de cercles d’étude pour combattre l’organisation adverse, consis­tant, elle, à tenir l’électorat dans l’ignorance et à faire jouer l’argent des trusts un mois avant les élections.)

Deuxièmement, le fait qu’il y a plus de monde dans la misère ou sur la verge de la misère qu’il y en a soit dans l’aisance, soit dans une prospérité passable (Fameux coup d’encens au régime actuel !)

Troisièmement, Aberhart est toujours un charmeur et ses auditeurs continuent d’avaler tout ce qu’il leur dit. (Ou bien les Albertains sont des Patagons, ou bien ce qu’on leur dit mérite d’être avalé et, en tout cas, Aberhart n’est donc pas le gros prédicant, lourdaud autant que folichon, que la grande presse a voulu nous présenter.)

Quatrièmement, il a autour de lui un groupe d’hommes qui sont aussi des charmeurs. (Il faudra bien finir par en conclure que le charme vient probablement de la doctrine elle-même, puisqu’elle confère la même puissance dynamique à tous ceux qui la prêchent.)

Cinquièmement, les adversaires du Crédit Social sont encore très désorganisés. (Comment se fait-il que des partis anciens, bien pourvus de fonds électoraux, se soient laissés désorganiser par une masse de gens dans la misère ou sur la verge de la misère, et ne soient pas capables de se reprendre après deux ans de pré­tendus avatars d’un gouvernement d’aventuriers ? Le première­ment donne la réponse : l’étude forme des convictions et les con­victions sont une forteresse redoutable.)

Remercions le grand journal financier de Toronto d’avoir pour une fois servi la cause du Crédit Social et suivons avec intelligence le grand duel qui se déroule en Alberta. Mais gardons-nous de rester inertes, c’est nous, du Québec, avec notre philosophie chrétienne, qui devrions être les champions de la révolte de l’homme contre l’idole argent. Hâtons-nous de liguer nos forces et de prendre, au front, la place qui nous appartient.


Brochure d’Armand Turpin — “LA CRISE ET SON REMÈDE, LE CRÉDIT SOCIAL”

Ni traduction ni importation, mais production de chez nous, en français limpide : 64 pages bien aérées, caractères très lisibles, titres et sous-titres saillants, cou­verture en couleurs où domine le vert de l’espérance. Créditiste dans sa forme comme dans son fond, cette brochure l’est jusque dans son prix, abaissé au niveau du pou­voir d’achat le plus modeste : 10 sous seulement. — Commandez à l’une des deux adresses suivantes : Ligue du Crédit Social de Hull, 210, rue Montcalm, Hull, P. Q. ; Louis Even, Gardenvale, PQ


 

1) “L'Homme Libre” est publié par M. Gérard Brady, à 10 rue Bourdages, Saint-Hyacinthe. C’est un hebdomadaire d’opinions et de combat. Le Directeur nous y accorde chaque semaine un espace généreux pour exposer la doctrine du Crédit Social. Cela nous permet de passer en revue les événements importants pour les Créditistes et les attaques intempestives contre le Crédit Social, avant que les uns et les autres aient pris de l’âge. Nous y donnons aussi une sorte de cours suivi sur le Crédit Social. Le présent numéro des Cahiers reproduit quelques-uns de ces articles, pas tous. Nos lecteurs qui voudraient de la littérature créditistes un peu plus fréquente, surtout si par ailleurs ils s’intéressent au mouvement syndicaliste et corporatiste, ne regretteront pas un cinquante sous envoyé à l’adresse ci-dessus pour un abonnement, d’un an (52 semaines, donc moins d’un sou Je numéro).

 

Louis Even

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