Le machinisme, problème nouveau

le mercredi, 01 mai 1940. Dans Crédit Social

L’introduction de la machine dans le domaine du travail, en renvoyant l’ouvrier chez lui, est une cause de déséquilibre entre le pouvoir d’achat et la production offerte. Le progrès de la technique a transformé la manufacture en machine-facture.

Qu’on maudisse ou qu’on bénisse le fait, il faut admettre que c’est là un progrès. Non seulement on ne peut pas nier qu’il y ait progrès, mais on ne peut même pas faire que ce progrès ne soit pas et n’aille pas toujours de l’avant. C’est une force inéluctable et aussi dynamique que l’intelligence humaine. Les anathèmes, les lamentations ne peuvent rien là-contre. Aussi longtemps qu’il y aura intelligence humaine et que celle-ci sera libre de s’épanouir, le progrès, fera face à l’homme. Voulons-nous donner dans l’utopie ? Essayons d’arrêter la marche du progrès.

Nous, créditistes, nous sommes des rêveurs à ce qu’il paraît. Mais, ici, je m’adresse aux esprits pratiques. Un fait existe : le machinisme, fruit du progrès. Un autre fait existe : le machinisme est une malédiction pour l’humanité.

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En présence de ces deux faits, une question se pose : l’intelligence humaine aurait-elle desservi l’humanité en l’acculant à cette impasse ridiculo-tragique de "la misère en face de l’abondance" ? Ou admettre que l’intelligence humaine a trahi l’homme, ou admettre que l’homme n’a rien compris au progrès. Le dilemme serait palpitant d’ironie s’il n’y avait pas là, en face de nous, le long cri de souffrance de la multitude des humains.

Qui osera ternir la gloire des savants inventeurs des siècles passés ? Qui proposera de mettre sous verrous les génies du jour ? Qui portera l’accusation de trahison contre l’intelligence humaine ? Qui ?... Mais, c’est tous les jours qu’on entend des gens maudire le machinisme. Pour indirecte qu’elle soit, l’injure ne s’adresse pas moins à l’intelligence humaine.

Avouons que ce n’est pas faire montre de réalisme ni de sens pratique que de s’éterniser à chicaner le fait machinisme. S’il est une malédiction, c’est grâce à la bêtise humaine. Le machinisme est né pour être béni des hommes, non pour en être maudit.

Progrès, abondance, misère, force, richesse, pauvreté. Quel paradoxe !... Quelle humiliation pour les pontifes de l’économie actuelle !

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Pour sortir de cet état ridicule, quel remède propose-t-on ? Travail et épargne. Très bien. Mais, la surproduction, qu’en fait-on ? Mais le salaire du travailleur, où le prend-t-on ? Mais l’épargne, où la trouver si le travailleur n’a pas de salaire ?

Travail et épargne, oui, c’est bien la solution qui s’imposait aux siècles qui ont précédé le machinisme. Mais avec celui-ci, il faut autre chose.

Le machinisme est une bénédiction, oui, si on veut admettre qu’il doit améliorer le sort des humains. Mais, pour cela, il va falloir se défaire de certains préjugés, de certains scrupules. Il va falloir admettre que l’aisance pour tous n’est pas une utopie ; que le paupérisme n’est pas un mal nécessaire à la vie de société ni à la vertu de la masse.

Pour que le machinisme soit acceptable et béni des humains, il faudrait ajouter le mot consommation aux mots travail et épargne. Parce que c’est la consommation de la richesse produite qui peut améliorer le sort de la multitude.

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Or, pour qu’il y ait consommation de la richesse, il faut qu’il y ait distribution de la richesse. Et le malheur est que c’est justement quand on parle de distribution de la richesse que naissent les scrupules. Les uns voient dans cette expression une menace à leur porte-monnaie, d’autres l’avènement du règne de la paresse. Un grand nombre prétend y voir une distribution égalitaire des biens en commun. De là à conclure au communisme, il n’y a qu’un pas à franchir. Et de fait, on conclut, cela demande moins d’efforts.

On oublie que la propriété privée a un rôle social à jouer. Et que ce rôle social revêt, de nos jours, un tout autre aspect qu’autrefois. Si les conditions économiques d’hier pouvaient s’adapter à la loi "du rien pour rien", il va falloir admettre qu’aujourd’hui on peut se procurer beaucoup de choses pour rien. C’est là un fait brutal, et, je le répète, les scrupules n’y peuvent rien.

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Nous avons dit, plus haut, que le machinisme avait produit un déséquilibre entre le pouvoir d’achat et la production offerte. Il y a un écart entre le prix des produits et l’argent qui doit acheter ces produits. Il faut que cet écart soit comblé, sans quoi il est illusoire de parler de meilleure répartition des richesses. Et cet écart sera comblé par une distribution gratuite de monnaie, ou ne le sera pas du tout.

Là encore, les scrupules n’y peuvent rien. Habitués que nous sommes à une conception trop étroite de la loi du travail, nous sommes facilement scandalisés de l’accession gratuite à une partie de la richesse. Préfère-t-on détruire cette richesse ou la laisser dans le néant, faute de consommateurs solvables ? Et que signifie donc le progrès ?...

Dr Eugène Fortin, M.D.

1er mai 1940 page 5, 1940_05_No12_P_005.doc

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