Le Crédit Social et l'Épargne

le mercredi, 01 décembre 1937. Dans Cahiers du Crédit Social

Une des premières critiques publiées contre le Crédit Social par un auteur sérieux — dans l'occurrence un attaché à l'École des Hautes-Études de Montréal — accusait le Crédit Social de ne pas répondre à l'idée traditionnelle d'un ordre économique sain parce qu'il s'oppose à l'épargne (écrivait-il) et que l'épargne est une chose recommandable. Cette critique, basée sur une étude superficielle et insuffisante, fut reprise par un professeur d'Économie Politique de l'Université d'Ottawa, d'abord dans une brochure parue il y a deux ans, puis de nouveau, voici quelques mois, au cours d'une conférence devant un auditoire très respectable qui fut loin d'accepter unanimement ses vues. Le compte-rendu de cette conférence, le même dans tous les journaux du jour, sans être défavorable au Crédit Social dans l'ensemble, se terminait par l'assertion suivante attribuée au conférencier : "Enfin, sous le Crédit Social, l'épargne n'est ni nécessaire ni possible."

Si ce professeur est sincère (pour lui rendre la politesse de sa propre expression à l'égard des Créditistes), il fait tout de même preuve d'une ignorance totale de points essentiels dans la doctrine qu'il se permet de dénigrer. Il semble n'avoir rien appris du Crédit Social en deux ans. Avant de rééditer ses critiques et de traiter de "simplistes" les dix mille créditistes du Québec dont l'opinion repose sur l'étude, il aurait pu prendre d'abord la peine de distinguer entre monnaie et pouvoir d'achat en exposant les données du Crédit Social. Son raisonnement se résume à ceci : Le Crédit Social équilibre la production et la monnaie ; si celui qui a de la monnaie l'épargne au lieu d'acheter, il rompt l'équilibre ; donc l'épargne n'est pas possible sous le Crédit Social.

Ce syllogisme boîte de plus d'une manière. Mais pour ceux qui, comme l'illustre professeur, de bonne foi ou à dessein, travestissent le Crédit Social et démolissent avec satisfaction le mannequin qu'ils ont dressé, nous allons entrer dans quelques détails sur cette question de l'épargne. Sans prétendre couvrir le champ entier, nous voulons expliquer que :

I — Sous le système actuel, l'épargne, tout en étant nécessaire pour assurer la sécurité de l'individu, est impossible pour un grand nombre, découragée par les résultats, nuisible quelquefois, prostituée souvent.

II — Sous un régime Crédit Social, l'épargne, sans être nécessaire pour assurer la sécurité de l'individu, serait possible pour un grand nombre, encouragée par les résultats, utile toujours ; salutaire pour l'épargnant et bienfaisante pour les autres.

L'épargne dans l'ordre économique actuel

"Épargnez, mettez quelque chose de côté pour vos vieux jours, économisez pour les temps de chômage, placez chaque semaine une fraction de votre salaire à la banque, etc."

Tout le monde a entendu maintes et maintes fois ces "bons conseils." Et de fait, dans les cadres du système actuel, celui qui dépense tout son argent au fur et à mesure qu'il en gagne tombe à la charge de sa famille ou de l'État lorsqu'il devient incapable de travailler. Le souci du lendemain hante celui qui n'a rien en réserve. Si la maladie l'arrête, les dettes commencent et la misère s'installe.

Une autre source de soucis pour lui, c'est le chômage. Et ce "fléau" frappe maintenant loin et dur. Plus le monde fait de progrès, plus il est capable de produire de la richesse avec moins de labeur humain : dès lors le chômage des hommes naît de l'abondance même des produits. Le premier frappé est souvent celui qui gagnait le moins cher, celui qui a pu le moins épargner ; il n'a rien ou presque rien, le voilà devenu le pensionnaire des autres. Or quand les autres doivent prendre une partie de leur propre capacité d'achat pour la passer au secouru, l'excédent de produits vendables reste excédent, la production ralentit et le chômage continue de plus belle.

Il faut en prendre son parti. Le monde est riche. L'homme a étudié les lois et les forces de la nature. Il a réussi à faire pousser cent brins d'herbe où l'on n'en trouvait qu'un seul ou pas du tout.

Il a amélioré la valeur productive de ses champs et de ses animaux domestiques. Dans l'industrie manufacturière, ses progrès sont encore plus manifestes. Le monde est riche, n'en déplaise à ceux qui voudraient qu'il fût pauvre et que les humains dussent se débattre contre la misère, les famines, les fléaux.

Au reste, les hommes, et nombreux, doivent encore se débattre contre la misère, mais pas parce que le monde est pauvre... simplement parce qu'un système stupide empêche la distribution de la richesse.

Allons-nous blâmer le chômeur sans moyen financier parce qu'il n'a rien épargné pendant qu'il travaillait ? Mais s'il avait épargné, peut-être n'aurait-il fait que hâter la venue du chômage, en contribuant à l'accumulation de la production invendable d'un monde riche.

Comparons-lui le sort de l'épargnant devenu lui aussi chômeur. Il a la douce satisfaction de manger ses épargnes avant de passer à son tour dans la grande famille des secourus. Car il ne faut pas considérer les crises de chômage d'aujourd'hui comme les mortes saisons passagères d'autrefois. Elles durent assez longtemps et se généralisent assez pour drainer la majorité des épargnes qui ont coûté travail et privations. L'épargnant a de plus la satisfaction, s'il n'est pas frappé, de contribuer au soutien de son confrère. Si son épargne a pris la forme de propriété, il aura l'honneur de faire partie du corps des contribuables directs. Si, petit propriétaire, il tombe victime du chômage, il devra ou louer ou vendre sa propriété bien au-dessous de ce qu'elle lui a coûté d'épargnes. Bel encouragement pour ceux qui pratiquent l'épargne, bel argument pour ceux qui la prêchent !

Lorsque le professeur d'université d'Ottawa nous dit que l'épargne va nuire à l'écoulement de la production, il a peut-être raison sous les conditions monétaires du régime actuel, surtout avec l'immense possibilité de moyens de production de notre monde moderne. Pour que la production marche, il faut que les consommateurs l'achètent.

On continue quand même d'auréoler l'épargnant et de damner l'imprévoyant, celui qui n'accumule pas de pécule. A-t-on toujours raison ?

Voici deux hommes, Antoine et Roger : tous les deux du même âge, mariés, avec le même nombre d'enfants, le même nombre d'années de travail au même modeste salaire. Mais Antoine mettait de l'argent à la banque ; sa femme et ses enfants ont souffert bien des privations, mais il a ramassé de l'argent ; il possède l'esprit du jour : l'argent vaut plus que les êtres humains. Roger, lui, emploie tout son petit salaire à procurer le plus de bonheur possible à sa famille ; il estime sa femme et ses enfants au-dessus de l'argent et trouve qu'il les prive encore trop par insuffisance de salaire. Le chômage général survient. On va vanter les vertus d'Antoine et l'imprévoyance de Roger, jusqu'à ce que la prolongation de la crise les dépose l'un et l'autre sur le même palier. Si tous les ouvriers eussent été des Antoines, la crise serait venue plus tôt peut-être. Nous disons "peut-être," car nous savons bien que l'accumulation des produits invendus a d'autres causes que la privation libre de la part des consommateurs.

On va nous dire que nous traçons un portrait injuste de l'épargnant. Nous ne disons pas que tous les épargnants sont des Antoines, et tous les autres des Rogers, mais qu'il ne faut pas être catégorique dans ses jugements, ni estimer un homme d'après l'argent qu'il a pu empiler.

S'il y a épargnant et épargnant, il y a aussi épargne et épargne. Celle qui soutire la monnaie de la circulation est nuisible, de quelque nom qu'on la décore. Pendant le premier terme de son administration, le président Roosevelt, d'une manière ou de l'autre, a jeté dans la circulation quelque dix milliards de dollars. Dollars-dette, si l'on veut — il n'y en a pas d'autres aujourd'hui. Mais ils sont tout de même passés dans la circulation. Y sont-ils, restés ? Consultez les compagnies d'assurance. À peine la monnaie entre-t-elle au foyer que l'agent d'assurance la pourchasse. Comme une nuée d'oiseaux de proie, l'armée des agents, bien endoctrinés et animés de l'appât de la récompense, s'acharnent après leur récolte du salaire de l'ouvrier. Résultat : le mois dernier, des gérants de grandes compagnies d'assurances pouvaient fêter à New-York "la plus grande année de l'assurance vie" D'après leurs discours, 1937, plus que toute année précédente, aura extrait l'argent de la circulation dans les villes, les villages et les campagnes, pour le diriger vers quelques gros centres financiers où il dort ou est placé en obligations du gouvernement. L'argent ainsi placé, remarquons-le en passant, est de l'argent "aux secours directs." La remarque est de M. Geo. Richmond Walker. Sous forme d'intérêt, le gouvernement donne des secours à cet argent qui chôme au lieu d'être à l'œuvre dans le commerce et l'industrie. Parce que l'argent chôme, les hommes chôment, et les gouvernements augmentent les taxes pour venir au secours de l'argent et des hommes qui chôment. Quel beau régime !

Il y a plus. Il y a aussi la prostitution de l'épargne. Le mot n'est pas exagéré. Ce n'est pas l'épargnant qui prostitue son épargne, c'est la horde de vautours qui, sous couleur de vertu, de prévoyance, d'amour des véritables intérêts du travailleur, s'abat sur les agglomérations comme nous le disions plus haut. Cet argent n'est pas toujours employé à l'achat d'obligations du gouvernement : il est aussi mis à l'œuvre, mais à une œuvre de déprédation. Où, par exemple, les grands pilleurs de nos meilleures industries, de 1922 à 1930, les organisateurs de nos monopoles, ont-ils pris leurs fonds pour acheter les industries les mieux établies et les plus prospères ? Demandez à Graustein et compagnie, ou bien examinez les placements de la Sun Life et autres gérants de l'assurance à cette époque. Si l'épargnant a la consolation de manger ses épargnes quand des crises aussi bêtes qu'injustifiables arrêtent les roues de l'industrie en face des besoins criants de la population, il peut épicer cette consolation à la pensée que ses épargnes ont fortifié la puissance de ceux qui imposent la pénitence aux fils et aux filles d'une nation débordante de richesses.

S'il y a une épargne ainsi prostituée, nous reconnaissons qu'il existe une épargne saine. Prenez le cas des Caisses Populaires, qui opèrent, de par leur constitution, dans un territoire restreint. L'argent reste dans la localité et ne chôme pas ; l'argent de l'épargnant passe à un autre sociétaire qui s'en sert généralement pour des fins productives. Encore faut-il que les produits trouvent preneurs ; or leurs prix comprennent tout, même le salaire à l'argent qui a servi à augmenter la production. De plus, l'argent qui joue ainsi dans les Caisses Populaires, tout en aidant la production de richesse, ne produit pas de monnaie ; s'il faut une augmentation de monnaie pour écouler l'augmentation de richesse, cette monnaie devra venir d'ailleurs et, en définitive, de la source de toute monnaie, du système bancaire qui mène le monde et fait les crises.

Aussi les banques ne s'émeuvent-elles guère de la concurrence que peuvent leur faire les Caisses Populaires. (Elles gardent leurs émotions contre le Crédit Social.) Nous avons déjà signalé le cas de cette Caisse Populaire d'un centre ouvrier qui est tombée à plat, avec les épargnes des sociétaires placées dans des prêts locaux inrecouvrables, parce que la crise est venue fermer l'usine locale et tarir les sources de revenus. Les meilleures institutions souffrent du système.

Si l'épargne est nécessaire aujourd'hui pour quiconque veut se mettre à l'abri pour les mauvais temps, elle est impossible pour le grand nombre des chômeurs, déclarés ou déguisés, et pour un nombre immense d'employés qui ne gagnent même pas de quoi mener une vie décente ; pour les autres, elle est découragée, parce que ceux qui causent "les mauvais temps" en rendent les visites trop fréquentes et trop longues et parce que l'épargnant reconnaît dans cette puissance néfaste une prostitution de son épargne.

L'épargne sous un régime Crédit-Social

Voyons maintenant comment on peut envisager l'épargne sous un régime Crédit-Social.

Pour éclairer les réflexions que nous allons faire, rappelons d'abord ce que le professeur de l'Université d'Ottawa n'a pas du tout saisi : Le Crédit Social, en bon style consommateur, appelle pouvoir d'achat la monnaie entre les mains de ceux et celles qui l'emploient à acheter des biens de consommation. L'épargne n'est donc pas du pouvoir d'achat qui entre en compte pour établir et maintenir l'équilibre. L'épargne saine sert à augmenter la capacité de production ; ce qu'elle soustrait en pouvoir d'achat est remplacé, entre les mains de ceux et celles qui achètent des biens de consommation, par une injection directe du pouvoir d'achat nécessaire pour maintenir l'équilibre. C'est à quoi vont le dividende national et l'escompte compensé. Ce qui est "simpliste", c'est, de la part du savant professeur, de s'imaginer que le Crédit Social propose une émission primitive de monnaie égale au total de la production offerte, puis laisse opérer le va-et-vient de la monnaie, avec ses mille déviations et orientations, sans plus intervenir. À la première déviation de la monnaie vers des placements, l'équilibre est rompu, le Crédit Social à l'eau !...

Autant dire qu'il est impossible de maintenir la pression d'une chaudière à vapeur à un niveau voulu, 100 livres par exemple, parce qu'à la première utilisation par un moteur, la pression va baisser !... Comme si le chauffeur n'était pas capable de lire le manomètre et de conduire son feu en conséquence.

Nous admettrons avec le professeur que, sous un régime crédit-social, l'épargne ne s'impose plus comme condition de la sécurité économique de l'individu. Pourquoi ? Parce que le Crédit Social établit une économie d'abondance pour une ère d'abondance. S'il en est à qui cela fait de la peine, libre à eux de se priver et de vivre comme ils auraient été forcés de vivre il y a deux siècles ; mais de grâce, qu'ils ne viennent pas faire à l'humanité civilisée que nous connaissons l'affront de la déclarer incapable de fournir l'aisance et le confort aux familles et aux individus.

Supposons deux foyers : celui de Madame Jacqueline Seizième-Siècle et celui de Madame Rosalie Vingtième-Siècle. Chez Jacqueline, on a quelques miches de pain et quelques terrines de farine de sarrazin, mais rien n'assure que la semaine prochaine renouvellera la provision. On s'y rationne, et cela s'explique. Si la sous-alimentation cause du scorbut ou du rachitisme, on n'y peut rien, on est pauvre.

Chez Rosalie, au contraire, l'abondance règne, l'armoire est pleine, le verger et le jardin prospères. Chacun se sert selon ses besoins, qui peut l'en blâmer puisqu'il y a abondance garantie pour tous ? Rationner chez Rosalie, au risque de scorbut et de rachitisme, sous prétexte d'imiter les vertus de Jacqueline, serait le comble de l'absurdité. Si la vie est la même chez les deux dames, on pourra conclure que, si l'on est pauvre chez Jacqueline, chez Rosalie on est bête.

On nous objectera que, dans notre société moderne, il y a pourtant beaucoup de familles pauvres. Malheureusement oui, il y en a de misérablement pauvres même, mais l'existence du fait ne le justifie pas. Puisque notre pays est très riche et peut suffire à l'abondance relative pour tous, il est logique, sans vouloir que toutes les familles aient le même degré de fortune, de réclamer au moins le nécessaire chez tous. Si on ne l'a pas, il ne faut pas s'en prendre à l'impossibilité ; ce n'est ni la nature ni l'industrie qui en sont la cause, mais l'organisation défectueuse de la vie économique. Celle-ci est entre les mains d'une clique de financiers qui jurent par l'argent, non pas par le bonheur de l'homme.

Le Crédit Social garantit à chaque individu le nécessaire en lui octroyant un dividende suffisant pour obtenir, à même l'abondance de production, au moins de quoi satisfaire les besoins premiers de son corps et de son esprit. Nous ne connaissons pas de moyen plus direct et plus infaillible d'assurer le nécessaire à tous et à chacun. Le reste, le plus que le nécessaire, peut très bien continuer à être la récompense de la contribution directe à la production de la richesse par le travail et par les placements. Mais le fait que la production est de plus en plus le fruit de la science appliquée, d'un capital commun, doit conférer à chaque membre de la communauté une part de cette production, part dont le niveau pourra augmenter encore avec les développements futurs. Pas affaire de charité, mais affaire de justice.

À cause de cette part, assurée dans un pays moderne socialement (non pas bancairement) organisé, l'épargne ne serait plus nécessaire strictement pour la sécurité économique de l'individu. Cela peut faire de la peine aux vautours de l'assurance-vie, mais le monde n'y perdra pas.

De là à dire que l'épargné est impossible sous le Crédit Social, il y a une marge. Vous pouvez n'être pas obligé d'aller à Vancouver, mais vous avez tout de même bien droit d'y aller si vous en avez les moyens, et cela peut vous récréer et vous être utile.

Nous irons plus loin. Si l'épargne n'est pas nécessaire pour la sécurité économique de l'individu dans un régime économique créditiste, elle est nécessaire pour le développement de la production. On sait que le Crédit Social finance la consommation, non la production. La consommation, par ses achats, finance la production. Mais, dans la collectivité des consommateurs, plusieurs ont plus de capacité d'achat qu'ils désirent en exercer pour le présent ; ils préfèrent placer le reste, directement ou par l'intermédiaire de banques ou de sociétés de prêts. Rien de mieux. Que va-t-il se passer alors ? Ce détournement de la monnaie vers des placements va-t-il détruire l'équilibre, congestionner la production et saboter le Crédit Social, comme paraît le croire notre contempteur d'Ottawa ? Pas du tout, voyez plutôt.

C'est entre la production de biens de consommation offerte et le pouvoir d'achat (de diverses sources) qui s'exerce, que le Crédit Social maintient l'équilibre. Si donc de la monnaie est distraite vers d'autres buts, le mécanisme monétaire créditiste la remplace et la distribue en faveur des consommateurs qui achètent, en augmentant le chiffre de l'escompte compensé, selon les appels des faits de la production et de la consommation. Donc, l'épargne de celui qui place au lieu d'acheter, salutaire pour lui-même en lui assurant un surcroît de revenus pour plus tard s'il place judicieusement, est en même temps bienfaisante pour les autres puisqu'elle augmente leur part de droit aux fruits de la production. La production laissée par l'épargnant va aux autres. L'épargnant ne peut s'en offusquer puisqu'il atteint le but qu'il cherche par son épargne ; le producteur ne peut s'en plaindre, puisqu'il veut vendre ; le consommateur qui en bénéficie s'en réjouira certainement.

Il y a plus. L'épargne placée va augmenter la capacité de production future ; elle va donc valoir plus tard à tous une augmentation de dividende ou d'escompte, tout en rapportant des profits légitimes à l'épargnant. C'est-à-dire que l'augmentation de richesse du pays, sous le crédit social, en même temps qu'elle apporté une récompense à celui qui la rend possible, augmente aussi le niveau de vie — ce qui est logique puisqu'elle multiplie la richesse du pays. C'est ainsi que l'exercice de la propriété privée se fait pour le bien commun en même temps que pour celui du propriétaire. Nous appellerions cela la fonction sociale de la propriété privée.

Nous l'appellerions aussi formule inconnue jusqu'ici de coopération nationale ; et comme le sujet de la Semaine Sociale à laquelle fut donnée la conférence dont nous parlions au commencement de cet article était justement la COOPÉRATION, le conférencier a piteusement manqué l'occasion d'être en plein dans le sujet et de rendre justice à un système monétaire qui, pour n'exister encore qu'en théorie, se présente tout de même comme le plus conforme aux principes de Quadragesimo Anno que nous connaissons. Si au moins les critiques nous en proposaient un autre !

Veut-on un exemple de la manière dont fonctionnerait cette coopération nationale ? On sait que la récolte de la Saskatchewan a été lamentablement pauvre cette année (à la grande satisfaction des spéculateurs du blé), mais par contre, elle a été très bonne en Ontario et au Manitoba. Par ailleurs, les industries de tout le pays sont toujours là et peuvent produire beaucoup plus qu'elles le font ; les houillères d'Alberta regorgent toujours de charbon que les mineurs qui chôment les trois quarts du temps ne demandent pas mieux qu'à sortir de la terre ; partout, des hommes sont disponibles pour alimenter les organismes de distribution. Le ministre Lapointe disait, il y a trois semaines, que le Canada produit dix fois plus qu'il consomme. Si cela est, peut-on concevoir que la pénurie d'une récolte dans une portion du pays jette cette portion dans la misère et que le reste du pays doive tant en souffrir ? C'est pourtant ce qui arrive aujourd'hui, car pour empêcher de mourir les 500,000 éprouvés de la Saskatchewan (plus de la moitié de la population de cette province), on va leur donner des secours, mais en prenant l'argent dans la poche des contribuables, au lieu de puiser à la production gaspillée ou supprimée. Avec le dividende et l'escompte du Crédit Social, les Saskatchewannais, sans être aussi fortunés que leurs compatriotes des autres provinces cette année, auraient tout de même un sort bien supérieur à celui des rationnés du secours direct, et cela ne ferait de tort à personne ; au contraire, ce serait un marché pour des produits dix fois supérieurs à ce que nous consommons. Sans compter ce qui se perd et ce que nous déversons à sacrifice sur les marchés étrangers, les centaines de mille chômeurs du Canada représentent des centaines de millions de valeur de produits qui seraient beaucoup mieux dans les foyers Canadiens, ceux de Saskatchewan y compris, que dans le néant, où ils restent pour satisfaire le système cher aux assassins physiques et moraux que veut et va déloger le Crédit Social.

Au lieu de l'humiliation de vivre aux dépens des autres, de recevoir du pouvoir d'achat soustrait à d'autres, les éprouvés de la sécheresse vivraient de leur dividende, d'un revenu qui leur appartient comme membres d'une société qui a des surplus. Il n'est pas besoin de socialisme pour distribuer l'abondance inhumainement supprimée ; un peu d'esprit social et de logique dans le système monétaire le feront à la grande satisfaction de tous.

L'auteur américain qui parle de la monnaie oisive et aux secours directs, M. Geo. Richmond Walker, sans citer les encycliques, conclut tout de même son article en affirmant que l'argent a un rôle social à remplir et que le jour peut être venu où l'État, sans défendre au propriétaire de la monnaie de s'en servir ou de le placer à son goût, devrait lui défendre de l'immobiliser, parce qu'il met ainsi une entrave aux activités nécessaires à la prospérité commune. Le Crédit Social règle ce problème sans nécessiter des interventions toujours à redouter de l'État dans les activités des individus. La monnaie qui ne travaille pas, qui est immobilisée pour une raison ou pour une autre, ne cause pas d'arrêt dans l'écoulement de la production sous un régime créditiste, parce qu'elle est automatiquement remplacée par une monnaie active.

Somme toute, avec le Crédit Social, bien que la monnaie naisse du côté consommateur et non pas du côté producteur, on peut s'attendre à la voir continuer de prendre une double destination : une partie allant à l'achat des biens de consommation, l'autre aux diverses formes d'épargne. Mais la partie qui va au développement de la production ne paralyse pas l'écoulement de la production existante, puisqu'une injection de pouvoir d'achat nouveau y pourvoit dans les limites du besoin. Cette continuité d'écoulement des produits ne fera que rendre moins risqués les placements des épargnants, si ceux-ci y apportent de l'esprit d'observation et du jugement.

On peut cependant s'attendre à une meilleure mesure dans la répartition de ces deux courants de la monnaie. D'abord, la nouvelle monnaie attachée à l'escompte compensé ne naît que comme pouvoir d'achat exercé sur les biens de consommation ; il faut qu'elle revienne à des salariés ou qu'elle soit soustraite aux profits des producteurs ou des intermédiaires pour devenir épargne ; pour que l'épargne soit productive, il faut que l'appel sur la production en épuise presque la capacité acquise. Le fonctionnement du système créditiste n'est pas lié, comme notre colimaçon monétaire actuel, à la nécessité d'établir des usines nouvelles même quand il y a redondance, à l'entreprise de travaux publics, à la fabrication de munitions de guerre, parce que l'emploi n'y est plus une condition indispensable du droit à la production.

Le but du système économique est de fournir des biens, non du travail. Le travail entre comme moyen, dans la mesure où il est nécessaire pour procurer les biens que choisit le consommateur. Le développement de la production est lui-même subordonné aux besoins qui s'en font sentir. La production de travaux publics, et de services sociaux suit la demande et les possibilités, elle ne s'impose pas comme condition pour obtenir les biens de consommation qui existent. Si votre enfant demande du pain dont vous avez abondance, pourquoi lui donner une pierre ? S'il veut du poisson, pourquoi lui passer un serpent ?

Si l'on embrasse dans son ensemble le fonctionnement du système créditiste dans l'atmosphère qu'il créera peu à peu, on voit qu'il s'assouplit admirablement à cette hiérarchie des fins et des moyens si outragée aujourd'hui. Par sa monnaie, servante et non plus maîtresse, le Crédit Social est appelé à rectifier les idées, à former une mentalité nouvelle, plus saine, plus humaine, plus sociale. Il est destiné à un rôle éducateur insoupçonné de ceux qui le bombardent sans trop savoir ce qu'ils visent. Mais ne sortons pas du sujet que nous nous sommes tracé.

Avant de terminer, toutefois, nous devons un mot de réconfort aux agents d'assurance-vie. Ce n'est point contre eux que sont dirigées nos remarques incidentes au sujet de la prostitution de l'épargne, mais contre le système dont la prostitution de l'épargne par l'assurance-vie est un fruit naturel. Quant aux agents eux-mêmes, nous tenons à leur dire que la partie des primes qui constitue leur commission est de beaucoup la plus utile : c'est au moins une monnaie qui reste probablement en activité dans la localité qui la fournit. De plus, nombre d'agents de toutes sortes d'assurance, de ventes, etc. — sont des chômeurs en déguisement, comme aussi bien des restaurateurs, tabacconistes, épiciers, etc. Sous un régime plus sain, les vocations seront moins contrariées, les hommes se placeront plus facilement dans la ligne qui leur convient et s'y épanouiront pour leur bien personnel et pour le bien général.

De grâce, qu'on n'aille pas, sous des prétextes de morale, chercher à entraver l'avènement d'un système dans lequel les puissances d'argent qui gouvernent la respiration du genre humain devinent l'adversaire qui va les terrasser.

Que les admirateurs de l'épargne saluent sans crainte les perspectives d'un système monétaire créditiste. L'épargne y fleurira autrement que sous le présent système de sabotage des valeurs. Car, avec le Crédit Social, si l'épargne n'est pas nécessaire pour la sécurité économique de l'individu, elle reste le moyen naturel d'expansion de la capacité de production ; elle est possible pour un plus grand nombre, mieux encouragée par une récompense plus sûre et plus stable et par la satisfaction qu'à l'épargnant, non seulement d'en retirer du fruit pour lui-même, mais d'en faire immédiatement bénéficier la foule des consommateurs.


 ÉCOLE NORMALE

pour les Créditistes de Montréal

L'exécutif de la section montréalaise de la Ligue du Crédit Social, sous la présidence de M. R. J. Zanettin, a décidé de reprendre l'École Normale Créditiste qui fut un si beau succès à l'automne. M. Louis Even la dirigera encore et elle groupera les étudiants dans le même local, aux Études Archambault, 4509 rue Saint-Denis, à huit heures et quart, chaque jeudi soir à partir du 27 janvier. La nouvelle série envisage huit leçons. Inscription, $1.00   Résumés, 50 sous

(Cette contribution couvre les huit leçons).

 

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