Le charisme de l’Oeuvre de Louis Even

Alain Pilote le lundi, 01 octobre 2018. Dans Apostolat

L’éducation du peuple et le don de soi

Réflexion, étude et action

Vous aurez peut-être remarqué en première page qu’avec ce numéro, Vers Demain entame sa 80e année de publication. Pour cette occasion, il est bon de se poser la question : « Après 80 ans, Vers Demain est-il demeuré fidèle aux buts, aux intentions de son fondateur ? » Ou en d’autres mots : « Quel est le charisme de l’Œuvre de Louis Even ? » Pour le savoir, on n’a qu’à relire ce que Louis Even écrivait en première page du premier numéro de Vers Demain (daté du 1er novembre 1939, mais écrit deux mois plus tôt), un article intitulé « On se présente », qui explique la raison de la création de ce nouveau périodique :

« Modestement, mais avec ténacité, Vers Demain visera à former au sein de la masse une élite de plus en plus nombreuse, nous l’espérons, qui, par la réflexion, l’étude et l’action, déterminera de nouveaux courants dans la marche de l’histoire. Vers Demain veut former une élite, une aristocratie pensante de citoyens ; il la cherchera dans la grande multitude, non seulement chez ceux qui ont bénéficié d’une culture livresque supérieure. Une expérience de trois ans nous convainc que le peuple est très éducable. »

De 1936 à 1939, furent publiés par Louis Even de façon irrégulière les Cahiers du Crédit Social, et des cercles d’étude furent aussi organisés partout dans la province de Québec, et on visait d’abord les gens avec beaucoup d’instruction et de diplômes. Par exemple, Gilberte Côté, qui fut la première à se joindre à l’équipe de Louis Even, avait six ans d’université. Tous ses amis, compagnons et compagnes de classe, étaient devenus des juges, avocats, médecins, etc. Après avoir assisté pour une première fois à une assemblée de Louis Even, elle organisa deux assemblées de 75 personnes chacune, invitant ses amis diplômés de l’université. Ils avaient tous compris ce que M. Even leur avait dit, mais ils avaient surtout compris que ça demandait du dévouement : c’est bien de connaître le Crédit Social, mais il ne faut pas garder ça pour soi, il faut le faire connaître aux autres. Alors, pas un de ces anciens universitaires ne s’est montré aux assemblées suivantes. Ils avaient compris qu’il fallait se dévouer, et cela, ça les intéressait beaucoup moins... (Bien sûr, il y eut des exceptions, comme Maître J. Ernest Grégoire, maire de Québec, député et brillant avocat, mais la règle générale demeure que les gens plus instruits cherchent plutôt à se servir qu’à servir les autres...)

M. Even continue dans son article : « Si le peuple est resté dans l‘ignorance quasi complète des grands problèmes politiques, économiques et sociaux, c’est parce qu’on ne lui a pas fourni l’occasion de les aborder ou qu’on les lui a présentés sous une forme inintelligible, à dessein parfois pour l’éblouir et lui infliger l’acceptation silencieuse des pires absurdités. »

L’objectif de M. Even était tout à fait le contraire, il cherchait à simplifier, vulgariser les choses le plus possible, pour les mettre à la portée de tous, même des moins instruits. Par exemple, tous peuvent comprendre la fable de « L’Ile des naufragés » de Louis Even, qui explique la création de l’argent. C’est tout à son honneur de s’être assuré d’être compris par le peuple.

Le don de soi

Ce qui fait la force de Vers Demain, pourquoi il existe depuis 80 ans, c’est le don de soi. Le fait que Vers Demain existe depuis 1939 sans annonce publicitaire est déjà remarquable – pratiquement aucun journal ne peut subsister sans annonces payées – mais ce qui fait sa véritable force, c’est que des gens se dévouent dans ce mouvement, qu’ils acceptent d’être des apôtres, des pèlerins qui vont porter de maison en maison le message de Vers Demain.

Durant la session d’étude qui a précédé le congrès en septembre dernier, nous avons mentionné cette phrase de Jean-Paul II (tirée de son encyclique Sollicitudo Rei Socialis) qui parle de « structures de péché » qui peuvent être résumées en deux points : la soif de profit et le désir d’imposer sa volonté aux autres — ce qui désigne très bien l’attitude des grands financiers internationaux. Et Jean-Paul II explique que pour vaincre ces attitudes de péché, il faut une attitude diamétralement opposée ; c’est-à-dire qu’à l’égoïsme des banquiers, il faut opposer la vertu contraire, le don de soi, le dévouement. C’est ce qui se fait dans Vers Demain depuis 80 ans.

L’illusion d’un « parti du Crédit Social »

Bien des obstacles ont été suscités par les financiers pour bloquer la progression de Vers Demain, et le plus dommageable de ces stratagèmes des financiers fut sans nul doute la création de « partis du Crédit Social ». Bien des gens ont faussement cru que la façon la plus rapide d’obtenir le Crédit Social, c’était de former un parti politique portant ce nom. Loin de faire avancer la cause du vrai Crédit Social, la création de ces « partis du Crédit Social », tant au niveau provincial que fédéral, l’a plutôt retardé, ne faisant que semer la division et fermer les esprits à une vraie compréhension des idées de C.H. Douglas.

Pour obtenir l’application du Crédit Social, point n’est besoin d’envoyer des députés d’un parti en particulier au parlement : Douglas et Louis Even expliquent que la vraie démocratie, c’est que les élus, peu importe leur parti, expriment la volonté du peuple. Donc ce qu’il faut, c’est l’éducation du peuple.

Si la solution n’est connue que par le dirigeant de la nation, il suffit d’éliminer cette personne, et on n’entend plus parler de la solution. Mais si la solution est connue par une multitude d’hommes et de femmes, on ne peut pas les tuer tous ! En d’autres mots, on peut tuer une personne ou un président (Lincoln aux États-Unis, Thomas Sankara au Burkina Faso) mais on ne peut pas tuer une idée, surtout quand cette idée est répandue dans la tête de millions de gens.

Ce qui fait la force des financiers, c’est l’ignorance du peuple. Durant la session d’étude, on a souvent cité ces paroles du prophète Osée (4, 6) : « Mon peuple se meurt par manque de connaissance. » Et on connaît aussi ces paroles de Jésus dans le Nouveau Testament : « La vérité vous rendra libre » (Jean 8, 32). M. Even avait dit : « Le Crédit Social a été une lumière sur mon chemin. Je bénirai le bon Dieu tous les jours de ma vie d’avoir connu le Crédit Social ; il faut que le monde entier le connaisse ! »

Dans Vers Demain du 1er novembre 1960, M. Even avait écrit un article intitulé « Le champ d’action de Vers Demain », qui explique comment le nom de « Vers Demain » fut choisi :

« Lorsque fut lancé ce journal, en 1939, les fondateurs durent lui choisir un nom. C’est à dessein qu’ils éliminèrent le vocable “Crédit Social”. Non pas dans le but de camoufler leur intention de continuer à promouvoir la doctrine de Douglas, mais :

« 1. Parce qu’il existait un parti politique portant ce nom, et le mouvement envisagé par les fondateurs devait suivre une toute autre voie ; il fallait donc éviter une appellation qui, dans l’esprit des gens, associerait notre mouvement à l’idée d’un parti politique.

« 2. Parce que trop d’adhérents du Crédit Social ne voyaient dans l’enseignement de Douglas que les propositions énoncées pour une réforme du système monétaire et financier. Or, les fondateurs de Vers Demain voulaient un champ plus vaste et toucher à tout ce que, au cours des années et des événements, ils jugeraient de nature à affecter la poursuite du bien commun et l’épanouissement de la personne humaine. En quoi, après tout, ils ne faisaient que rejoindre davantage la philosophie sur laquelle repose la doctrine créditiste bien comprise. »

Alain Pilote

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