La Question Albertaine

le jeudi, 01 avril 1937. Dans Cahiers du Crédit Social

Aberhart Faillit À La Tâche

Le Crédit Social a-t-il fait échec en Alberta, comme se plaisent à le corner quelques écervelés qui ne savent probablement ni ce qu'est le Crédit Social, ni ce que fait Aberhart en Alberta, ni ce qu'il n'a pas la liberté de faire ? Obéissant à une pression ou à une consigne, la plupart des grands journaux ont profité de récentes déclarations du chef albertain pour servir des conclusions fausses au lecteur habitué par eux à confondre parti et doctrine, homme et système.

À preuve l'article éditorial No. 3 du “Canada” d'aujourd'hui même. La première ligne est un mensonge ; l'autre est ou ignorance ou de mauvaise foi. Notons, en passant, que Turcotte et ses co-pataugeurs ne signent plus leurs articles. Ont-ils honte de leur cuisine ? (22 mars.)

L’Action Catholique, plus respectueuse à la fois de la vérité, de ses lecteurs et des hommes de bonne volonté, a frappé une note différente et c'est un véritable plaisir pour nous de laisser Eugène L'Heureux, secrétaire de la rédaction de ce journal, répondre à la question posée plus haut. Son article présente une mise au point, une argumentation que les créditistes feront bien d'assimiler pour s'en servir à l'occasion. Nous citons sans plus de commentaires :

Aberhart failli à la tâche

Il ne faut pas confondre l'échec d'un parti avec celui d'un système.

Il arrive ce que nous attendions depuis longtemps : Aberhart avoue son impuissance à établir, tel que promis, le Crédit Social en Alberta.

Dans les temples de la finance et dans les cercles de la politique traditionnelle, on entonne à pleine voix un chant de victoire, sans se demander ce que l'on a fait soi-même de pratique pour l'amélioration des conditions économiques actuelles.

Dans son aveu d'impuissance comme dans ses promesses Aberhart se montre plus sincère qu'un grand nombre de politiciens et de financiers. Ne sommes-nous pas habitués à voir plutôt les politiciens s'agripper au pouvoir par toute espèce de stratagème, lorsqu'ils faillissent — chose fréquente — dans l'accomplissement de leurs promesses ?

L'échec d'Aberhart était à prévoir pour plusieurs raisons :

1. système monétaire avant tout, le Crédit Social est une matière fédérale et non provinciale ;

2. les conditions économiques de l'Alberta, par suite des excès commis par ceux qui, aujourd'hui, s'évertuent à discréditer Aberhart, sont de celles qui absorbent toutes les énergies d'un homme d’État ;

3. la Finance et ses scribes se sont acharnés à démolir ce premier ministre qui préfère le bien-être du consommateur au profit du producteur ;

4. un système neuf comme le Crédit Social ne pouvant s'implanter dans un pays sans heurter les préjugés que seul une longue campagne d'étude et d'éducation peut vaincre, l'entreprise d’Aberhart semblait prématurée.

De plus, il convient d'ajouter qu’Aberhart a probablement affaibli sa cause en s'écartant de la véritable théorie créditiste, ce qui a même causé un différend sérieux entre lui et le major Douglas et Hargrave.

* * *

Aux ignorants et aux hommes de mauvaise foi qui affirment la faillite du Crédit Social en Alberta, il faut donc répondre :

1. que M. Aberhart ne voulait pas établir un véritable système Douglas ;

2. que la réparation des erreurs administratives commises en Alberta par les adversaires d'Aberhart ont empêché celui-ci même de commencer l'application du Crédit Social.

Que l'on dise que le parti appelé Crédit Social subit un échec, nous en sommes. Mais le système est une toute autre affaire ; et ce n'est pas honnête de les confondre, car le système du Crédit Social n'a nullement été mis à l'épreuve en Alberta.

Le parti du Crédit Social, comme tous les autres partis politiques, ne nous intéresse que dans la mesure où il fait du bien. Et la politique est chose complexe au point que notre sympathie pour un parti à cause de certaines initiatives dont il a seul le courage ne peut nous lier à lui en aucune façon.

Mais autant les partis nous laissent indifférent, autant leur programme nous intéresse, de même que la manière dont ils l'exécutent et le temps que cela leur prend, lorsqu'il y a péril en la demeure.

En face des désastres économiques imputables aux procédés financiers contemporains et de l'impuissance manifeste des mêmes procédés à restaurer le monde économique, il est rigoureusement logique de chercher des solutions aux maux modernes ailleurs que dans les méthodes économiques d'un siècle passé qui ne ressemblera probablement pas beaucoup à celui qui vient.

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Il faut combattre l'anomalie d'une génération mieux pourvue que les précédentes pour produire l'abondance et se privant néanmoins de façon inouïe dans un nombre incalculable de ses membres.

Puis suffit-il de crier Seigneur ! Seigneur ! N'est-ce pas notre devoir à tous d'étudier les moyens propres à faire cesser la plus stupide des crises économiques : celle qui, pour éviter la surproduction, ferme nos usines au moment où tant de nos frères cherchent en vain de l'ouvrage et vivotent plutôt qu'ils ne vivent ?

Nous ne nous reconnaissons pas la compétence voulue pour dire si le Crédit Social, dans son ensemble, est applicable ; mais nous serions étonné, si la crise se dissipait sans l'application des quatre principes suivants, qui sont à la base du Crédit Social :

1. l'établissement d'un équilibre constant, régulateur du profit, entre la production et la consommation, cela en vue d'éviter les désastreuses alternances d'inflation et de déflation qui secouent par voie de statistiques scientifiques, et non plus seulement par le faux périodiquement la société ;

2. la nationalisation du crédit, le plus public de tous les services publics ;

3. la répartition, l'utilisation au moins, des richesses que l'outillage économique moderne permet de produire et que faute de pouvoir d'achat chez les consommateurs, nous refusons de produire, bien que des millions d'êtres humains chôment forcément, mangent peu, se vêtent misérablement, se logent dans des taudis, soient mal partagés sous tous les rapports ;

4. l'établissement de la monnaie nationale sur l'ensemble des richesses réelles du pays et non plus seulement sur la quantité d'or.

Conclusion : le parti du Crédit Social et le système monétaire du Crédit Social sont deux choses qu'il faut distinguer parfaitement l'une de l'autre, même si une puissante propagande profite de l'échec du parti pour semer partout l'impression que le système ne vaut rien et que notre peuple n'a rien de mieux à faire que de se résigner.

Eugène L'HEUREUX

* * *

Cet article de M. L'Heureux méritait de faire le tour de la presse. Il n'en fut rien. C'eût été du nouveau et ça supposerait une attitude ou une orientation nouvelle dans les salles de rédaction des quotidiens auxquels nous sommes habitués.

Un des journaux de M. Nicol voulait avoir, pour publication, l'idée du président du Cercle Créditiste de Sherbrooke sur les déclarations d'Aberhart. M. E.-G..., instruit par une expérience précédente, consentit à se laisser interviewer à condition que le reporter lui ferait voir le texte avant insertion dans les colonnes du journal. On en convint et voici l'article préparé par le journaliste :

"La tentative d'Aberhart n'est pas une faillite. Il n'a pas réussi à tenir ce qu'il avait promis de réaliser en 18 mois, mais il ne faut pas oublier qu'il a plus fait que la plupart de ses prédécesseurs," déclarait hier le président du cercle local de la Ligue du Crédit Social de la province de Québec, M. E. G.... interrogé sur la crise que traverse actuellement le gouvernement de l'Alberta.

"En premier lieu, dit-il, le Crédit Social ne peut être mis en vigueur, par un gouvernement provincial, car son objectif, c'est la réforme monétaire et cette question ressort uniquement, paraît-il en vertu de notre constitution, des autorités fédérales.”

M. G. fait observer qu'en dépit du nom qu'il porte le gouvernement albertain n'est pas jusqu'ici créditiste. "Il n'y a jamais eu, dit-il de réel gouvernement Crédit Social en Alberta. On peut le désigner sous ce nom, mais ce n'est là qu'une étiquette puisqu'il ne pourrait effectuer la majorité des réformes contenues dans le programme du Crédit Social, à moins que les autorités fédérales le lui permettent en lui accordant le pouvoir d'émettre et de contrôler les crédits et la monnaie de sa population, comme le font les banques à charte."

Des difficultés de toute nature se sont dressées sur la route de M. Aberhart. “Le gouvernement Aberhart, poursuit le président du cercle créditiste, atteindrait plus tôt son but si, au lieu de le combattre dans toutes ses entreprises et d'entraver sa tâche, les financiers, les "Banksters" et les autorités fédérales l'avaient aidé.”

M. G. est de l'avis de certains députés créditistes fédéraux qu'Ottawa ne se montre pas équitable à l'égard de l'Alberta à cause de sa nuance politique. “C'est ainsi qu'on a observé encore tout récemment, dit-il, que le gouvernement n'accordait pas à l'Alberta sa part légitime des octrois fédéraux. · "L'Alberta possède un gouvernement qui peut se comparer à ceux des autres provinces. Seulement, celui-ci a préconisé des mesures plus radicales, mesures que les tribunaux ont déclarées ultra vires.

"Bien que le gouvernement d'Edmonton ait eu la confiance de la majorité de la population albertaine, le gouvernement fédéral et les grands financiers se sont ligués pour l'empêcher de mettre son programme en vigueur. Il aurait mieux réussi avec ses différentes lois si les adversaires du système qu'il préconise avaient voulu coopérer au lieu de combattre chacune de ses mesures.”

Pour conclure, M. G. dit qu'il “sera intéressant de savoir qui gagnera la partie, des financiers ou d'Aberhart. En attendant, c'est à l'expérience d'Aberhart que la population du Canada doit les bas taux d'intérêt dont elle jouit présentement."

* * *

Trop sincère. Le journal n'accepta pas. Le reportage était fidèle, mais n'était pas à la sauce de la maison. Il ne fut pas publié. Il eût fallu, envers et contre tout, faire dire à M. E. G... que le Crédit Social avait fait faillite. Ô lecteur !

Nous faisons des réserves sur l'assertion que le crédit est affaire exclusivement fédérale, non provinciale. De fait, peut-être ; mais de droit ?... et de possibilité ?... Il y a au moins matière à étude.

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