Le discours de M. Grégoire

Maître J.-Ernest Grégoire le lundi, 15 avril 1946. Dans Crédit Social

Traduction du discours prononcé en anglais par M. J. Ernest Grégoire, vice-président de l'Asso­ciation Créditiste du Canada, à la Convention Nationale de Régina, le 5 avril 1946 :

Unité d'objectif, esprit fraternel

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,

Je suis sûr que chacun de nous ici présent s'ac­corde avec moi pour déclarer que cette assemblée est une fête à la fois pour l'esprit et pour le cœur.

Les uns viennent de l'Est, d'autres de l'Ouest ; les uns parlent le français, d'autres l'anglais ; les uns sont catholiques, d'autres protestants de di­verses sectes. Mais chacun de nous est éclairé de la même brillante lumière et poursuit le même but humanitaire et chrétien. Tous, nous voyons clair et cherchons juste.

Chacun de nous veut une meilleure vie, non pour lui seulement, mais aussi pour chaque autre personne. La vision d'un créditiste ne s'arrête pas au seuil de sa maison, ni à la frontière de sa pro­vince, pas même aux océans majestueux, si éloi­gnés l'un de l'autre, qui baignent les deux côtes de notre immense Canada.

Nous savons très bien que la philosophie crédi­tiste est une philosophie universelle. Nous ne doutons pas que si, demain, au lieu d'une Conven­tion Nationale, nous tenions une Convention inter­nationale de créditistes, la même flamme pétille­rait dans le cœur et les yeux de chaque délégué, et tous se comprendraient l'un l'autre, quels que puissent être la langue ou le pays de chacun d'eux.

Commencer par son propre pays

Mais nous savons tous, aussi, qu'il n'y aura jamais de monde créditiste tant qu'il n'y aura pas d'abord une nation créditiste quelque part au monde ; et nous sentons tous que la première na­tion créditiste peut et doit être le Canada.

Nous savons de plus qu'un Canada créditiste ne peut être bâti que par les créditistes que nous représentons à cette Convention. Et c'est le grand devoir de chacun de nous, comme de chaque organisation provinciale qui nous a délégués ici, d'attaquer ce grand œuvre d'édifier un Canada créditiste.

L'Alberta

M. Grégoire parle ensuite de l'Alberta, le pre­mier pays au monde où l'électorat a majoritairement demandé un régime créditiste. Il rappelle comment le gouvernement d'Edmonton, sans avoir pu installer le Crédit Social, à cause de l'opposition d'Ottawa, a tout de même réussi, en s'inspirant de principes créditistes, à développer considérable­ment les services publics et sociaux de sa province sans emprunter un seul sou des banques. Puis, il fait allusion au Bill 76 — Charte des droits des citoyens — récemment adopté par l'Alberta et ac­tuellement devant la Cour Suprême. À ce sujet il remarque :

Nous, créditistes des autres provinces, n'avons pas le droit de nous asseoir et contempler cette lutte, car c'est une bataille contre les bourreaux de l'humanité.

Les créditistes de toutes les provinces du Cana­da sont en devoir tenus de mobiliser l'opinion, par tout le pays, à l'appui de cette nouvelle et impor­tante mesure du gouvernement albertain pour inaugurer l'économie nouvelle dans un secteur de notre planète.

Québec encore plus intéressé

Nous, du Québec, sommes, je crois, plus parti­culièrement intéressés à tout action qui peut hâter l'avènement du Crédit Social. Je dirais que Qué­bec a encore plus à gagner du Crédit Social que l'Alberta elle-même, parce que, si l'Alberta est une province riche qui veut s'arracher de la griffe des pilleurs financiers, Québec est une province encore plus riche sous la griffe des mêmes bandits. Le butin volé est encore plus considérable dans Qué­bec qu'en Alberta.

Nos amis de l'Alberta concéderont que Québec a une superficie plus grande, une production plus

grosse et plus variée, que leur province. Autant de plus à rafler, et autant de plus raflé.

Chaque créditiste admettra aussi que, la population de Québec étant presque cinq fois celle de l'Alberta, il y a près de cinq fois autant de victi­mes du système dans Québec que dans l'Alberta.

Le fait que les bandits ont leurs quartiers-géné­raux à Montréal ou à Toronto n'y change rien. La présence de bandits n'enrichit pas leur voisi­nage.

L'Est soulevé contre l'Ouest

C'est depuis longtemps un jeu habilement en­tretenu de soulever l'Est contre l'Ouest et l'Ouest contre l'Est — sans doute parce que la population de l'Ouest et celle de l'Est étant toutes les deux aigries par des conditions insupportables, il fallait trouver un bouc émissaire pour cacher l'identité des coupables.

Aux gens de l'Est, on dit qu'ils ont toujours à payer pour les aventures des gens de l'Ouest, que l'Est fournit l'argent et que l'Ouest obtient les chemins de fer, que l'Est finance les fermiers des prairies, et quoi encore ?

Aux gens de l'Ouest, on répète qu'ils ont à payer des taux sur-élevés aux banques, aux compagnies d'assurances, aux réseaux de chemins de fer, dont les quartiers-généraux sont dans les grandes villes de l'Est ; qu'on leur charge des prix gonflés pour des produits manufacturés dans l'Est, et que l'Est pompe continuellement l'argent de l'Ouest si péniblement gagné.

Chacun croit ainsi que sa poche est vidée au bénéfice de la poche de l'autre individu, à l'autre bout du pays. La vérité est que les poches des deux sont assaillies par la même bande. Les cré­ditistes le savent, et c'est pourquoi les créditistes, tant de l'Est que de l'Ouest, joignent leurs forces contre l'ennemi commun.

Catholique et créditiste en même temps

L'expansion rapide de la philosophie créditiste dans la province de Québec, ces tout dernières années, peut en avoir surpris plusieurs. Comment une province catholique, trop souvent qualifiée de priest ridden (sous la domination du clergé), peut-elle prêter l'oreille à une doctrine émanant d'un ingénieur écossais ? Comment des gens qui remplissent leurs églises le dimanche, où on leur rappelle le caractère transitoire de leur pèlerinage sur cette terre, peuvent-ils être si appliqués à vouloir améliorer les conditions économiques gé­nérales de leur province et de leur pays ? Comment un peuple élevé dans le respect de l'autorité cons­tituée peut-il s'enthousiasmer à la poursuite d'une véritable démocratie, dans laquelle les citoyens eux-mêmes imposeraient les objectifs au gouver­nement ?

De telles questions dénotent une fausse concep­tion, soit de la philosophie catholique, soit de la philosophie créditiste, ou peut-être des deux.

Le peuple du Québec a sûrement l'esprit reli­gieux. Il place sûrement la vie éternelle sur un plan infiniment plus élevé que la vie temporelle. Mais il sait très bien, comme l'a clairement expri­mé le Pape Pie XI, que la dictature économique a rendu la vie "horriblement dure, implacable et cruelle", et que, dans ces conditions, il devient "de plus en plus difficile à un grand nombre d'ac­complir l'œuvre importante de leur salut éternel."

Le peuple du Québec croit, après saint Thomas d'Aquin, qu'un minimum de biens, assez pour assurer une honnête subsistance, est très approprié à la pratique de la vertu.

Le peuple de Québec respecte sûrement l'auto­rité. Mais il sait aussi définir les limites en dehors desquelles la prétendue autorité n'est plus qu'une usurpation. Nous ne plaçons aucune borne à l'au­torité spirituelle du Pape, parce que le Pape est le vicaire du Christ lui-même, et n'est responsable qu'au Christ. Mais nous ne voyons dans les gou­vernements civils que les vicaires de la multitude, selon le mot de saint Thomas. Comme tels, ils n'ont de mandat que pour servir la multitude, pas plus. Un gouvernement démocratique doit pren­dre sa ligne de conduite du peuple, tout comme le gérant d'une coopérative prend la sienne des coopé­rateurs eux-mêmes.

Christianisme et Crédit Social d'accord

La philosophie créditiste ne contredit en au­cune manière notre philosophie chrétienne. Tout créditiste — qu'il soit catholique ou protestant a le sentiment de cette parenté entre la concep­tion chrétienne et la conception créditiste des rapports de l'homme avec son semblable et des citoyens avec l'État.

Notre Père céleste prodigue ses gratuités à tout être humain, sans aucune discrimination entre les méritants et les non-méritants. Ainsi veut le faire le Crédit Social. Le dividende du Crédit Social irait à tous et à chacun sans distinction, tout com­me la pluie et le soleil du bon Dieu.

"Le Royaume est au-dedans de vous", disait Notre-Seigneur. Au-dedans de vous, pas dans l'État. Il parlait du spirituel. Le Crédit Social soutient des vues analogues sur le plan temporel, parce que, même l'ordre temporel doit tenir comp­te du fait que chaque membre de la société a une âme. L'ordre temporel ne doit pas être organisé pour les êtres humains de la même manière que pour les animaux d'une étable.

Nous soutenons que, partout où il y a une âme humaine, il y a plus que tous les gouvernements du monde. Le plus pauvre citoyen, l'enfant le plus débile, est plus que l'État. Notre-Seigneur serait descendu de son Ciel et aurait souffert toute sa terrible passion pour l'amour d'une seule âme. Il ne l'aurait pas fait pour le plus puissant gou­vernement libéral, ou conservateur, ou C.C.F.

Les gouvernements, comme toutes les institu­tions humaines, existent pour les hommes, et non pas les hommes pour les gouvernements. Les gou­vernements, institutions mortelles, doivent être au service des hommes, porteurs d'âmes immortelles. Ils doivent faciliter, non contrecarrer, le plein épanouissement de chaque âme.

Ces principes sont tout à fait en conformité avec la doctrine créditiste, et ils sont en parfaite conformité avec les plus sains enseignements du Chris­t.

Au service de la personne

Tout ce qui contribue à rehausser la personne, individuellement, et à faciliter le libre développement de la personne vers sa pleine Vie, est conforme au concept chrétien de l'homme. Tout ce qui con­tribue à dominer la personne et à faire d'elle l'animal domestique de l'État est anti-chrétien.

Les créditistes pensent de cette manière et le proclament bien haut. Mais de plus, le Crédit Social offre des moyens définis et concrets pour placer ainsi la personne sur son trône et faire effectivement de l'État le serviteur de la personne. Le Crédit Social est dans la bonne ligne.

Le Crédit Social veut l'assurance du pain quo­tidien pour tous et chacun. D'autres groupes politiques peuvent aussi afficher ce but, mais la route qu'ils prennent est plus croche et moins claire. Ils proposent une sécurité sociale à coups de planisme, de taxes, de bureaucratie, d'enrégimentation, d'entraves à la liberté. Le Crédit Social, lui, refuse de sacrifier une once de la liberté personnelle pour cette assurance du pain quo­tidien.

Seul, le Crédit Social croit et proclame que la liberté et la sécurité sont parfaitement compati­bles, que l'une n'a pas besoin de s'effacer pour ad­mettre la présence de l'autre, et que les deux peuvent être également garanties à chaque citoyen du pays, quel que soit son âge, son sexe ou sa religion.

Et, parce que le Canada est un pays d'abon­dance, peuplé d'hommes et de femmes qui appré­cient la valeur de la liberté, le Canada est certaine­ment mûr pour l'épanouissement du Crédit Social, de la démocratie économique jointe à la démocra­tie politique.

Un phare dans la nuit

Notre pauvre monde de 1946, harassé, hagard et désemparé, encore tout pantelant de la grande saignée de six années infernales et déjà menacé d'un troisième acte de ce drame insensé, a terri­blement besoin d'une nouvelle et plus saine orien­tation.

Mesdames et Messieurs, assemblés ici de toutes les parties du Canada, c'est à la fois notre tâche incommensurable et notre agréable mission de faire de ce Canada le conducteur de l'humanité vers de meilleurs rivages.

Nous possédons le flambeau de la vérité, de la vérité qui peut libérer l'homme. Portons-le haut et loin, que tous puissent le voir et en être éclairés. Et si, parfois, nous sommes tentés de fléchir sous le poids de difficultés inhérentes à notre mission de pionniers, remontons nos forces à la pensée que, par le Crédit Social, nous introduisons le monde dans une nouvelle et resplendissante civilisation.

Maître J.-Ernest Grégoire

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