La structure bancaire du crédit

Maître J.-Ernest Grégoire le dimanche, 01 avril 1945. Dans Crédit Social

Causerie donnée par M. J.-Ernest Grégoire, à CHRC, le dimanche 18 mars.

Technique et objectif — Distinction

Vous écoutez la radio en ce moment. La radio est une technique. C'est une technique pour por­ter à une multitude de foyers la parole d'un orateur ou un programme d'artistes. Les audi­teurs n'ont pas à sortir de chez eux. Ils peuvent même continuer à vaquer à leurs occupations de routine, tout en écoutant une voix à des centaines ou des milliers de milles de chez eux.

Voilà pour la technique.

Mais l'objectif ? L'objectif, le but, ne dépend pas du tout de la radio, mais bien de la volonté de celui qui l'utilise.

Si la sainte Vierge venait vous parler au micro, la radio vous transmettrait un message céleste, inspiré par un objectif divin. Si Satan venait vous parler au micro, la radio vous transmettrait un message infernal inspiré par un objectif diaboli­que.

Dans les deux cas, ce serait la même technique, au service de deux objectifs diamétralement op­posés. Et cette technique serait aussi efficace dans les deux cas. Elle transmettrait aussi parfaite­ment les deux messages.

La valeur d'une technique se mesure unique­ment par son efficacité. Ce n'est pas à la techni­que qu'il faut demander la rectitude des objectifs. L'objectif ne dépend pas de l'instrument, mais d'une volonté humaine.

Donc, l'objectif, c'est le but cherché. La techni­que, c'est l'ensemble des moyens pris pour l'ob­tenir.

Chez les banquiers

Dans le système d'argent et de crédit contrôlé par les banques, il faut aussi savoir distinguer entre l'objectif et la technique. Et l'on pourra très bien admirer la technique, tout en détestant l'ob­jectif.

L'objectif du système bancaire, c'est le bien des banquiers, que ce bien soit conforme ou contraire au bien commun.

La technique, c'est la structure de crédit édifiée autour des banques. Et cette technique est très efficace. Aussi atteint-elle parfaitement l'objectif de ceux qui la contrôlent : la domination de la vie économique par la finance.

Si l'on a à se plaindre du résultat, ce n'est pas la technique qu'il faut blâmer, mais ceux qui con­trôlent l'objectif, ceux qui utilisent la technique pour atteindre ce résultat.

Les responsables du contrôle

Par ceux qui contrôlent, il ne faut pas entendre ici les employés ou les simples gérants de banque. Pas du tout. Ces bons citoyens ne sont que de simples techniciens employés au fonctionnement du système. Ils n'imposent pas plus l'objectif, que la personne qui règle la transmission dans la chambre voisine du studio ne dicte le sujet de ma causerie.

Les contrôleurs du système de crédit, c'est le petit groupe de cerveaux sans religion, sans pa­trie, sans humanisme, qui déterminent le régime du crédit dans les pays civilisés. Ce sont ceux qui ont mis le monde en pénitence pendant dix années, en face de produits surabondants, et qui déversent le crédit à flot depuis que la haine est érigée en vertu et que les énergies des nations sont au service de la destruction et de la tuerie.

Évidemment, nous perdrions notre temps à demander à ces contrôleurs, et à ceux qui profi­tent de leur contrôle, de changer leur objectif. Autant demander à Lucifer de venir nous prêcher l'amour de Dieu.

Mais, nous pouvons très bien les éliminer gra­duellement du contrôle de notre vie économique, en bâtissant graduellement une structure de crédit indépendante d'eux ; en prenant leur tech­nique, parce qu'elle est efficace, mais en substi­tuant un objectif sain à leur objectif malsain.

La structure bancaire du crédit a un objectif bancaire. Si l'on veut un objectif social, il faut y substituer une structure sociale du crédit. C'est d'autant plus facile, que les éléments qui compo­sent primordialement la structure du crédit pren­nent naissance dans la société elle-même, et non pas dans la banque.

La structure du crédit

Mais qu'est-ce que cette structure du crédit, érigée par les banques, et qu'il faudrait imiter en érigeant une structure sociale analogue ?

Au cours des deux ou trois derniers siècles, les hommes ont appris, en fait de monnaie, à se ser­vir d'autre chose que les pièces d'or ou d'argent.

Les banques commencèrent par y substituer des billets de papier. Le changement ne s'est pas fait du jour au lendemain. Le billet donnait droit de se présenter à la banque en tout temps et d'en obtenir de l'or en échange. Mais, comme le billet circulait d'une main à l'autre, et de plus en plus longtemps, avant que quelqu'un vienne le rapporter à la banque pour avoir de l'or, les ban­quiers profitèrent de ce fait pour émettre beau­coup plus de billets qu'il n'y avait d'or dans leurs voûtes.

Prêtant aux gouvernements, ils firent sanction­ner par loi leur nouvelle pratique. En cas de ruée sur les banques, comme il arriva en Angleterre en août 1914, le gouvernement vient à leur secours, en déclarant les billets monnaie légale et en sup­primant le droit d'en réclamer de l'or.

C'est la confiance que les hommes se faisaient les uns aux autres, en passant ces simples billets de main à main, qui permit aux banquiers la mul­tiplication de leurs billets. Cette confiance était un fait social ; mais les banquiers en ont profité plus que la société, puisque la multiplication des billets n'entrait en circulation que sous forme de prêts, donc de dettes au profit des banquiers, aux conditions qu'y mettaient les banquiers.

C'était déjà le crédit de la société approprié par les banques.

Mais elles ont fait un autre pas bien plus grandiose depuis. Avec l'extension de l'instruc­tion, avec le développement des communications, avec la généralisation de la comptabilité et l'élar­gissement de la confiance mutuelle — faits so­ciaux encore — les banquiers ont pu substituer l'usage du chèque au transfert de billets, surtout dans les transactions importantes.

C'est certainement un progrès pour tout le monde, parce que l'usage du chèque dispense du besoin et du risque de porter de grosses sommes sur soi. Mais ce nouveau développement, social par excellence, a placé un pouvoir énorme entre les mains des banquiers. Le banquier est devenu le véritable monnayeur du pays.

En effet, celui qui reçoit un chèque en paiement de ses services ou de sa marchandise, trouve sou­vent plus pratique de déposer le chèque à son propre compte de banque, sans demander d'ar­gent de métal ou de papier, et de payer, à son tour, ses propres dépenses au moyen de chèques. L'argent reste disponible chez le banquier.

D'autre part, si c'est un ouvrier ordinaire qui reçoit sa paie en chèque, il porte le chèque à la banque et demande de l'argent en échange, parce qu'il a divers achats à faire à diverses places, et le chèque ne peut pas être subdivisé en morceaux. Mais l'argent de l'ouvrier est vite rendu chez le marchand ou le propriétaire, et ceux-ci re-dépo­sent cet argent à leur banque, où il va servir à répondre à d'autres chèques.

Les banquiers savent très bien que leur réserve en argent peut soutenir dix ou quinze fois sa valeur en circulation de chèques. C'est tellement reconnu, officiellement, que la loi fédérale des banques n'exige qu'une réserve de cinq pour cent.

Et voilà comment l'usage généralisé du chèque permet aux banquiers de créer par des prêts, et de supprimer par des remboursements, le moyen d'échange employé dans plus de 90 pour cent des transactions commerciales.

Le vice du système

C'est cela la structure du crédit. Structure mer­veilleuse en elle-même, puisqu'elle ne se trouve point bornée par le volume de métal précieux dis­ponible. Merveilleuse et souple, puisque, comme toute comptabilité, elle pourrait se mettre cons­tamment au niveau des faits de la production. Elle l'a bien fait, et rapidement, pour la guerre.

Le mal, c'est que cette structure n'est édifiée que sous forme de dette de la part de la nation ou des citoyens qui bâtissent le pays. Cette struc­ture est tellement arrangée que le volume du crédit en circulation est soumis en tout temps à l'action des banques. C'est une servitude pour la communauté et un instrument de domination pour les banques. Tout le crédit venant en circu­lation sous forme de prêts à rembourser avec inté­rêts, il arrive que tout le crédit, et plus que tout le crédit, est sous la souveraineté absolue des banques.

Si le crédit circule, ce n'est qu'à l'état de dettes et aux conditions de durée et de tribut qu'y met­tent les banques. La respiration économique du pays est réglée par l'action des banques. Elles ont été magnanimes pour la spéculation fantastique et malsaine de 1925 à 1929 ; inexorables pour la déflation catastrophique et inhumaine de 1930 à 1939 ; souples jusqu'aux milliards pour financer la guerre — tout en bâtissant sur le dos du pays, pour des générations, une dette proportionnelle à la fécondité de leur plume.

La société volée de son crédit

Pourtant, dans cette structure du crédit, entiè­rement soumise à l'action des banques, qu'est-ce qui vient des banques, et qu'est-ce qui vient de la société ?

La base du crédit est dans la production, dans l'existence de consommateurs qui savent se servir de cette production, dans les ressources naturel­les, dans les bienfaits de la température, dans le soleil et les pluies, dans la fécondité du sol et des animaux, dans l'intelligence de la population, dans le travail des bras et des cerveaux, dans la science appliquée, dans l'instruction, dans les in­ventions, dans la division avantageuse du travail, dans l'organisation de la société, dans la collabo­ration entre patrons et ouvriers, dans l'initiative privée ou coopérative, dans les communications et les échanges entre les hommes, dans les moyens de transport et d'entreposage, dans la confiance que les hommes se font les uns aux autres, dans l'honnêteté mutuelle, dans l'éthique, dans la loi, dans le droit reconnu, dans la civilisation elle-même.

C'est une base éminemment sociale. Tout cela est le fait de la communauté organisée et produc­tive, pas le fait des banquiers.

Qu'est-ce que le banquier, lui, comme banquier, apporte dans la structure du crédit ? Si l'on met de côté son astuce, il apporte un livre, une plume, un coffre-fort, articles qu'il n'a même pas fabri­qués, et son aptitude à tenir des livres.

Assurément, il apporte aussi l'art de prêter. Cet art est relativement facile. Même Séraphin l'avait appris. D'ailleurs, les Caisses Populaires ont dé­montré qu'il n'y a pas besoin de provenir d'une souche spéciale pour comprendre et exécuter judi­cieusement les opérations de prêts et de place­ments.

Remède logique

Si le peuple lui-même apporte tous les éléments qu'il faut pour bâtir une structure de crédit, pourquoi ne la bâtirait-il pas lui-même, au lieu d'en aliéner le soin, le contrôle et les avantages aux banques ?

C'est justement là l'objectif principal du systè­me des Succursales du Trésor, tel qu'il fonctionne en Alberta depuis plus de six années, et tel que nous en voulons un adapté à notre belle et riche Nouvelle-France.

Les Maisons du Trésor existent pour permettre aux citoyens de la province de se servir du crédit de leur province dans leurs transactions d'achats et de ventes, sans le faire d'abord monnayer par les banquiers.

Il s'agit essentiellement d'une comptabilité in­terne, pour le commerce dans les limites de la province, en autant que les citoyens de la pro­vince voudront bien librement le préférer au sys­tème de comptabilité-dette des banquiers.

Maître J.-Ernest Grégoire

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